Les cloches de Saint-Germain-de-Charonne

La famille Devanz s’installe vers 1850 dans le quartier de Charonne qui sera rattaché à Paris en 1860 par Napoléon III. Les grands-pères sont artisans ébénistes rue des Haies et demeurent rue des Orteaux. Jean Devantz, son père, sa mère et ses quatre frères habitent pendant l’occupation 125, rue de Bagnolet. C’est à la fenêtre de cet appartement que la mère du petit Jean accrochera un drapeau tricolore confectionné tant bien que mal avec les moyens du bord tandis que son père est descendu prêter main-forte aux bâtisseurs. Jean n’a que sept ans en 1944 mais sa mémoire est intacte. Il fréquente, rue des Prairies, l’école Saint-Germain de Charonne. La femme d’un instituteur surveille les enfants dans la cour de récréation de la fenêtre de son appartement. Les indisciplines constatées coûtent quelques pommes de terre à ramener même au plus fort des restrictions. Le mari, lui, revend les billes confisquées et les capsules de bouteilles qui servent à jouer à la « tique lancée ».  Les caves de leur immeuble sont utilisées comme abri en cas d’alerte ; elles sont bien éclairées et aménagées, la famille y est descendue quelques fois. 

 

                                                                                                                               

 

 

Le quartier n’a pas vu trop de soldats allemands pendant l’occupation, les plus proches tiennent garnison à la caserne Mortier qui sert également de centre de détention. Le  père de Jean est menuisier attitré auprès de l’Eglise de Saint-Germain de Charonne. Non fumeur, il échange ses cartes de tabac contre de la nourriture. S’il n’a pas le souvenir que sa mère ait acheté au marché noir, en revanche Jean se souvient très bien de la charcutière de la rue Saint-Blaise qui n’hésitait pas à rajouter des morceaux de couenne pour « alourdir » ses tranches de jambon. Pour la petite histoire le film tiré du roman de Jean Dutourd,  Au bon beurre , a été tourné à cet endroit… Grâce aux relations de sa grand-mère maternelle Jean va parfois travailler chez M. Poly, épicier au 22, rue de Bagnolet. Il s’agit d’astiquer les pommes pour les rendre plus appétissantes. Le « salaire » est un kilo de pommes et les raisins égrenés non vendables. Un oncle chef confiseur aux Etablissements « Les dragées Martial » rue Planchat fait profiter la famille des confiseries mal calibrées. Et puis il y a aussi le poissonnier qui vend une espèce de pâté en forme de grosse barre parallélépipédique, couleur gris-marron, fait de tous les résidus de peux, nageoires et arêtes normalement réservés aux chats. Mme Devanz a toujours refusé d’acheter cette mixture même s’il fallut parfois, mais très rarement, manger du mou de porc ou de veau (morceau de poumon). Et encore ce poulet, le seul mangé pendant toute l’occupation, à l’occasion du départ au STO d’un oncle… Dur comme de la carne ! Enfin pour ne pas mourir de froid on se chauffe à la sciure de bois dans un poêle bricolé mais efficace si l’on se tient tout près. Jean, donc, n’a pas que des mauvais souvenirs de l’occupation. Ses parents ne parlent pas de la guerre, n’écoutent pas trop la radio. Les Laurent, au 2ème étage, ont caché une petite fille juive dont les parents étaient marchands de stylos rue des Prairies. La mère de famille a survécu à la guerre, le père n’est pas rentré de déportation.

 

 

La libération approche mais on n’entend aucune pétarade dans le quartier. Une barricade a été érigée en bas de l’immeuble. M. Devanz a donné un coup de main. On a utilisé les pavés de la rue de Bagnolet. Mais pas d’Allemands en vue. Le 24 août, dans la soirée, il emmène avec lui ses fils Jean et Pierre vers l’église Saint-Germain-de-Charonne. M. Douthaud, artisan électricien rue Saint-Blaise, et son fils Claude les rejoignent. Théodore Devanz possède la clef de l’église. Tout ce petit monde se faufile à l’intérieur et grimpe jusqu’au clocher. Jean ne se souvient pas d’avoir vu M. le Curé. Chacun prend place. Et voilà qu’à l’instar de toutes les églises de Paris, les cloches de Saint-Germain de Charonne sonnent à la volée. Il est 21h30. La colonne Dronne de l’Armée Leclerc vient d’entrer dans la capitale et stationne devant l’Hôtel de Ville. L’appel a été passé à la Radio nationale redevenue libre. Quel souvenir pour le petit Jean ! Il a sonné la Libération de Paris ! Quelques jours plus tard les Américains, perchés sur leurs véhicules, distribuent des chewing-gums et des rations devant l’église.

Mais des pétarades ont bien eu lieu dans le quartier ce 24 août. Une barricade a été dressée boulevard Mortier à hauteur de la rue de la Justice et un filin tendu pour empêcher toute circulation. Un convoi allemand s’est présenté et a jeté des grenades sur les défenseurs. Henri Louvigny, 28 ans, lieutenant du groupe FTP Saint-Fargeau, tente d’en récupérer une pour la relancer ; elle lui explose dans les mains. Plus bas c’est le FFI, du groupe de choc du lieutenant-colonel Ferrari, René Noël, 23 ans, qui est tué devant le 154, boulevard Davout.