Le tueur de la Gare de Lyon

Dans le quartier de la gare de Lyon la tension monte le vendredi 18 août quand, dans la soirée, un aide cuisinier allemand du "Paris Lyon Palace" est blessé par balle à la tête par un inconnu qui s'enfuit aussitôt. Des soldats allemands accompagnés d'employés de la Reichbahnof se répandent dans les rues et vont semer la terreur jusqu'au 23 août, date à laquelle ils abandonnent la Gare. Tous les témoins remarqueront plus particulièrement le comportement d'un soldat en culotte kaki et portant une casquette à longue visière : "il fume cigarette sur cigarette et boit de larges rasades d'alcool après chaque assassinat; un rictus sinistre déforme son visage". Sa férocité lui vaudra le surnom de "Tueur"; il sera abattu le 21 août avenue Ledru Rollin.

Le jeudi 18 août, quelques instants après l'attentat contre l'aide cuisinier, les premières patrouilles sillonnent les rues. Guy Tessier, 25 ans, baisse le rideau de la boutique de maroquinerie de son père 219, rue de Bercy; il est abattu d'une rafale de mitraillette.


Le samedi 19 août une voiture, chargée de F.F.I et se dirigeant vers la place de la Bastille, est mitraillée dans la rue de Lyon. Un passager est tué net d'une balle dans la nuque mais les trois autres occupants arrivent à s'enfuir vers un café. La patrouille allemande investit l'établissement et arrête quatre consommateurs qui prétendent n'avoir rien vu. Alignés, mains en l'air quelques mètres plus loin, Missau Barbache, Makouke Baguelagui et Salah Chabanne sont immédiatement fusillés; le quatrième homme parvient à s'enfuir dans la rue Moreau. Lancés à sa poursuite, les soldats abattent Mohamed Sridi et Ariski Barnache qui n'ont que le tort de se pencher à la fenêtre, attirés par le vacarme de la rue.

Devant le 68, boulevard Diderot un soldat allemand est tué. Ses camarades envahissent aussitôt l'immeuble en tirant dans les couloirs et les escaliers. Une femme est abattue au 2ème étage tandis que les locataires, surtout les hommes, fuient vers les étages supérieurs à la recherche d'une issue par les toits.

Georges Ducassou, 21 ans, gardien de la paix stagiaire, se dirige à bicyclette vers la Préfecture de police. Il est arrêté, fouillé puis abattu d'un coup de pistolet devant le Café des Deux Savoies, en face de la gare de Lyon. Il sera achevé à coups de crosse.

Le jeune Fernand Lionne, 21 ans, commet l'erreur de passer trop près de la sentinelle qui monte la garde devant le garage de la Côte d'Azur, avenue Ledru Rollin. Il est abattu d'un coup de fusil. Alfred Ladrosse, 76 ans, est ramassé criblé de balles devant le 14 de la rue Villiot.

Louis Moulin, 42 ans, gardien de la paix à la section F des Services techniques de la Préfecture de police, se rend en mission de liaison. A l'angle de la rue de Lyon et de l'avenue Ledru Rollin, devant le café tabac, des soldats l'obligent à descendre de sa bicyclette et le fouillent. Ils découvrent sur lui son arme de service et l'abattent d'une rafale de mitraillette. Il sera achevé de trois balles dans la tête.

Le commissariat de police judiciaire de la rue de Lyon est investi par une troupe de soldats allemands intrigués par les allées et venues des policiers. Ils arrêtent tout le monde (Lire l'épisode)


A la fin de leur service, et puisqu'ils doivent passer par là pour rentrer chez eux, les brigadiers de police Charles Bardon, 43 ans, et Gaston Chuet, 37 ans, du commissariat du 4ème arrondissement, sont chargés d'avertir le chef du secteur de la gare de Lyon de l'arrivée imminente de plusieurs convois allemands. Vers 21h00 ils sont arrêtés tous les deux entre la place de la Bastille et la gare. Au cours de la fouille, les soldats découvrent leurs armes et leurs cartes de service. Ils seront conduits au Fort de Vincennes et fusillés le lendemain.

Le brigadier Paul Paris, 44 ans, également du commissariat du 4ème arrondissement, a reçu la même mission. Il est arrêté quelques minutes plus tard au même endroit et subit le même sort.

Le dimanche 20 août Marcel Hauville et Mathieu Kervella, agents de liaison du poste de secours du 4ème arrondissement, brassard de la Croix Rouge bien visible sur la manche, sont arrêtés rue de Lyon alors qu'ils circulent à bicyclette. Sans autre forme de procès la patrouille allemande tire. Hauville est tué net d'une balle dans la tête, Kervella s'effondre touché à la mâchoire et à l'épaule. Un cheminot encourage le Tueur à achever le blessé. Une jeune femme française (d'après les témoins sur place) s'approche alors, retourne un cadavre et lui fait les poches.


Toujours le 20 août, Adrien Dureuil, 21 ans, membre du groupe Sébastopol du Mouvement de libération nationale, est capturé et fusillé rue Traversière.

A 6h45, le sous-brigadier Henri Chartier du commissariat du 11ème arrondissement est arrêté à l'angle de la rue de Lyon et de l'avenue Ledru Rollin alors qu'il se rend à pied à la Préfecture de police. Il sera porté disparu. Sa femme identifiera son corps parmi les cadavres découverts dans les fosses communes du Fort de Vincennes.

Vers 11h00 du matin, Clément Imbert, 65 ans, délégué du centre d'orientation professionnelle du 12ème arrondissement, est mortellement blessé d'une balle dans le ventre alors qu'il sort de la messe. Il décède quelques heures plus tard au centre de secours du Musée des Colonies.

Les frères Roger et Henri Mordrel sont arrêtés vers 13h00 alors qu'ils circulent à bicyclette dans la rue de Lyon. Ils sont amenés de force dans l'escalier du métro et mitraillés. Roger est tué net; Henri, atteint à la mâchoire, fait le mort et profite d'un moment d'inattention des soldats pour s'enfuir.


Passage des Mousquetaire, Alphonse Delambre, 45 ans, et Jean Parry, 40 ans, sont mitraillés. Jean Parry est tué sur le coup, Alphonse Delambre décèdera au poste de secours du Musée des Colonies.


Le mercredi 23 août les allemands quittent la Gare de Lyon en prenant avec eux des otages; à 15h45 quand la dernière voiture s'engage sur le boulevard Diderot une femme qui les accompagne fait remarquer à un soldat la présence d'un homme au 6ème étage. Un coup de feu abat Jean Jemini, marchand de marrons, qui se contentait de regarder le cortège.

 

Un barrage de soldats et de cheminots allemands rue de Bercy. Après les combats les proches de Hauville et Kervella se recueillent à l'endroit où ils ont été exécutés. 


Le "tableau de chasse" du Tueur en culotte kaki est impressionnant : le samedi 19 août à 15h00 il abat à bout portant un cycliste qui présente ses papiers à la patrouille postée au carrefour de l'avenue Ledru Rollin, le 20 vers 10h00 il blesse un motocycliste qui ne s'arrête pas assez vite à son goût puis l'achève d'une balle dans la tête, c'est encore lui qui tire sur Kervella et dans l'après midi fait sauter la cervelle d'un passant devant l'avertisseur de police, c'est toujours lui qui tire à 17h00 sur un homme de 35 ans dans le portefeuille duquel un brassard F.F.I est découvert. Heureusement, il sera abattu le 21 août avenue Ledru Rollin.

Aux dires d'un professeur d'allemand, témoin de toutes ces exactions, les soldats allemands et les employés de la Reichbanhof  "criaient, vociféraient en interpellant leurs victimes, ils étaient manifestement sous l'emprise de l'alcool et proféraient entre eux des paroles ordurières"