60 rue de Seine Paris 6ème
"Ici est tombé Jacques FRANCESCO, 2ème D.B, mort pour la France le 24 août 1944"
Quand, en 1994, j’ai commencé mon travail de recherches sur les victimes des combats de la Libération de Paris, j’ai été étonné par cette plaque commémorative. Le 24 août au soir il y avait bien des soldats de la 2ème DB dans Paris, les hommes de la colonne Dronne, mais ils stationnaient devant l’Hôtel de Ville. D’autre part la revue Caravane des anciens de la Division, dans son numéro 371 de 1991, faisait état d’un Francisco JACQUES dans sa liste des tués au cours de la bataille de Paris. Un bénévole de la Maison de la 2ème DB, interrogé, m’expliqua qu’il y avait des erreurs sur les plaques, bien sûr, mais qu’il était très difficile de les rectifier.
Il y a quelques mois je reçois un message de Thierry :
Je me présente, je suis le neveu d’un soldat de la 2ème DB tué à Paris le 25 août 1944. Cela fait plusieurs années que je cherche à avoir des renseignements sur mon oncle et que mes recherches restent vaines. Enfin, la mise en ligne de la base 39-45 du site SGA/Mémoire des hommes m’a permis d’identifier la date et le lieu de son décès, ainsi que son régiment : FENIOUX Auguste, 3ème RMT, décédé le 25-08-1944 à Paris. En vérifiant sur votre site, je n’ai pas trouvé son nom mais je sais qu’il portait, comme c’était souvent l’usage, un nom d’emprunt. Décoré de la médaille militaire, j’ai réussi à récupérer une copie du diplôme il y a quelques jours et je connais enfin son « nom de guerre » : FENIOUX Auguste alias JACQUES Francisco, caporal chef, régiment de marche du Tchad.
Je mets immédiatement à jour la page « Sur les traces de la 2ème DB » et j’ai la surprise quelques semaines plus tard d’être contacté par Édith, nièce d’Auguste Fenioux, qui elle aussi est sur la trace de cet oncle Mort pour la France :
Faisant des recherches sur la disparition de mon oncle Auguste FENIOUX, frère de ma mère, lors de la libération de Paris, je viens d’avoir la surprise et la joie de tomber sur votre site. Auriez-vous par hasard des renseignements complémentaires le concernant ? Après de longues recherches, sa mère, ma grand-mère, a pu faire transférer en 1949 le corps, du cimetière militaire de Bagneux à celui de Champagné-Saint-Hilaire, son lieu de naissance.
La plaque erronée allait enfin livrer son secret ! Thierry et Édith, aidée par Claude, ont rassemblé une importante documentation sur cet oncle mystérieux disparu du domicile de sa mère en août 1941. Dans une lettre au Ministre des Anciens combattants en décembre 1947, la pauvre femme explique qu’il a dû passer en zone libre ; elle croit savoir qu’il s’est engagé dans la résistance ou dans les troupes coloniales. Elle n’a aucune nouvelle de lui depuis cette date et demande que des recherches soient entreprises pour savoir ce qu’il est devenu.
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Auguste est né en janvier 1916 à Champagné-Saint-Hilaire, dans la Vienne. Il est fils et petit-fils de cultivateurs et a deux sœurs, Lucie et Augustine, ainsi qu’un frère, François. C’est d’ailleurs vraisemblablement le prénom de ce jeune frère qui lui inspirera son nom de guerre. Auguste n’a que 12 ans quand son père, François, décède en 1928. Marie, sa mère, élève seule ses quatre enfants. Dans les années 1930 elle est cuisinière chez M. Debenest dont le fils Delphin, magistrat, sera déporté à Buchenwald pour faits de résistance et qui, à son retour des camps, siègera comme avocat général au procès de Nuremberg. |
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Le 7 février 1935 Auguste s’engage pour cinq ans au 6ème régiment de Tirailleurs algériens et rejoint son corps d’affectation à Oran en avril. Il est nommé 1ère classe le 16 août 1938 et prolonge son engagement en 1939, pour une durée d’an à compter de 1940, au titre du 14ème régiment de Tirailleurs algériens. Son état signalétique et des services indique un passage au centre de rassemblement des permissionnaires d’Abbeville en décembre 1939. L’armée lui compte six mois de campagne contre l’Allemagne du 8 décembre 1939 au 7 juin 1940. Il est fait prisonnier le 8 juin 1940 mais est démobilisé le 30. Aucune précision dans son état signalétique sur cette campagne. Il rentre alors chez sa mère à Épanvilliers mais pour peu de temps puisque en août 1941 il se rend en zone libre et se rengage à Marseille, le 18, au 6ème Tirailleurs algériens. De février à mai 1943 il participe à la campagne de Tunisie où le 6ème Tirailleurs s’illustre à la bataille du djebel Zaghouan et contribue à l’ouverture de la route vers Tunis avec la Division de marche d’Oran. Comme beaucoup de ses camarades de l’Armée d’Afrique, et au grand dam du général Giraud qui se plaindra de ces débauchages suscités par l’Armée gaulliste, Auguste décide de rejoindre les Forces françaises libres pour continuer la guerre. La Force L (ex-colonne Leclerc) est devenue la 2ème Division de la France libre. Auguste signe un engagement pour la durée de la guerre le 1er août 1943. |
La 2ème DFL devient la 2ème DB le 24 août 1943. Il est affecté au 3ème bataillon de marche du Tchad, à la compagnie d’accompagnement n° 3. Le général Leclerc installe ses troupes à Temara, au Maroc, où la division va être équipée de matériel américain. Il lui faut également réaliser l’amalgame entre les premiers Français libres, les anciens de l’Armée d’Afrique, les évadés de France par l’Espagne, les Républicains espagnols volontaires, les légionnaires, etc. Il y parvient après des mois d’efforts. En avril 1944 la 2ème DB fait mouvement vers l’Angleterre, forte d’environ 13 000 hommes. Auguste a embarqué avec ses camarades sur le SS Franconia le 21 mai 1944 et a débarqué le 31 à Gourok, en Écosse. De là, la CA 3 a rejoint par voie ferrée le camp de Poklington, en Angleterre. Dernières manœuvres, dernières mises au point, derniers apprentissages du combat. Le 6 juin 1944 la nouvelle éclate : les Alliés ont débarqué en Normandie ! Les hommes sont impatients de rejoindre la bataille sur le territoire français. Le 21 juin chacun d’entre eux reçoit son insigne individuel de la Division, le 3 juillet le Régiment de marche du Tchad accueille son étendard. Le 29 juillet, enfin ! Auguste embarque sur le LST 509, direction : les côtes françaises.
Il y aura des pertes, c’est sûr. Le bureau d’état-civil de la 2ème DB met ses dossiers à jour. Auguste signe, le 24 juin, une attestation sur l’honneur devant l’aspirant Macchi : il déclare servir sous la fausse identité de Francisco Jacques mais s’appelle en réalité Auguste Fenioux ; il est célibataire ; la personne à prévenir en cas d’accident est sa mère, Marie Fenioux demeurant à Poitiers. On verra plus loin les conséquences de cette erreur (volontaire ?) de domicile. La compagnie débarque à Saint-Martin de Vareville en compagnie de l’état-major du bataillon et du 1er escadron de chars légers du 1er régiment de spahis marocains. Il est minuit, nous sommes le mardi 1er août 1944. La campagne de libération de la France commence pour Auguste. La compagnie d’accompagnement n° 3, commandée par le capitaine Wagner, fait partie du 3ème bataillon du régiment de marche du Tchad du commandant Putz. Ce 3ème bataillon appartient au groupement tactique V du colonel Warabiot. Il combattra, pendant la bataille de Normandie, à Francheville, au Cercueil, à Écouché et déplorera quinze tués.
23 août, direction Paris ! La 2ème DB fonce sur la capitale d’où parviennent des nouvelles alarmantes. Les FFI se sont soulevés depuis le samedi 19. Si les Allemands ont été contraints de se replier dans quelques points d’appui, la menace de destruction totale pèse sur la ville. Les pertes parmi les combattants et la population civile sont importantes.
Mission du groupement tactique V (le colonel Warabiot a été remplacé par le colonel Billotte) : Pousser sur l’axe Arpajon – Sceaux – Paris en évitant les grandes routes. Pénétrer dans Paris en direction du Panthéon, franchir la Seine et sortir par Vincennes, Charenton puis tenir les ponts entre Ivry-sur-Seine et Neuilly-sur-Marne. Pour sa part, le commandant Putz dispose de la 2ème compagnie de chars du capitaine de Witasse, de la 4ème compagnie de chars du lieutenant de Gavardie, de la 9ème compagnie d’infanterie du capitaine Dronne, de la compagnie d’accompagnement n° 3 du capitaine Wagner, de la section de Génie de l’adjudant-chef Cancel, de la 31ème batterie d’artillerie du capitaine Touyeras et de la 1ère compagnie de DCA du lieutenant Gloaguen. 24 août, 7h30, départ par la route nationale 20. Au Nord de Montlhéry la route est minée, la section de Génie se met au travail. À Ballainvilliers le sous-groupement se heurte à une résistance allemande vite réduite puis fait jonction avec le sous-groupement Cantarel à Longjumeau. Dans l’après-midi ce sont les combats de Massy, d’Antony, de la Croix de Berny, de Fresnes et de Bourg la Reine. La nuit tombe. Il est trop tard pour entrer dans Paris. Le général Leclerc envoie le capitaine Dronne à l’Hôtel de Ville pour annoncer aux Parisiens que demain la division toute entière pénétrera dans la capitale. Le sous-groupement Putz prépare ses positions de départ et s’installe pour la nuit. Les hommes harassés ne se reposent guère, la population civile les fête, les acclame, les entoure, les embrasse, les abreuve… 25 août, 7h15, le sous-groupement entre dans Paris et se positionne place et boulevard Saint-Michel, boulevard Saint-Germain, quartier de Saint-Germain des Prés, quai Montebello. Le commandant Putz installe son PC à la Rôtisserie Périgourdine. Dans le livre La 2ème DB et la libération de Paris on peut découvrir ces photos de la compagnie d’accompagnement n° 3 rue Dauphine. Il s’agit des half-tracks Gazelle et Thalie. Nous approchons de la rue de Buci et de la rue de Seine.
Laissons la parole à un témoin direct, M. André Guérard (Comité d’histoire de la Seconde guerre mondiale 72AJ/61/I à 72AJ/62/VII) :
Vers 11h00 du matin une blindée vient prendre position avec nous au coin des rues de Buci et de Seine; nous faisons la chasse aux miliciens qui tirent des toits. Hélas ! Deux des nôtres sont tués près de nous ainsi que le caporal-chef de la 2ème DB nommé François Jacques; nous les faisons transporter à Necker. Auguste a été atteint d’une balle pénétrante au thorax. Son acte de décès précise qu’il est mort à 13h50 à l’hôpital Laënnec. Il est tombé devant l’hôtel La Louisiane où habite Jean-Paul Sartre qui sillonne Paris pour le compte du journal Combat et qui écrira Un promeneur dans Paris insurgé. L'écrivain ne fait pas état de cette fusillade, il se trouve à ce moment-là devant le Lion de Belfort, place Denfert-Rochereau. En revanche, le dimanche 20 août, à 14h00, il a pu noter la scène suivante : Une grande voix de foule, un grand rire qui crépite de fenêtre en fenêtre, des applaudissements : c’est la fête. On vient de signaler aux FFI un groupe de miliciens de Darnand, qui, d’un hôtel de la rue de Buci, essayaient de tirer dans la rue. Les FFI entrent dans l’hôtel et redescendent bientôt avec une douzaine de petits hommes jaunes, à la mine inquiète et fermée, des Japonais qui lèvent les bras en l’air. Voilà donc les hommes qui composaient la Milice « bien française » de Vichy. Soudain, le rire devient homérique : des gens se sont emparés de quelques uns de ces assassins, ils les ont déculottés et fessés énergiquement. Les voilà qui gagnent à présent la voiture cellulaire qui vient d’arriver, leur culotte sur les talons, par petits bonds, comme pour une course en sac. Aux fenêtres, il y a des rires, des fleurs, quelques drapeaux déjà, des visages de femmes. Je regarde cette foule désarmée et une sorte d’angoisse me prend à mon tour : elle a l’air si fragile, elle est heureuse, elle rit avec une espèce d’innocence. Et pourtant, parmi ces hommes, parmi ces femmes mêmes, je sais qu’il y aura demain, après-demain, d’autres victimes. Commence alors une douloureuse épreuve pour Marie Fenioux. Le 22 septembre 1944 le Service central des sépultures militaires demande au maire de Poitiers de prévenir Mme Feniaux du décès de son fils Jacques Francisco. Le fonctionnaire a dû se servir de l’attestation signée par Auguste le 24 juin et domiciliant sa mère à Poitiers. De plus il écrit Feniaux au lieu de Fenioux. Le maire de Poitiers répond le 28 septembre que l’enquête de police n’a pas permis de localiser Mme Feniaux. Nouvel échange en novembre 1944 ; l’identité réelle d’Auguste est précisée mais toujours pas d’adresse pour Marie. Nouvelles recherches à Poitiers, même constat d’échec. En décembre 1947 Marie prend sa plume et écrit au Ministre des Anciens combattants (Service des recherches et de l’état-civil).
Monsieur le Ministre, J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que mon fils Fenioux Auguste né le 17 janvier 1916 à Champagné-Saint-Hilaire, engagé volontaire en 1935 au 6ème Tirailleurs algériens, est rentré en France avec son régiment au début de la guerre 1939. Son régiment disloqué, il est venu à Épanvilliers par Blanzay (Vienne), où j’habite, puis est reparti pour la zone libre. Depuis août 1941 je n’ai plus de nouvelles de lui. Je crois qu’il s’est engagé dans l’armée de la résistance ou dans les troupes coloniales. Signalement de la plaque d’identité réelle : Fenioux Auguste, classe 1934 Poitiers. Deuxième signalement : Jacques Francisco, caporal-chef au 3ème corps RMT, matricule 29. Je vous serais obligée, Monsieur le Ministre, de bien vouloir prescrire des recherches pour savoir ce que mon fils est devenu. Cette lettre débloque enfin la situation. Un avis de décès est envoyé à la mairie de Blanzay le 5 février 1948 ; le Service d’état-civil indique également qu’Auguste Fenioux a été inhumé au cimetière de Bagneux; Marie Fenioux pourra récupérer le corps de son fils en 1949. Édith pense que sa grand-mère a dû obtenir le pseudonyme d'Auguste par la Croix-Rouge ou un autre organisme, à moins que ce ne soit grâce à M. Debenest.
Le 15 avril 1954 Auguste Fenioux, mort pour la France, est décoré de la Médaille militaire à titre posthume Mais l’histoire de cette plaque ne s’arrête pas là. Auguste, qui s’est caché depuis 67 ans sous le nom de Jacques Francesco aux yeux des centaines de milliers de passants qui ont traversé la rue de Seine, va peut-être connaître enfin une reconnaissance posthume et bien légitime. Thierry entend faire rectifier l’inscription sur le marbre. Il a entrepris des démarches auprès de la 2ème DB et de la Mairie de Paris. Édith et Claude ont établi une généalogie complète de la famille ; Claude envisage d’écrire un roman, inspiré de faits réels, sur la vie pour le moins mouvementée de cet oncle si discret. Il nous livre ici ses premières lignes : 25 août 1944. Il y a presque trois mois que les Alliés ont débarqué en Normandie. Accueillie par une population en liesse, la 2° D.B. est entrée dans Paris. La veille, le capitaine Dronne et sa compagnie ont pris place autour de l’Hôtel de Ville. Sur directives du commandant Putz, la 3° Compagnie d’Appui du 3° Régiment de Marche du Tchad et la 2° compagnie de chars du 501ème R.C.C remontent le boulevard Saint-Michel pour s’emparer du Sénat et empêcher la garnison allemande qui l’occupe de se déployer dans la capitale. Dans la Cour d'honneur, 700 hommes sont sous les armes, commandés par le colonel Kayser. Au petit matin, il a fait distribuer à chacun de ses soldats, un paquet de cigarettes et un demi-litre de cognac. Le ciel est d’un bleu d’azur, sans aucun nuage. La chaleur commence à être étouffante. Rue de Seine (qui part de la Passerelle des Arts pour se diriger vers le Luxembourg, à travers les quartiers de la Monnaie, de l’Odéon et de Saint-Germain des Près), le soldat de première classe Ardan * déploie sa haute taille. Il passe son fusil dans sa main gauche et de la droite relève le bord du casque lourd qui commence à le gêner considérablement. La sueur inonde son front, lui brûle les yeux. Cherchant un mouchoir dans sa vareuse afin de s’éponger, il ne peut finir son geste. Une balle le plie en deux. Le bruit du char qu’il escorte avec sa section, a en partie couvert la détonation. Le caporal-chef Auguste Fenioux, qui précède Ardan, se retourne aussitôt et se précipite vers son camarade, s’accroupissant près de lui. – C’est parti de là-haut, du toit, sur la gauche, s’écrie le blessé la main crispée sur son flanc. Des miliciens, j’en suis sûr, ils doivent être plusieurs ! Attention ! Je suis touché sur le côté, mais je pense que ce n’est pas trop grave… Tandis qu’il regarde sa main toute tachée de sang, il n’a pas le temps d’en dire plus. Une nouvelle détonation se fait entendre et Fenioux, qui a levé la tête et s’est tourné, s’abat à son tour. – Gus, hurle Ardan dans un cri de douleur et de rage, mettons-nous à couvert, on va se faire tirer comme des lapins ! Frappé d’une balle au thorax, le caporal-chef s’écroule. Pile devant le n° 60 (où ont habité l’écrivain égyptien Albert Cossery, Juliette Gréco, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir), à l’angle de la rue de Buci. Il est 11 h du matin. Immédiatement transporté à l’Hôpital Laennec tout proche, Auguste Fenioux y décède à 13 h 50. Il avait vingt-huit ans. * nom d'emprunt Un grand merci à Édith, Thierry et Claude qui ont bien voulu me confier tous ces documents et faire revivre, pour mes lecteurs, le caporal-chef Auguste FENIOUX, alias Francisco JACQUES. |
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à suivre …. |