La Caserne Prince Eugène, une forteresse

Edifiée en 1854 à l'emplacement du Diorama construit par Daguerre, pionnier de la photographie, la caserne Prince Eugène s'ouvre par un large portail sur la place de la République et, en 1939, abrite le 3ème Bataillon de la Garde sous les ordres du commandant Vérines dont elle porte aujourd'hui le nom. Ce chef d'escadrons de la Garde Républicaine, résistant de la première heure, a été déporté et fusillé à Cologne le 20 octobre 1943.

Dans la nuit du 13 au 14 juin 1940, Paris ayant été déclarée "ville ouverte", des éclaireurs motocyclistes allemands ont convergé vers la place de la République et dès le lendemain matin la caserne a été occupée.

Elle intéresse, bien sûr, l'Armée d'occupation pour la capacité de son casernement mais aussi et surtout parce que ses installations, en sous-sol, comprennent un poste de commandement de la D.A.T (Défense aérienne du territoire) qui couvre entre autres toute la zone aérienne de Paris. Une garnison d'une centaine de soldats allemands y est installée. L'hôtel Moderne sera réquisitionné pour loger le personnel féminin, les "souris grises".


A la veille de l'insurrection, la caserne Prince Eugène est transformée en camp retranché et de nombreuses patrouilles en sortent régulièrement pour inspecter les environs. Malheur à qui les croise … Des pièces d'artillerie ont été disposées au débouché des principales avenues qui donnent sur la place : avenue de la République, boulevard Voltaire, boulevard Saint Martin, rue du Faubourg du Temple, boulevard du Temple; deux blockhaus prennent sous le tir le boulevard Magenta. Un champ de mines empêche la traversée entre les deux terre-pleins centraux séparés par la statue.

De leur côté, les F.F.I à l'appel du colonel Rol-Tanguy ont érigé des barricades rue du Faubourg du Temple, rue de la Fontaine au Roi, rue de la Douane; ils se tiennent en masse sur le quai de Valmy mais ne peuvent approcher à cause de la puissance de feu des Allemands. Le camp retranché s'est transformé en piège pour les cinq cents soldats qui tiennent la caserne. L'ennemi ne pourra pas sortir mais il faudra attendre le 25 août, l'arrivée des chars du général Leclerc pour le réduire.


tombes allemandes sur le terre-plein central


Déjà le 17 août, la tension est montée d'un cran et les patrouilles allemandes qui sillonnent les abords de la place de la République se montrent nerveuses. Jean Lannegrand, 71 ans, est abattu 32, rue Meslay. Robert Speltinex, 18 ans, tombe devant le numéro 5 du boulevard Saint Martin.


Le 19 août :

Georges Feldmann, 19 ans, F.F.I du groupe Massebiau est tué lors de l'attaque d'une voiture allemande rue Albert Thomas.


Gustave Lesain, 31 ans, est abattu 19, rue Béranger.

Louis Toupelin de la Doilière, 40 ans, brigadier des gardiens de la paix et adjudant des F.F.I est retrouvé mort devant le numéro12 de la rue Albouy (aujourd'hui rue Lucien Sampaix).

René Colpaert, 17 ans, est arrêté sur la place de la République et immédiatement fusillé. Il sera inhumé à Pantin.
 

 


sa famille a pieusement conservé son insigne F.F.I

 

Lucien Gohier, 21 ans, brancardier volontaire de la Croix-Rouge du 10ème, est mortellement atteint de deux balles dans les reins alors qu'il se penche pour ramasser des blessés sur la place; transporté à l'Hôtel Dieu, il y décède quelques heures plus tard.

Jeanne Brunner est victime d'une balle perdue sur la place devant le numéro 5.


Le 20 août :

Deux versions à la mort de Raymond Minier, 34 ans, lieutenant des F.F.I membre du Mouvement de Libération Nationale, groupe Sébastopol du 3ème :  – mortellement blessé le 20 août 1944 à la hauteur du 170 rue du Temple et décédé le 25 – tué le 25 sur la place. Il est enterré au cimetière de Pantin.

En vérité la reprise de la Bourse du Travail semble s'être faite en deux fois : Le 20 août 1944, au matin, et non le 19 (la plaque apposée dans l'immédiat après-guerre a fait coïncider cette reprise avec l'appel à la grève de l'Union clandestine des syndicats de Paris), des militants membres des Milices patriotiques viennent à la Bourse et en chassent les directions syndicales officielles engagées dans la Charte du travail. L'artillerie de la Caserne Prince Eugène ouvre le feu, les résistants évacuent par les toits. Le 21 août, la pression de l'armée allemande interdit toute tentative de reprise. Le 22, au cours des premiers combats en vue de fixer, puis d'encercler la garnison allemande dans la Caserne, des résistants mieux armés reviennent, dirigés par Georges Julien, du syndicat des boulangers, et Auguste Lemasson, du syndicat de la construction. Le détachement composé sur place, à proximité de la place de la République et de la rue Boulanger, comprenait, outre les deux professions déjà citées, des F.T.P des services publics de Paris (employés municipaux et employés de l'Assistance publique) et des transports parisiens. Ils font de la Bourse du Travail un point d'appui du dispositif militaire encerclant la Caserne Prince Eugène. Merci à Guy Hervy, secrétaire général de l'Institut CGT d'histoire sociale de Paris, qui nous a apporté ces intéressantes précisions.


Le 21 août : Charles Dupas, 29 ans, aspirant de réserve du Génie et soldat des F.F.I est tué  au 159 quai de Valmy.


Le 22 août :

Jean Thill, 26 ans, d'origine luxembourgeoise, soldat des F.F.I du Corps franc du 10ème est mortellement blessé devant le 96 rue René-Boulanger; transporté au poste de secours du 37 rue Albouy  il y décède le lendemain.


Le 23 août : Célestin Chenal, 62 ans, est tué rue du Temple.


Le 24 août :

Ange Alessandri  est abattu rue Meslay.

Roger Plessis soldat des F.F.I, membre du Mouvement de Libération Nationale, groupe Sébastopol du 3ème, comme Raymond Minier cité plus haut, est tué sur la Place; il est enterré au cimetière de Thiais.

Claude Jaffredou tombe, lui aussi, sur la place.

Guy Loury, 24 ans, et un F.F.I non indentifié sont tués au débouché de l'avenue de la République.

 

Et certainement combien d'autres victimes que j'ai trouvées dans les archives des postes de secours ou des hôpitaux proches mais qui, faute de précisions, ne peuvent être rattachées à cette liste.


Le 25 août :

 Hier soir, le détachement du capitaine Dronne de la 2ème Division blindée a campé devant l'Hôtel de Ville (lire l'article). Sa première mission, aujourd'hui, est de se rendre maître du Central téléphonique Archives que les Allemands menacent de détruire, ce qui causerait des dommages incalculables pour les liaisons de la capitale.

"9h15, je lance l'opération. Granell reste à l'Hôtel de Ville, Elias se dirigera vers la rue du Temple tandis que Michard ira rue des Archives. C'est au Central Archives que nous risquons le coup dur. Je vais donc avec Michard. De bien entendu, c'est rue du Temple que nous allons avoir la bagarre …"

 

"Rue du Temple, Elias se heurte à des résistances venant du central Archives et d'un immeuble en face. Le char de tête dépasse légèrement l'objectif. Elias s'avance pour se rendre compte et pour lui préciser sa mission. Il est touché en pleine poitrine par une rafale tirée, semble-t-il, par un civil d'une fenêtre de l'immeuble qui fait face au Central. Un grand coup de bazooka expédie dans l'autre monde les occupants de la pièce d'où les tirs sont partis. A son tour le sergent-chef José Cortes est gravement atteint au thorax. Le chef du char de tête, l'adjudant-chef Henri Caron, qui a sauté à terre pour mieux voir d'où proviennent les tirs de mitrailleuse, est lui aussi fauché. Je fais immédiatement évacuer les blessés sur les hôpitaux que m'indiquent les volontaires de la Croix-Rouge.

L'adjudant-chef Henri Caron décèdera rapidement Elias et Cortes s'en tireront mais après de longs mois d'hôpital. Le Central Archives est rapidement nettoyé par les hommes de l'adjudant-chef Neyret qui a remplacé le sous-lieutenant Elias. Une douzaine d'Allemands tués, une trentaine de prisonniers. Je place la section Neyret en bouchon à hauteur de la rue du Petit Thouars, face à la place de la République. Je rentre sur l'Hôtel de Ville …"


Policiers, F.F.I et soldats de la 2ème DB en position, rue du Temple

Le gardien de la paix Marcel Bisiaux, 38 ans, a été tué d'une balle dans la tête.

Le F.F.I Henri Khayatti avait 30 ans (lire le témoignage de sa fille); le F.F.I Albert Beal avait 38 ans.

Le soldat de la 2ème Division blindée non identifié sur cette plaque est vraisemblablement José Ortiz-Barrionuevo, de la section Elias de la Nueve.

 

L'adjudant-chef Henri Caron, 29 ans, mortellement blessé à la cuisse, décèdera le 29 août à l'hôpital Saint Louis.

 

La veille, il posait au milieu d'une foule d'admiratrices, devant son char à Antony quelques heures avant d'entrer dans Paris avec le détachement Dronne.

 

Depuis l'aube les F.F.I progressent lentement par les toits, sur les trottoirs par bonds de porte en porte. Ils arrivent de toutes parts. Les servants des pièces allemandes, installées au débouché des avenues, sont des cibles de choix mais causent des pertes sévères aux assaillants qui les encerclent.  Manifestement ils n'ont pas l'intention de se rendre aux "terroristes". Certains tentent de s'enfuir par une bouche de métro. Ils seront mis hors de combat par des groupes de F.F.I qui ont envahi les souterrains. Le capitaine Lebert est allé en personne réclamer des renforts à l'Hôtel de Ville et revient avec environ cent cinquante hommes.

Roger Parisot, 27 ans, est tué 54 rue Albert Thomas

 

Le sergent des F.F.I René Joly, 32 ans et le caporal-chef des sapeurs pompiers de Paris Roger Lemaire, 40 ans, sont tués sur les toits du 27 rue du Château d'Eau en tentant de débusquer des tireurs isolés.

 

Roger Legall, 26 ans, F.F.I du groupe Rex République tombe 11 rue du Faubourg du Temple.

 

Le lieutenant Michel Tagrine, alias "Barbier", est mortellement atteint alors qu'il se porte au secours de blessés 17, rue du Faubourg du Temple. Violoniste de l'orchestre Munch il est entré dans la Résistance en 1941 et a déjà été blessé le 20 août. 

 

Alfred Ozrout, 34 ans, et Thomas Rizzoli, 41 ans, FFI du 11ème arrondissement; Roger Guimet, 20 ans, mortellement atteint 31 boulevard du Temple et décédé quelques instants plus tard au poste de secours de la rue de Turenne; Albert Lecocq, 42 ans, tué 30 rue Volta.


La compagnie des F.F.I de Montgeron qui a tenu une barricade


carte des combats (Edith Thomas "La libération de Paris") agrandir

La nasse se resserre. Les soldats allemands sont obligés de se réfugier dans la caserne. Mais, postés aux fenêtres, ils tiennent encore la Place sous leurs feux. L'entrée principale est trop étroite pour envisager un assaut de la part des F.F.I. Ce serait suicidaire. Les hommes continuent de tomber…

Marcel Henriot, 24 ans, et Raphaël Bilke, 41 ans, de la 1ère Compagnie des Milices patriotiques, sont tués à l'angle du boulevard Voltaire.

 

Charles Daguet, 29 ans, F.F.I du quartier Saint Ambroise, tombe devant le porche d'entrée.

 

Serge Montalbetti, 19 ans, F.F.I du groupe "Jean" du 2ème Régiment Armor, est mortellement touché devant le 26 Faubourg du Temple.

 

Jean Ponsard, 24 ans, sapeur-pompier de Paris et Robert Kalman, 21 ans, adjudant des F.F.I, sont tués sur la Place devant le numéro 8.  (lire l'épisode)

 

29, boulevard Saint Martin des tireurs isolés font des ravages. Cinq civils ont été tués ou mortellement blessés. Le brancardier de la Défense passive Pierre Dupont, âgé de 38 ans et père de cinq enfants, est tué en se penchant sur l'un d'entre eux.

Un groupe de gardiens de la paix grimpe sur les toits pour pourchasser le ou les tireurs. Maurice Lamy, 29 ans, reçoit une balle en plein coeur.

 

L'inspecteur de police Maurice Giquel, 33 ans, est touché à 16h30 par le tir d'une mitrailleuse postée aux fenêtres de l'hôtel Moderne. Il est hospitalisé à Saint Louis où, ne se remettant pas de ses blessures, il finira par mourir le 4 avril 1945.

 

En fin d'après midi sont abattus par une rafale de mitrailleuse sur le terre-plein central :

Emile Jeanne, 33 ans
Noël Blachier, 36 ans
Henri Dausset, 43 ans

tous les trois F.F.I du groupe Sébastopol du 3ème arrondissement.

 

Capturé à l'hôtel Meurice, le général Von Choltitz a signé sa capitulation à la Préfecture de police. Il s'est engagé dans ce document à donner l'ordre à ses troupes de se rendre. Plusieurs officiers de la 2ème Division blindée accompagnés d'officiers allemands font le tour des derniers points de résistance pour diffuser cet ordre et obtenir la reddition des derniers combattants. Le lieutenant de vaisseau Vivier, du R.B.F.M, et un officier allemand, agitant un drapeau blanc, s'approchent de la statue de la République et annoncent au microphone de leur véhicule que le combat doit cesser. Un parlementaire sort de la Caserne. Les F.F.I qui n'ont pas tous compris le message continuent leurs tirs. Le lieutenant Vivier remonte alors dans son char et entreprend un tour complet de la Place en agitant un drapeau tricolore et en criant qu'il faut cesser le feu. Quelques balles allemandes lui font écho. Le calme s'établit enfin et la garnison se rend. Elle compte plus de cinq cents hommes.

A 19h30, le gardien de la paix Jean Legrand, 44 ans, a une jambe écrasée par un véhicule de la 2ème Division blindée qui pénètre en trombe sous le porche. Il décèdera des suites de son opération le 19 décembre 1945.

Le lendemain 26 août on découvrira, sommairement enterrés dans la cour en terre battue, les cadavres de huit hommes :

 

Louis Claeysen, 33 ans, gardien de la paix porté disparu au cours de l'attaque de Radio-Paris sur les Champs-Elysées dans la nuit du 17 au 18 août. Envoyé pour récupérer des armes au commissariat du 12ème, il a été arrêté près de la Porte Saint-Martin.

 

Roger Savin, 24 ans, gardien de la paix porté disparu le 19 août lors d'une attaque de la Préfecture de Police.

Jean Creignoux, 26 ans et Charles Lelièvre, tous deux membres du groupe Sébastopol du 3ème arrondissement.

Quatre inconnus non identifiés dont deux pourraient être André Collibeaux et Raymond Perretin, gardiens de la paix portés disparus lors de l'attaque de Radio-Paris comme Louis Claesen.

Collibeaux

Selon divers témoignages, Creignoux et Lelièvre auraient été attirés dans un piège et seraient entrés dans la Caserne où ils auraient été fusillés immédiatement.

La dernière victime de la Place de la République sera Jeannine Floquet, 19 ans, étudiante en cardiologie et agent de liaison des Milices Patriotiques du 11ème arrondissement, mortellement blessée le 26 août par une balle perdue lors de la tentative d'interception d'une voiture allemande s'enfuyant de Paris par l'Est, à l'angle de l'avenue Parmentier. Elle décèdera le 10 septembre à l'hôpital Tenon.