7 heures : la sonnerie du téléphone m’arrache du lit, c’est Loiseau qui me demande d’essayer de venir au bureau en compagnie de Sainte-Marie. Il désire nous donner des instructions pour procéder à la saisie des stocks de charbons allemands sur différents chantiers.
8 heures : je prends Sainte-Marie boulevard Raspail et nous pédalons vers la Concorde à travers des avenues désertes. Là-bas sur la place, le Palais Bourbon s’érige, citadelle menaçante défendue par ses blockhaus de ciment et des rangées de barbelés. Sous la menace d’une mitraillette, nous sommes fouillés par un poste allemand qui, sur présentation de nos cartes de contrôle, nous laisse passer sur le pont de la Concorde. La place est vide, sur laquelle sont braquées des mitrailleuses. Le ciel pesant comme une mer de plomb, rend plus lugubre encore l’aspect de ce quartier d’où toute vie semble avoir disparu. Il nous semble être des explorateurs d’un autre monde, parmi des édifices qui ne seraient que des vestiges d’une vie passée. Sur les Champs-Elysées, de la Concorde à l’Etoile, nous ne rencontrons au maximum qu’une dizaine de personnes pressées, le visage empreint d’anxiété. En passant, nous avons vu l’aile gauche du Grand Palais aux murs noircis par l’incendie de la veille.
Il pleut. L’Arc de Triomphe est noyé dans la brume, forme imprécise d’un gigantesque vaisseau fantôme. Il pleut sur les fleurs qui couvrent la chaussée rue Washington, à l’endroit marqué d’une tâche brune où le sang d’un Français hier a coulé.
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La voiture du gardien de la paix André Delobelle, 33 ans, du commissariat du 8ème arrondissement, n'a pas obtempéré aux sommations d'une patrouille allemande qui a ouvert le feu. Le gardien Piquet a réussi à s'échapper, André Delobelle, grièvement blessé, a été achevé d'une balle dans la tête et laissé sur place.
Et voici que le ciel crève en cataractes, si bien que Loiseau arrive trempé jusqu’à la moelle, jurant, pestant, grelottant ; il lui a fallu sous ce déluge traverser Paris hérissé de barricades d’où parfois partent des coups de feu.
12 heures : nous rentrons par des avenues moins désertes, mais nous sommes seuls place des Invalides quand un coup de mousqueton déchire l’air. Nous ne cherchons pas à savoir à qui il était destiné et nous pédalons à bonne allure. Le reste du retour se fait sans histoire.
14 heures : On vient me prévenir que pour empêcher les boches en retraite de rentrer dans Paris, on construit des barricades à la Porte d’Orléans et qu’il faut en organiser une au coin de la rue Friant et du boulevard Brune. Il s’agit de faire vite car les allemands se replient en tirant sur tout ce qui sort des maisons. Je me rends rue Friant où un lieutenant des Milices Patriotiques me demande de prendre la direction de quelques volontaires pour ériger un obstacle solide. Les sacs de sable Défense passive sont descendus des immeubles, je fais aussi barrer la rue par un mur de un mètre de haut puis je fais abattre trois arbres qui viennent le protéger et le camoufler. J’ai fait réquisitionner des pioches et ……
Roger, de dos, dans le feuillage de l'arbre abattu
Ainsi se terminent les notes de Roger. N'a-t-il pas eu le temps de continuer ? La suite s’est-elle égarée ? La journée du 25 août 44 ne comporte que quelques annotations prises sur le vif difficilement déchiffrables.
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