La nuit a été calme dans notre quartier, la curiosité me brûle à nouveau de voir le visage de Paris ; je calcule les risques encourus la veille mais je me décide à aller au Temple de la Rédemption, rue Chauchat ; on m’a dit qu’il y avait eu une furieuse bataille à Strasbourg Saint-Denis entre chars et insurgés la veille ; on s’est aussi battu à Barbès et d’autres coins de Montmartre.
8h15 : Je passe en vélo devant le poste allemand de la Porte d’Orléans qui s’est retranché derrière des remblais de sacs à terre et des chevaux de frise. Tout est calme et quasi désert jusqu’au boulevard Saint-Michel mais voici qu’au carrefour Cluny un camion allemand criblé de balles obstrue la chaussée. Tout autour des civils à brassard tricolore, le revolver ou le fusil au poing. La vitrine du magasin de chaussures Raoul est démolie ainsi que le kiosque à journaux ; sur la chaussée un casque allemand dans lequel des morceaux de cervelle sanguinolents adhérent au cuir.
Roger a remarqué un casque allemand près d'un camion criblé de balles au carrefour Cluny. Par un hasard extraordinaire, il y a quelques mois j'ai pu discuter avec un ancien commandant des FFI qui m'a raconté l'épisode suivant :
Un camion allemand, venant du Luxembourg, est mitraillé et vient buter sur le trottoir devant le magasin de chaussures Raoul. Un gamin équipé d'un fusil aussi grand que lui tire sur les soldats qui s'enfuient vers la station de métro Cluny. Le commandant FFI se précipite dans le camion et récupère des grenades. Il se retourne aussitôt et les lance sur les fuyards.
Manifestement Roger est passé carrefour Cluny quelques instants après.
On me laisse passer mais je ne vais pas loin ; au coin de la rue Saint-Séverin il y a des hommes armés, une grande planche avec des clous formant herse renversée barre la chaussée ; je descends de vélo et pose quelques questions aux insurgés parmi lesquels des femmes, pistolet à la main. Tout à coup des coups de sifflet donnent le signal de la fusillade ; on tire de partout sur un camion allemand qui vient des quais ; j’abandonne ma bicyclette et me réfugie sous une porte cochère durant un quart d’heure que dure la bagarre car les Allemands ripostent. J’observe un manque d’ordre et de sang froid total chez les Francs tireurs ; il s’agit d’éléments communistes qui tiennent le quartier ; une majorité de très jeunes gens sans discipline ni méthode qui tirent souvent au risque d’atteindre leurs camarades. On emmène deux blessés.
Décidément je ne pourrai pas, sans grave danger, aller rue Chauchat car je ne suis pas armé et les risques sont trop grands. Durant une accalmie je reprends le boulevard Saint-Michel et m’arrête devant le lycée Saint-Louis qui servait de caserne à la Milice et qui est maintenant occupé par la Garde Républicaine. Je parle un quart d’heure durant avec les gardes qui portent le brassard FFI. J’apprends que les insurgés tiennent tout le centre de Paris du côté de l’Ile de la Cité et que les boches sont retranchés dans des bâtiments forteresses tels que le Sénat dont ils défendent les abords.
Je rentre Porte d’Orléans puis ressort et passe en vélo devant le Jardin du Luxembourg pour aller au culte à Saint-Marcel près le Val de Grâce. On entend parfois quelques coups de feu qui troublent l’atmosphère de prière et de recueillement.
16h00 : J’ai invité à goûter chez nous toute la jeunesse de la maison ; on joue au bridge, on fait marcher le phono. Tout à coup la fusillade crépite sur Montrouge où les insurgés tiennent la Mairie ; puis voici que les allemands tirent sur le bâtiment au canon de 37 ; nous apprenons au bout d’une heure qu’ils se sont retirés et qu’il y a des morts des deux côtés.
Vers 20h00 nous allons à la Porte d’Orléans où il y a foule et nous apprenons qu’une trêve est conclue entre les Allemands et les chefs insurgés de la Préfecture. Les allemands doivent évacuer Paris et le Comité de Libération administrer la ville. Un commandant allemand, qui depuis huit jours dirige la circulation à la Porte d’Orléans, discute avec un civil armé porteur de brassard ; ils sont entourés par une foule avide de nouvelles cependant qu’à vingt mètres de là d’autres curieux entourent une voiture allemande criblée de balles où agonise un soldat feldgrau. Je lie conversation avec un homme qui me dit faire partie de la Résistance ; jusqu’à présent, m’affirme-t-il, le mouvement officiel des FFI n’est pas entré en action ; lui-même a ordre de ne pas bouger ; seuls les communistes et quelques autres éléments ont eu recours aux armes.
Enfin la soirée se passe dans le calme.
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