Monsieur, j’ai l’honneur de vous informer que je vous adresse ce jour un mandat de 300 francs représentant le don fait par un ancien combattant de la Guerre 1914-1918 à l’équipage du char Romilly, de mon unité, rentré le premier dans Paris le 24 août dernier. L’adjudant Henri Caron, votre fils, était le chef de cet équipage et ses camarades ont exprimé le désir que le don en question soit affecté à l’entretien de sa tombe au cimetière de Pantin. Capitaine de Witasse.
Henri Caron, 24 ans, est caporal à la 6ème compagnie du 509ème Régiment de chars de combat stationné à Maubeuge lorsque le conflit éclate le 1er septembre 1939. C’est d’abord la « Drôle de guerre » pendant laquelle les Français retranchés derrière la Ligne Maginot et les Allemands derrière la Ligne Siegfried s’observent sans combattre. Le 10 mai 1940 Hitler attaque à l’Ouest. Le 13 l’unité d’Henri Caron pénètre en Belgique. L’Armée française est bousculée et bat en retraite vers Dunkerque. Les troupes vont tenter de rembarquer et de gagner l’Angleterre. Le 28 Caron est blessé par un éclat d’obus. Le 30 il parvient à monter sur le contre-torpilleur « Foudroyant ». Comme lui 338 000 combattants, dont 123 000 soldats français, réussiront à s’échapper de la Poche de Dunkerque au cours de cette opération baptisée Dynamo. Mais 35 000 restés sur les plages seront capturés par les Allemands.
Après une longue convalescence à l’hôpital d’Hexham Henri Caron s’engage le 19 octobre 1940 dans « l’Armée du général de Gaulle » à Londres, les Français libres. Le périple qu’il entame alors le conduira en Afrique, en Egypte et enfin au Maroc où la 2ème compagnie de chars dans laquelle il sert comme sergent-chef est intégrée à la 2ème Division blindée qu’est en train de constituer le général Leclerc. Le voici affecté à la 1ère section du 501ème Régiment de chars de combat commandée par le lieutenant Michard ; son char a été baptisé « Romilly » par Mlle J. Bruneau chez qui il a passé avec quelques camarades les fêtes de fin d’année 1943 et son équipage est composé des chasseurs Jaouen, Coatpehen, Collon et Hoerdt.
lieutenant Louis Michard, adjudant Henri Caron, chasseurs Francis Jaouen, Pierre Coatpehen, François Collon et Roland Hoerdt
La 2ème DB qui va participer à la campagne de France termine ses préparatifs à Temara et gagne l’Angleterre par la mer en avril 1944. Le 3 août Henri Caron, fraîchement nommé adjudant, écrit dans son carnet : « Débarquons sur le sol de France à 5h00 du matin. Mon premier geste fut de faire le signe de la croix et embrasser le sable. Il y a de grandes circonstances dans la vie. Celle-là en est une. Après quatre ans, deux mois et trois jours rien n’est plus beau que de retrouver ce que l’on a perdu ».
Le périple entamé le 30 mai 1940 à Dunkerque s’achève enfin !
Et c’est la campagne de Normandie. Le premier contact avec l’ennemi le 12 août près d’Alençon : deux chars endommagés, trois morts, quatre blessés. Caron remplace le lieutenant Michard touché à la tête. Et d'autres combats encore. Le 23 août 1944 l’ordre tant attendu de marcher sur Paris arrive enfin. La capitale s’est soulevée le 19 août. Les FFI ont contraint les Allemands à se réfugier dans des points d’appui mais, seuls, ils ne peuvent les réduire. Les 16 000 hommes de la 2ème DB et leur matériel impressionnant arracheront la victoire.
Antony le 24 août
24 août, la section Michard engage le combat au sud d’Antony et détruit une batterie antichars. Surprise ! Les servants étaient des soldats allemands incarcérés à la prison de Fresnes, élargis pour participer à la défense du Gross-Paris. Juste à côté la section Lacoste bute sur un canon de 88 mm qui tient le carrefour de la Croix-de-Berny et empêche toute progression. Le général Leclerc, contrarié par l’obstacle, interpelle le capitaine Dronne de la 9ème compagnie du IIIème RMT, la fameuse Nueve, et lui donne l’ordre de foncer vers Paris pour annoncer aux insurgés que la Division entrera dans la capitale le lendemain. Dronne récupère trois sections de sa compagnie, une section du Bataillon de génie et trois chars de la section Michard : le Romilly, le Montmirail et le Champaubert.
Les Parisiens réservent un accueil triomphal à l'avant-garde de la 2ème Division blindée et se précipitent sur les chars. Sur la photographie de droite on peut découvrir le jeune Victor Zigelman au centre et enfilant son pull-over. Il passera la nuit près de l'Hôtel de Ville à surveiller la voiture d'un officier des FFI.
L’adjudant Henri Caron sera parmi les premiers à entrer dans Paris ! Le lieutenant Michard annonce qu’il prend la tête de la colonne. « Ah non Louis ! rétorque Caron, c’est mon tour d’être char de tête et je ne cède ma place à personne » (rapporté par Gaston Eve, pilote du Montmirail). La progression de la colonne Dronne dans les rues de la banlieue parisienne s’effectue sans anicroches. Mais il est difficile de se frayer un chemin au milieu de la foule en liesse qui embrasse les soldats, leur envoie des fleurs et les acclame à chaque ralentissement ou arrêt. A 21h30 le Romilly s’arrête en face des marches de l’Hôtel de Ville, le Montmirail le long de la Seine et le Champaubert sur la place. Fusées éclairantes, coups de feu en l’air, Marseillaise, c’est du délire. Et surtout quand les Parisiens découvrent que leurs libérateurs sont des Français. Les cloches de la capitale sonnent à toute volée. La section Michard ne dormira pas beaucoup de la nuit. Reporters, badauds, FFI, tout le monde vient l’interroger, la féliciter, la congratuler.
25 août 1944, tandis que le gros de la Division entre dans Paris et s’apprête à livrer les derniers combats sur les principaux points d’appui allemands (Ecole militaire, hôtel Meurice, hôtel Majestic, Chambre des députés, place de la Concorde, Palais du Sénat) le capitaine Dronne donne ses ordres sur le capot de sa jeep. Il laisse le lieutenant Granell et ses hommes à l’Hôtel de Ville, envoie le sous-lieutenant Elias rue du Temple et part avec Michard rue des Archives. Il s’agit de dégager le central téléphonique indispensable aux communications avec la province. Henri Caron protègera la progression des marsouins du sous-lieutenant Elias dans la rue du Temple.
A l’angle de la rue Dupetit-Thouars un groupe de FFI surveille les mouvements de la garnison de la Place de la République. Un char allemand y a été vu. Il faut être prudent. Elias et ses marsouins progressent lentement. A la hauteur du métro Temple les hommes sont stoppés par des coups de feu difficiles à localiser. Des toits ? Des fenêtres ? De la place ?
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photographies en provenance de ce blog
Caron descend du Romilly pour se rendre compte de la situation. Il constate effectivement la présence du Panther sur la place. De nouveaux coups de feu ! Le tireur Coatpéhen arrose les fenêtres avec sa mitrailleuse. Caron réclame des chargeurs supplémentaires mais s’écroule touché à la cuisse. Les équipiers de la Croix-Rouge le mettent sur un brancard et l’évacuent sur l’hôpital Saint-Louis. Il y décèdera le 29 août.
Photo de gauche, au centre, le policier André Péseux. Photo de droite, en béret derrière le sac de sable le FFI Henri Khayatti.
Rapport du chef du poste de secours (trouvé sur le site du Musée de la Résistance en ligne) : Le vendredi 25 août à 10h00 du matin au moment où la Division Leclerc s’est portée vers la place de la République pour attaquer les forces allemandes, un poste a été établi devant les gros chars et automitrailleuses de cette division au n° 168 de la rue du Temple où se trouvait un petit poste de tir dirigé par M. Destabel, chef du 2ème groupe n° 4 du 3ème arrondissement, assisté de MM. Pichot et Bisiaux, gardiens de la paix. Ce poste de combat a tenu pendant 6 heures ; nous avons assuré les soins aux blessés et nos brancardiers ont pu les transporter hors de cette ligne de combat. L’adjudant français Caron et deux autres militaires dont nous n’avons pu prendre les noms ont été transportés à l’hôpital après avoir reçu les premiers soins. Au bout de cinq heures de fusillade le gardien Bisiaux, matricule 3379, ayant été tué net par une balle dans la tête a été ramené à l’arrière sur un de nos brancards. Le gardien de la paix Duffourg du 3ème arrondissement a été descendu du 5ème étage où il se trouvait et sur sa demande conduit à la Maison de Santé des gardiens de la paix. Le total des blessés de cette journée s’élève au chiffre de 14 combattants et une femme. Quatre sont décédés après leur admission à l’hôpital.
en médaillon le gardien de la paix Marcel Bisiaux et le FFI Henri Khayatti
La plaque commémorative que l’on peut trouver sur le mur du 168, rue du Temple énumère les victimes de cet accrochage : le gardien de la paix Marcel Bisiaux, les FFI Henri Khayatti et l’adjudant Henri Caron. Le soldat de la Division Leclerc non identifié est le marsouin José Ortiz-Barrionuevo de la Nueve. Le sous-lieutenant Michel Elias et le sergent José Cortes, également de la Nueve, ont été blessés. Le policier André Péseux, qui faisait partie des FFI, se porte volontaire pour remplacer Henri Caron ; il a effectué la campagne de France en 1940 dans les chars et suivra la 2ème DB jusqu’en Lorraine où il sera grièvement blessé. Albert Béal, employé du métropolitain qui figure également sur cette plaque, n'a rien à voir avec cet épisode. Il a été mortellement blessé le 19 août à 15h30 à l'angle de la rue Turbigo et transporté à l'hôpital Saint-Louis.