La libération du 20ème

La présence allemande reste relativement discrète pendant l’occupation dans cet arrondissement populaire de l’Est parisien comprenant les quartiers Belleville, Saint-Fargeau, Père-Lachaise et Charonne. Il n’y a ni bureaux cossus ni hôtels de luxe. La Feldgendarmerie a réquisitionné un immeuble rue du Capitaine-Marchal, les Services de l’Intendance font travailler l’Usine d’optique et de mécanique de haute précision au 125, boulevard Davout, les Services des transmissions utilisent les locaux de Radio-Segon, rue Orfila, pour former du personnel civil français. Pour voir des soldats allemands en nombre il faut se diriger vers la caserne des Tourelles, près de la Porte des Lilas, dont les bâtiments accueillent un régiment d’infanterie avec état-major, un office de placement de la main-d’œuvre en Allemagne, un magasin-entrepôt pour les colis des prisonniers de guerre, un centre d’internement administratif géré par la Préfecture de police et un centre de rassemblement pour étrangers.

barricades à Belleville

Mais la tradition révolutionnaire des habitants du 20ème n’est pas une légende. Dignes descendants des Communards de 1871, ils sauront hérisser leurs quartiers de barricades et se battront pour empêcher les Allemands de fuir la capitale. Le 14 juillet 1944 déjà ils ont su prouver leur capacité de mobilisation en descendant en nombre boulevard de Belleville pour manifester à l’occasion de la Fête nationale. Drapeaux tricolores, lancers de tracts, Marseillaise… le commissaire de police du 20ème et les inspecteurs des Brigades spéciales n’arrivent pas à contenir le cortège. « La police avec nous ! » hurle la foule. Des gardiens de la paix descendent des cars et se joignent aux manifestants. D’autres abandonnent leur service, déclarant qu’ils en ont assez des ordres qu’on leur donne. Le commissaire ne peut que laisser faire. Néanmoins quand la foule se disperse vers 18h30 des inspecteurs des B.S prennent en filature deux militants qu’ils ont repérés. Ils les suivent jusqu’à la rue du Faubourg-du-Temple où ils les arrêtent dans un café. Tentative d’évasion ? Yves Toudic est abattu, Charles Grodzenski, grièvement blessé, parvient à s’enfuir. Le 22 juillet un certain R. I, mécanicien, réchappe de peu aux coups de feu tirés par des inconnus rue de Ménilmontant. Le 9 août des explosifs sont découverts sur la voie du tunnel Sabin. A partir du 15 août des camions allemands défilent à toute vitesse sur le boulevard Davout. Ils sont chargés de meubles et d’objets divers mal dissimulés sous des bâches de camouflage. 

19 août 1944, en investissant la Préfecture et en démettant de ses fonctions le Préfet les mouvements de résistance de la police lancent l’insurrection. Des fusillades éclatent aux Buttes-Chaumont et à Ménilmontant. Le groupe Libération s’empare de la mairie place Gambetta. Raymond Bossus, conseiller municipal communiste déchu en 1939, prisonnier évadé et responsable des unions départementales de la CGT illégale pendant l’occupation est nommé président du Comité de libération.  FFI et Milices patriotiques sortent au grand jour et font le coup de feu contre les véhicules allemands isolés. Il s’agit de s’armer sur l’ennemi. Ce sont les ordres de l'état-major du colonel Rol-Tanguy.

dessin L'Ami du 20ème

20 août, 16h45, des chars attaquent la mairie qui est évacuée en hâte. L’hôpital Tenon enregistre quatre décès suite aux mitraillades dans les rues de l’arrondissement : Paul Michaud, Aimée Pucelle née Charbet, Alphonsine Rebière née Jouannaud et Louis Serre.

le poste de Charonne, le gardien Marcel Imbert en médaillon

21 août, 12h40 : le Central police du 12ème prévient la Préfecture que les Allemands attaquent le poste de Charonne et massacrent tous les gardiens de la paix. Dix minutes plus tard nouvel appel : le poste est aux mains des Allemands. A 13h20 : deux gardiens ont été tués, le poste est occupé ; les Allemands sont environ 20 et possèdent une automitrailleuse. Le responsable du 12ème demande des instructions pour attaquer.

En fait un groupe de soldats allemands et de miliciens est venu pour délivrer des collaborateurs incarcérés dans le commissariat de police de la rue des Orteaux. Prenant vite le contrôle du poste malgré la résistance des agents, les assaillants rassemblent leurs prisonniers dans la cour et abattent les gardiens de la paix Marcel Imbert et Armand Jeudy d’une balle dans la tête. Le FFI Marcel Bellanger, mortellement blessé au cours de l’attaque a été évacué dans sa boutique toute proche au 94, rue des Maraîchers où il décède dans les minutes qui suivent.

22 août, 19h55, 30 hommes dont 20 gardiens de la paix sont attaqués par 10 Allemands à l’angle de la rue des Pyrénées et de la rue d’Avron indique la main-courante de la Préfecture de police. Une plaque commémorative semble indiquer que l’accrochage a eu lieu 500 mètres plus loin à l’angle de la rue d’Avron et du boulevard de Charonne. Les FFI Richard Baldachino, 22 ans, Jean Dacher, 40 ans, et Maurice Dupuis, 22 ans, sont tués.

L’hôpital Tenon enregistre le décès de 4 personnes suite aux mitraillades dans les rues de l’arrondissement : Elie Borie, Emile Hermans, Charles et Jeanne Sasia.

photographie L'Ami du 20ème

23 août, des trains allemands sont signalés à la gare Belleville-Villette. Les FFI des 19ème et 20ème arrondissements les capturent et s’emparent de leur chargement. Lire l'article Attaque de trains sur la Petite-Ceinture.

24 août, 8h45 le bureau du 20ème signale les voitures 504 RL 9 et 4537 RK 7 montées par des pillards et des miliciens, et la 6940 RL 9 montée par des membres de la Gestapo. Sur le boulevard Mortier des convois de camions allemands défilent à toute vitesse. Ils se dirigent vers la porte de Vincennes pour tenter de gagner la banlieue Est de Paris. Des barricades ont été dressées pour gêner leur passage. Un filin a même été tendu à la hauteur de la rue de la Justice mais lorsque les FFI ouvrent le feu sur les camions les soldats ripostent en lançant des grenades. Le lieutenant FFI Henri Louvigny, 28 ans, alias François Brugère, en récupère une pour la renvoyer mais elle lui explose dans la main. Il décèdera à l’hôpital Tenon. 

Plus bas, sur le boulevard Davout, c’est le FFI René Noël, 23 ans, du groupe de choc du lieutenant-colonel Ferrari, qui est tué à la hauteur du numéro 154. L’hôpital Tenon enregistre le décès d’Achille Huchin. 

Dans la soirée une incroyable nouvelle se propage : une colonne de soldats français a atteint l’Hôtel de Ville. Théodore Devanz et son fils Jean grimpent au clocher de l’église Saint-Germain de Charonne et font sonner les cloches à toute volée comme la consigne en a été donnée à la Radio nationale redevenue libre. Toutes les cloches de Paris sonnent pour célébrer l’événement ! Lire l'article Les cloches de Saint-Germain de Charonne.

25 août, les soldats de la 2ème Division blindée du général Leclerc entrent dans Paris. Ils se battent à la Concorde, aux Tuileries, à l’Ecole Militaire, au Sénat et à l’Assemblée nationale. Les habitants du 20ème découvrent avec stupeur les GI’s de la 4ème Division d’infanterie qui progressent prudemment dans les rues et font halte devant la mairie. Quelle allure ! Quelle décontraction ! Et ils distribuent cigarettes et chewing-gum… Les Américains ont été chargés d’investir les quartiers Est de Paris et de se porter à Vincennes. 

26 août, tout le monde se précipite dans le centre de la capitale. C’est sur les Champs-Elysées et rue de Rivoli que l’on pourra applaudir le général de Gaulle, le libérateur de la France. Hélas la fête est gâchée par les tireurs des toits qui tiraillent sur la foule. Le brigadier de police du 20ème Louis Fleury, 43 ans, réquisitionné pour le service d’ordre est tué par un homme posté à l’angle de l’avenue de Friedland.

des FFI du 20ème prennent la pose devant Doisneau

Vers 23h00 des sirènes. Des avions allemands approchent. Le fracas des bombes. Le raid vengeur de la Luftwaffe fera de nombreuses victimes dans le quartier de la Réunion où l’immeuble du numéro 20 s’écroule, décimant les familles Bodenes, Charvet, Legraverant, Tarlier et Lambert.  Lire l'article Le bombardement du 26 août.