Les tireurs des toits

Parmi les acteurs des combats pour la libération de Paris on connaît assez bien les soldats FFI du colonel Rol-Tanguy, les soldats de la 2ème DB du général Leclerc, les soldats de la 4ème DI du général Barton et les soldats allemands du général Von Choltitz. Le badaud parisien, mû par sa curiosité légendaire et n’hésitant pas à se glisser aux premières loges pour assister aux escarmouches, paya également de son côté un lourd tribut. Mais la semaine insurrectionnelle vit fleurir un nouveau style de « combattant » particulièrement dangereux et efficace : le tireur des toits. La main-courante de la Préfecture de police fourmille d’appels le signalant aux quatre coins de la capitale.


Paris en images

Le 22 août à 19h10 M. Batillot, demeurant 32, rue des Fossés Saint-Bernard signale une fenêtre d’où partent des tirs dirigés sur les FFI. Le 24 à 11h00 M. Julien, du service de sécurité de la Banque nationale pour le Commerce et l’Industrie 130, quai de Jemmapes, a repéré des individus tirant sur les voitures. Le 25 août l’activité des tireurs s’intensifie : rue Réaumur des Miliciens tirent sur les fenêtres pavoisées ; boulevard de l’Hôpital on tire sur les troupes françaises, deux soldats de la 2ème DB sont blessés rue Rochechouart alors qu’ils effectuent des recherches sur un toit ; le caporal-chef Auguste Fenioux est tué rue de Seine ; 10 rue de Lincoln on a repéré des Miliciens sur les toits et dans un hôtel de la rue de Tilsitt il y aurait des Allemands, dans l’après-midi c’est au 62, rue Raymond-Poincaré ; à 17h50 le commissariat du 16ème arrondissement signale la mort du gardien Perlin ; à 17h55 des tireurs sont signalés dans presque tout le 16ème ; dans la soirée on tire rue de Courcelles, rue Pierre-Demours, boulevard Pereire, rue Villaret de Joyeuse et même à la Présidence du Conseil ; dans la nuit les pompiers essuient des coups de feu place de la Porte des Ternes ; le docteur Dubarry entend au dessus de chez lui des bruits et des coups de feu, l’appartement était encore occupé la veille par les Allemands.

Le 26 août, c’est l’apothéose ! Cette journée, qui verra la marche triomphale du général de Gaulle de la place de l’Étoile à la cathédrale Notre-Dame, est ternie par le déchaînement des tireurs. Sur le passage du cortège, sur les Champs-Élysées, rue de Rivoli, et même dans la cathédrale ! Rue Volta un individu a été repéré descendant du toit pour se cacher dans une buanderie dans la cour de l’immeuble ; à 16h50 des coups de feu partent d’un immeuble situé à l’angle du Marché Neuf et du boulevard du Palais ; c’est la même chose 29, avenue de l’Opéra, rue de Clichy, carrefour de l’Odéon, devant la Samaritaine ; à 19h00 deux gardiens de la paix sont blessés aux jambes place de la Concorde…


Panique dans la cathédrale

Sur le parvis le général Leclerc et le préfet Luizet observent les toits, entourés de quelques officiers. (lire l'épisode)


rue de Rivoli


place de la Concorde

Mais qui sont ces tireurs des toits ? Peut-être autant de versions que de témoignages. Des soldats allemands, des miliciens, des Japonais, des communistes (l’insécurité dans les rues de Paris aurait justifié le maintien des Milices patriotiques), des personnes âgées (une femme de 75 ans a été signalée rue d’Alésia), des mères de famille (une femme, bébé au bras, a été vue tirant sur la foule), etc.

S’il est pris, le tireur est au mieux arrêté par les FFI et conduit au poste, au pire lynché par la foule si son escorte ne peut (ne veut ?) le protéger.

La riposte ? Des FFI n’hésitent pas à grimper les étages et, au risque d’être pris eux-mêmes pour des tireurs des toits, se livrent à une chasse très dangereuse.

Le gardien de la paix Maurice Lamy est tué le 25 août à 11h30 sur les toits de la rue Meslay par des miliciens. Le gardien Pierre Perlin est abattu quand il aborde le 6ème étage d’un immeuble de la rue du Faubourg Saint-Jacques, le tireur s’échappe.

Bien entendu, comme dans toute période révolutionnaire, des méprises peuvent survenir. Le dentiste Max Goa et son épouse sont extraits manu militari de leur appartement, Max est précipité sous les chenilles d’un char américain, Madeleine aurait été fusillée. Aucune arme n’a été trouvée dans l’appartement qui, au passage, sera pillé.

Au groupe scolaire La Chapelle – Doudeauville dans le 18ème arrondissement l’histoire se termine mieux mais le directeur a été bien bousculé. Le 26 août des coups de feu sont entendus dans les rues avoisinantes. Un groupe de FFI investit les écoles et arrête aussitôt le mari de la directrice de l’école de filles. Comme il habite à l’opposé de l’endroit d’où provenaient les tirs, on le laisse tranquille. Mais on a trouvé dans le bureau du directeur de l’école de garçons une cartouche de Mauser et de la poudre. Ce dernier est menacé d’être abattu sur le champ mais les FFI se ravisent et le font descendre dans la rue pour le conduire au poste de police de la mairie du 18ème arrondissement. La foule hurle. La voiture est bloquée. Le directeur reçoit des coups. Le véhicule démarre enfin. Pendant ce temps-là un instituteur qui se penche à la fenêtre manque de peu d’être tué : le tireur FFI rate sa cible. En bas dans la rue on crie : « Il y en a trois qui ont tiré ! Deux en lunettes et un en chapeau gris ». Il est arrêté. Une jeune fille FFI en short le menace de son revolver. Quelques minutes plus tard elle reconnaît un camarade et abandonne sa surveillance. L’instituteur réclame qu’on fouille son appartement. En vain. Les FFI ont d’autres préoccupations. Par mesure de prudence il ne couchera pas chez lui ce soir. Bien lui en a pris, dans la nuit deux hommes ont été aperçus à sa fenêtre. La concierge est persuadée l’avoir reconnu.  Le directeur de l’école de garçons a été conduit au poste de police. Il a du mal à expliquer que la cartouche de Mauser a été récupérée l’avant-veille dans la rue et qu’il l’a dessertie pour la montrer à son fils. Pendant qu’il est interrogé on signale de nouveaux tirs dans le groupe scolaire. Si le commandant des FFI du poste semble le croire, le « Grand René », chef du groupe qui a investit les écoles (la compagnie FTP Saint-Just d’après certains témoignages), insiste pour qu’il soit gardé. Des témoins de moralité accourent. Le directeur a milité dans la résistance, son épouse accusée également par la foule d’avoir tiré est décédée en 1940 sous un bombardement allemand… Il est libéré. Lui aussi prend la précaution ne pas dormir chez lui ce soir-là. Le lendemain, quand il revient, il entend la foule hurler : « On tire encore de la salle de dessin du 2ème étage. Ils ont relâché le directeur. C’est lui qui tire ! » Les appartements ont été visités. Des vols ont eu lieu. Le directeur veut déposer plainte contre les FFI. Il parvient à identifier la jeune fille, une certaine Lise qui serait un peu « dérangée ». La compagnie Saint-Just assure n’être jamais intervenue dans ce secteur. Un certain René D. habitant 86, rue Philippe de Girard est mis en cause. Bien après la libération la rumeur continue : l’école était un arsenal, la femme du directeur a été tondue, lui-même a été vu, en pyjama, deux mitraillettes sous les bras, etc.


Un asiatique (un Japonais ?) a été arrêté. Quel sera son sort ?