Le Carrefour de la mort

Le 19 août 1944 à l’aube les policiers investissent la Caserne de la Cité et arrêtent le préfet Amédée Bussière. La bataille est lancée. Dans la matinée les Allemands envoient des chars et des voitures blindées pour mesurer les capacités de défense de ce foyer d’insurrection. A 10h30 une voiture est mitraillée, à midi onze cadavres de soldats jonchent le sol, à 14h00 un char venant de la place du Châtelet tire sur un immeuble du boulevard du Palais et l’enflamme. De toute évidence il faut empêcher les occupants de s’approcher de la Préfecture de police. Les hommes qui s’y sont retranchés sont faiblement armés et ne résisteraient pas à une attaque en règle. 

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Des FFI sont envoyés à chaque coin de rue du quartier Saint-Michel. Postés aux fenêtres des immeubles ou abrités derrière de modestes remparts de sacs de sable ils ont pour mission de stopper tout convoi ennemi se dirigeant vers l’Île de la Cité. L’armement est faible mais les tirs sont efficaces. Les soldats allemands juchés sur leurs camions tombent sous les balles des snipers, les véhicules sont incendiés à coups de cocktail Molotov, les rares survivants sont conduits immédiatement derrière les murs de la Préfecture. Le plus grand danger vient de la garnison qui occupe les jardins du Luxembourg et le Palais du Sénat. On raconte qu’il y a des SS. Des patrouilles de chars sont aperçues place du Panthéon, certaines s’aventurent sur le boulevard Saint-Michel. Des balles de fusil, de mitraillette ou de pistolet ne suffiront pas à les arrêter. Dès le lendemain 20 août le colonel Rol-Tanguy, chef des FFI d’Île de France, ordonne la construction d’obstacles barrant les rues en chicane. Tous les moyens seront bons pour entraver la circulation des occupants : abattis d’arbres, sacs de sable, vieux sommiers rouillés, épaves de véhicules, mobilier urbain, pavés, etc. Des barricades se dressent dans tout le quartier.

La plus connue, baptisée Le Fortin de la Huchette, est tenue par la boulangère Béatrice Briant à l’angle des  rues de la Huchette et du Petit-Pont. Un endroit pas vraiment stratégique, la rue de la Huchette est étroite, mais des combattants très photogéniques.

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En revanche à l’angle du boulevard Saint-Michel et du boulevard Saint-Germain, devant le café Le Cluny, l’ouvrage va encaisser les attaques des chars qui viennent du Luxembourg. Il sera nommé le Carrefour de la Mort car nombreux seront les soldats allemands qui viendront s’y faire tuer.

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Le maquis de Saint-Séverin et le groupe franc Cévennes aux ordres du capitaine Lacroix et de Jean Pronteau vont se battre comme des lions. Dans la nuit du 21 au 22 août un char lance-flamme attaque la barricade mais ils résistent. Quelques heures plus tard il faut abandonner provisoirement la position car un fort détachement de soldats SS a été repéré s’infiltrant par le musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny. 

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Le 23 août un camion attaque à la mitrailleuse, un FFI l’incendie d’un coup de revolver lance fusée. Quatre soldats allemands sont tués, trois grièvement blessés, un est fait prisonnier. Au cours des premiers combats un canon ennemi est récupéré mais hélas immédiatement amené à la Préfecture de police. Les défenseurs râlent haut et fort. Ils en auraient fait bon usage !

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Les secouristes se dépensent sans compter. Deux banderoles ont été fixées sur la Fontaine Saint-Michel. « Leben garantiert. Ergebt euch ». Elles invitent les Allemands à se rendre ; ils auront la vie sauve. Devant tant de résistance les raids de la garnison du Luxembourg s’espacent. En revanche quelques convois qui traversent Paris du Sud au Nord tombent dans le piège. Les équipages n’ont pas été prévenus et viennent s’échouer sur le boulevard.

Les combattants reçoivent la visite de l’abbé Camille Folliet, résistant et prêtre ouvrier à l’usine BMW d’Argenteuil, qui n’hésite pas à porter l’extrême-onction au plus près des combats. On dit qu’il quitta sa soutane pour faire le coup de feu avec eux sur la barricade.

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Le 24 août au soir les cloches des églises sonnent à la volée. Partout dans le quartier des cris de joie. L’Armée Leclerc a atteint l’Hôtel de Ville. Encore des coups de feu sporadiques. Des soldats allemands ? Des miliciens ? Le lendemain 25 une incroyable colonne de chars, de camions et de jeeps descend la rue Saint-Jacques et se répand boulevard Saint-Michel, boulevard Saint-Germain. Vite ! Il faut dégager la barricade et laisser le passage aux blindés qui vont attaquer le Sénat. Le lieutenant-colonel Putz du 3ème RMT prend possession des lieux et donne ses ordres. Les chars du capitaine Witasse du 501ème RCC se dirigent vers le Luxembourg. Les FFI du colonel Fabien serviront d’infanterie. La garnison se rendra en fin d’après-midi. (lire La prise du Sénat)

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Sur les photographies de la barricade du Carrefour de la mort on découvre une combattante aisément reconnaissable à son calot bardé de breloques diverses.

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L’une d’entre elles est siglée « PC 5 ». Poste de commandement du 5ème arrondissement ?

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On retrouvera cette jeune femme le 26 août tenant haut la pancarte « Carrefour de la mort » lors du défilé des FFI rue de Rivoli derrière le général de Gaulle qui se rend à la cathédrale Notre-Dame pour assister au Te Deum. Puis rue d’Arcole devant l’Hôtel Dieu et enfin juchée sur un side-car réquisitionné par les FFI du secteur 167.337.

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Dommage que l’histoire n’ait pas retenu son nom. Pour moi elle sera la « Pasionaria du 5ème » car je lui trouve vraiment la fière allure des combattantes des Brigades internationales de la Guerre d’Espagne.