La prise du Sénat

Le 25 août 1944 pour réduire le nid de résistance du Palais du Sénat et des Jardins du Luxembourg, les F.F.I du colonel Fabien et les soldats de la 2ème Division blindée du général Leclerc devront livrer une dure bataille.

L'état-major de la Luftwaffe pour le tout le Front de l'ouest  s'est installé dans le Palais en 1940 et y a réalisé des aménagements défensifs qui vont compliquer singulièrement la tâche des assaillants. Le personnel de l'état-major a quitté les lieux à partir du 10 août et a été remplacé par une troupe d'environ 600 hommes sous les ordres du colonel von Berg et composée en partie de SS.

 Le plan de défense prévoit des chars en réserve dans la Cour d'honneur du Palais, des barrages épaulés par des chars face au Nord rue de Tournon, à l'Est rue Soufflot, des blockhaus  rue de Vaugirard et boulevard Saint-Michel, et enfin d'autres barrages à l'Ouest rue Guynemer, au Sud rue Auguste Comte, à l'Est boulevard Saint-Michel.

Depuis le début de l'insurrection la garnison allemande se montre particulièrement nerveuse quand elle patrouille dans les rues avoisinantes ou qu'elle lance des chars sur le boulevard Saint-Michel en direction de la Préfecture de police.


La garnison, sur ses gardes, est particulièrement nerveuse. Les coups de feu partent vite. Le 17 août, en haut du boulevard Saint-Michel, des sentinelles entourées par une foule de curieux prennent peur et ouvrent le feu. On relèvera cinq morts dont Marie Prunier, 57 ans.

Le 19 août, vers 13h30, un side-car remonte la rue Soufflot en direction du Panthéon et disperse brutalement la foule qui s'est rassemblée sur la place. Le gardien de la paix Alexandre Massiani, 34 ans, dégaine son arme mais est aussitôt abattu d'une rafale de mitraillette. Il décèdera le surlendemain à l'hôpital.

Vers 21h00, une sentinelle postée dans les Jardins tire sur deux policiers qui rejoignent le commissariat du 14ème après avoir participé à la prise de la Préfecture de police. Gaston Gathelier, 46 ans, décèdera le lendemain à l'hôpital, son collègue Boulanger sera amputé d'une jambe.

Le 22 août Robert Houbré est abattu à l'angle de la rue de Vaugirard et du boulevard Saint-Michel.

Nombreuses seront les victimes blessées par les patrouilles allemandes dans le quartier et qui décèderont dans les hôpitaux parisiens aux alentours.


Le 25 août 1944, Pierre Georges, 26 ans, alias "colonel Fabien", chef des Unités de choc des F.F.I, est chargé de réduire le nid de résistance. Il sera épaulé, au Nord, par les chars et l'infanterie du sous groupement Putz de la 2ème Division blindée et au Sud par les chars du capitaine de Boissieu, de l'escadron de protection du général Leclerc. Le colonel Fabien dispose de 200 hommes pour attaquer le Luxembourg par l'Est et le Sud et d'une bonne centaine pour la façade Nord. Parmi ses F.F.I, des hommes du 1er Bataillon d'Eure et Loir.

Fils d'un ouvrier boulanger qui sera fusillé en août 1942, Pierre Georges s'est porté volontaire au bataillon français des Brigades internationales pendant la Guerre d'Espagne. Le 23 août 1941, à la station Barbès du métro parisien, il abat l'aspirant de la marine allemande Moser en représailles à l'exécution d'otages. Chef d'un groupe de sabotage dans le Doubs en 1942, commandant la région Nord Picardie en 1943, instructeur dans l'Oise, il a été arrêté par les Brigades spéciales des Renseignements généraux mais a pu s'évader du Fort de Romainville. Il prendra le commandement du 151ème Régiment d'infanterie des F.F.I qui rejoindra l'Armée de Lattre sur le front d'Alsace. Le colonel Fabien est mort avec Paimpaud dit "colonel Dax", le capitaine Lebon, l'agent de liaison Gilberte Lavaire, alias "Nicolle" et l'officier de liaison de l'état-major de de Lattre de Tassigny le 27 décembre 1944, dans l'explosion du poste de commandement du Régiment, à 6 kilomètres de Mulhouse. Bombardement du P.C ? Accident lors de manipulations d'engins explosifs ?

Le lieutenant-colonel Putz, envoie la 10ème compagnie d'infanterie du 3ème R.M.T et la 2ème compagnie de chars du 501ème R.C.C remonter le boulevard Saint-Michel pour investir le Luxembourg et empêcher la garnison allemande de se répandre dans les rues de Paris. Il ignore le nombre exact de blindés tenus en réserve dans la Cour d'honneur. Le capitaine de Boissieu, commandant l'escadron de protection du général Leclerc, arrivant du Sud et dont la mission principale est de protéger le P.C du général qui se rend à la Préfecture de police, s'occupera des Jardins de l'Observatoire, du Lycée Montaigne et remontera vers l'Ecole des Mines par le boulevard Saint-Michel. A la première approche ses chars de tête sont immédiatement pris sous le feu ennemi. Manifestement un observateur guide les tirs de la coupole du Sénat. Au Nord les fantassins du capitaine Sarrazac escortent les chars du capitaine de Witasse. Place de la Sorbonne le Lützen, de la 2ème section, essuie le tir d'un blindé ennemi tapi rue de Vaugirard près de l'Odéon. Des F.F.I sont blessés.

Robert Faille, 22 ans, F.F.I du groupe Poulain de la compagnie Barrat de Sars, est tué à l'angle du boulevard Saint-Michel et de la rue Monsieur le Prince.


La tête de la colonne arrive place Edmond Rostand. André Corler, 27 ans, adjudant de la 2ème compagnie de chars, est monté dans un appartement au premier étage de l'immeuble qui fait l'angle de la rue de Médicis pour observer, à l'abri des volets entr'ouverts, les soldats allemands postés derrière les grilles du Jardin. Il est mortellement atteint par une rafale de mitraillette partie d'un petit blockhaus. Un char Panther, posté rue de Médicis, interdit la place et le carrefour de l'Odéon. La Moskowa, de la section de commandement, guidé par le capitaine de Witasse à pied devant lui, s'approche par le rue de Vaugirard et l'immobilise d'un coup dans la chenille gauche. L'équipage allemand abandonne le char et se réfugie dans le Sénat. Le capitaine de Witasse installe ses chars en surveillance, prêts à s'opposer à toute sortie en force de la réserve de blindés allemands. Il a envoyé la 3ème section du lieutenant la Bourdonnaye contourner la place Edmond Rostand par la rue Soufflot pour revenir à l'Est des Jardins sur le boulevard Saint-Michel à hauteur de l'Ecole des Mines.

André Lozet, 20 ans, qui marche devant le char de tête, est mortellement blessé par une rafale de mitrailleuse sur le boulevard Saint-Michel. Il décèdera le lendemain à l'hôpital du Val de Grâce.

 

On peut relever un grand nombre de plaques commémoratives autour du Jardin du Luxembourg sur le boulevard Saint-Michel, rue d'Assas, rue Auguste Comte, rue Gay Lussac. Elles témoignent de l'intensité des combats qui s'y déroulèrent jusqu'à  la fin de l'après midi. La garnison allemande, mais surtout les troupes SS, n'a pas l'intention de se rendre. Les murs du Sénat et un socle de statue dans le jardin portent encore les impacts de balles.


la carte des combats (Edith Thomas "La libération de Paris") agrandir

Jean Arnould, gersois de 24 ans se faisant appeler Alain Portier et conducteur de l'obusier La Couleuvrine, est mortellement atteint en entrant le premier dans le Jardin par la grille qui donne sur la place Edmond Rostand. Ses camarades de l'escadron de protection du général Leclerc parviendront à le récupérer sous la mitraille mais il décèdera quelques heures plus tard.

Raymond Bonnand, 19 ans, F.F.I du 15ème, tombe 105 boulevard Saint-Michel.

Jean Bachelet, 33 ans, adjudant des F.F.I de Neuilly Plaisance, est blessé 79, boulevard Saint-Michel. Il décèdera le lendemain à l'hôpital du Val de Grâce.

Le spahi du 1er R.M.S.M Pierre Bounin est tué 62, boulevard Saint-Michel

Âgé de 20 ans, Jacques Guierre est le fils du capitaine de vaisseau et écrivain maritime Guierre, bien connu avant guerre. Jacques, F.F.I du 9ème, observe le Jardin du Luxembourg de la place de l'Odéon. A 13h30 il est atteint d'une rafale d'arme automatique. Il décèdera quelques instants plus tard au poste de secours de l'École de médecine.

Le sergent des F.F.I de Fontenay aux Roses, Jean Lavaud, 31 ans, est tué 55, rue d'Assas. Son corps est transporté à l'hôpital Cochin.

entré dans l'armée en 1934, blessé en 1940, a rejoint la Résistance en 1943; (photo et renseignements fournis par Iris Bazin).

Jean Revers, 28 ans, chasseur de l'escadron de protection du général Leclerc, tombe 66, boulevard Saint-Michel. Il décèdera à l'hôpital du Val de Grâce.

Jean Montvallier-Boulogne, 20 ans, F.F.I du 14ème, tué 60, boulevard Saint-Michel

Le lieutenant Jules Martinet, 46 ans, des F.F.I du 1er Bataillon d'Eure-et-Loir, est blessé 64 boulevard Saint-Michel. Il décède au poste de secours de l'Ecole de Médecine.

Plus de précisions sur le site de l'Association de recherche pour la mémoire de la résistance en Eure-et-Loir A.R.M.R.E.L

Il faut citer également, même si aucune plaque ne les commémore : Georges Trullemans des F.F.I de Puteaux; Charles Palant, 45 ans, tué 3, avenue de l'Observatoire; Charles Chambon, 32 ans, gardien de la paix du 5ème arrondissement, très grièvement blessé par une balle explosive, rue Soufflot, et qui décèdera le 18 juin 1945 (Chef de pièce de D.C.A en 1940, il s'était distingué à Dunkerque); et deux victimes de balles perdues rue Bonaparte ainsi qu'un F.F.I de Châtenay-Malabry.

Après la capitulation du général von Choltitz à la Préfecture de police, des équipes comprenant un officier de la 2ème Division blindée et un officier allemand sont chargées de porter, aux derniers nids de résistance, l'ordre de cesser le feu.

Le colonel d'artillerie Crépin, accompagné d'un colonel d'état-major allemand, arrive en auto mitrailleuse devant le Sénat. Il y pénètre à pied, un fusil dans le dos, et montre au colonel von Berg, commandant la garnison, l'ordre du général von Choltitz. Si l'ordre n'est pas exécuté, les soldats allemands ne seront pas considérés comme des prisonniers de guerre. L'argument est décisif mais les officiers SS, présents au milieu de leurs troupes, protestent vigoureusement. Ils peuvent encore se défendre et tenir. Dehors on entend les hauts parleurs des voitures de la Préfecture de police annoncer à la population que le Sénat sera bombardé à partir de 19h00 par l'aviation. Après de longues palabres la reddition est acquise. Le colonel von Berg a une heure devant lui pour passer le message à tous ses hommes éparpillés dans les bâtiments et dans les Jardins. Des spahis marocains de la 2ème Division blindée et des F.F.I du 6ème sont parvenus enfin à pénétrer dans l'îlot de la rue Auguste Comte sous la conduite de Mr Cuny, conservateur du Jardin. Quelques soldats allemands tirent leurs dernières cartouches. C'est fini.

 


Dès le lendemain 26 août et sur la foi de plusieurs témoignages des fouilles sont entreprises dans les allées des Jardins. Les Allemands y auraient fusillé des prisonniers faits aux premiers jours de l'insurrection.

Une fosse commune est effectivement découverte. Sept cadavres sont exhumés. Sur cette photo on n'en voit que six, le photographe de l'identité judiciaire n'a pas attendu que le corps de Henri Bessot soit remonté. Les victimes sont : Louis Gallon, 23 ans; Marcel Huttin, 21 ans; Jean Robeaux, 40 ans, F.F.I du Front national du 5ème; Henri Bessot, F.F.I et membre de la Défense passive; Jean Dugarreau, 34 ans, gardien de la paix; Arthur Pothier, 41 ans, gardien de la paix; André Monnier, 35 ans, gardien de la paix. Certains de ces hommes possédaient encore leurs papiers d'identité, pour les autres les familles durent reconnaître les cadavres à partir des vêtements, des bagues et des chaussures. Les trois gardiens de la paix ont été vus pour la dernière fois le 19 août vers 16h00 alors qu'ils se dirigeaient en voiture à la Préfecture de police. En fait ils avaient été interceptés à la hauteur du pont d'Austerlitz, d'abord conduits aux Magasins généraux puis au Sénat et fusillés le lendemain, 20 août, avec les autres prisonniers.