Françoise – Les carnets de mon père – 18 Août 1944

Il est impossible d’avoir du pain dans notre quartier et l’on ne peut faire de cuisine. 

11h30 : Je rencontre ma voisine Madame Reuter et nous décidons de partir en vélo à la recherche de pain ; périple par les boulevards de ceinture, rien à la Porte d’Italie, Porte d’Ivry, Porte de Charenton, Porte Dorée, Porte de Vincennes ; nous arrivons trop tard à la Nation où 500 personnes ont fait la queue pour 100 pains ; bredouilles à la gare de Lyon, à la Bastille, à la Place d’Italie, à Denfert Rochereau ; nous rentrons et nous contentons de tomates crues avec pain grillé de réserve. 

15h00 : Nous partons en bicyclette, Madame Reuter, Monsieur Decamps et moi-même en quête de pain ; Faubourg Montmartre nous réussissons à acheter deux pains de fantaisie ; nous continuons sur Châteaudun ; une atmosphère extraordinaire règne dans Paris, foule due à l’absence de métro regardant la retraite allemande qui commence. En effet les boches s’en vont, les camions défilent qui nous rappellent ceux de notre armée en juin 1940 ; sur les boulevards il passe des camions hippomobiles porteurs de troupes … curieux spectacle.


Rue de Rivoli : quatre soldats allemands escortent dix chariots tractés par un cheval …

Mais nous voici rue de Provence, le spectacle devient alors inouï : de longues théories de fourragères de ferme, remplies de boches fatigués et sales, se dirigent vers la gare de l’Est par la rue La Fayette … triste caricature de l’orgueilleuse armée motorisée que nous étions accoutumés de voir. Et la foule dense et goguenarde les regarde passer. Au carrefour Châteaudun l’immeuble de la Milice est fermé, il n’y a plus de garde. Mais voici qu’à Saint Georges nous assistons au déménagement de la L.V.F (Légion des Volontaires Français) qui entasse ses bagages dans des camions hâtivement réquisitionnés, sous la protection de légionnaires rageurs qui braquent sur la foule les canons de leurs mitraillettes.

Rue de la Chaussée d’Antin la foule est compacte, l’air chargé d’électricité, chacun semble vivre intérieurement l’histoire qui se fait en ce moment ; Paris a revêtu un visage nouveau, tout semble transformé et cependant rien n’est définissable ; les impressions nous saisissent que l’on ne peut analyser.

Notre trio, pratique, récolte trois pains à la boulangerie Syda. Nous traversons le boulevard Haussmann où règne la plus indescriptible cohue ; la foule le long des trottoirs, sur trois ou quatre rangs, regarde l’enchevêtrement des véhicules allemands de toutes sortes qu’un service de la Feld Gendarmerie n’arrive point à canaliser. Nous rentrons Porte d’Orléans et observons au long du chemin cette mue d’une ville qui se dépouille d’une gangue d’oppression. A Denfert-Rochereau nous voyons le spectacle étonnant d’un officier de la Luftwaffe conduisant lui-même un tracteur agricole qui remorque un plateau où ses hommes sont entassés.


mardi 15 août 1944
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