Le secouriste des Batignolles

25 août 1944, début de l'après midi … les combats font rage autour de la place de la Concorde. Un détachement d'infanterie de la 2ème Division blindée du général Leclerc investit l'hôtel Meurice, rue de Rivoli, et capture le général von Chotitz, commandant le Grand Paris. Des chars tentent de réduire la résistance de l'hôtel Crillon et du Ministère de la Marine… lire l'épisode

Jean-Claude Touche, né le 7 août 1926 à Paris, secouriste du comité du 8ème arrondissement de la Croix-Rouge française est mortellement blessé alors qu'il relève des blessés à l'angle de la rue de Rivoli et de la place de la Concorde. Il décèdera le 29 août dans un hôpital parisien.


Jean-Claude n'a pas bronché quand, une semaine après sa naissance, son père, violoniste réputé, lui a fait écouter la Berceuse de Fauré. Son avenir est tout tracé pour ses heureux parents. Il sera musicien ! Montrant d'excellentes dispositions il apprend l'anglais en même temps que le français, sans oublier le solfège. A quatre ans il va écouter son père salle Gaveau, à six il joue par coeur une sonatine de Beethoven. Lazare Lévy dira de lui :

"Cet enfant a la musique en lui; c'est la musique même. Rien ne pourra l'empêcher d'en faire; laissez-le suivre son penchant; ce sera non seulement un artiste, mais un grand artiste".

Au conservatoire il remporte les prix d'harmonie, d'orgue, de fugue, puis compose un quintette pour cordes et piano en deux mois à peine. Il tient l'orgue de l'église de Vernon ou l'harmonium de celle de Giverny pour la messe dominicale pendant les vacances scolaires.

1939 La déclaration de guerre. Mai 1940 l'exode du côté de Bordeaux, en août, le retour à Paris.

1943 Il s'enrôle dans les Equipes d'urgence puis à la Croix-Rouge. Un soir il revient le visage balafré : "Ce n'est rien ! Une bombe à retardement a éclaté, démolissant une maison et j'ai reçu un coin de meuble sur la tête …" déclare-t-il à sa mère effarée.

24 avril 1944 Second prix de fugue, 17 mai, premier prix d'orgue. Début juin, il insiste auprès de ses parents qui envisagent de quitter Paris : "Â la campagne je serai inactif et je ne pourrai le supporter". Sa mère l'empêchera tout de même de se porter volontaire pour aller chercher des blessés en Normandie. Juillet, il anime le centre de vacances de la rue de la Bienfaisance, il arpente Paris avec ses camarades à la recherche de ravitaillement à distribuer, il porte la soupe au domicile des personnes âgées … et tient, au jour le jour, un carnet.

Jean-Claude a entamé ce carnet le lendemain de son prix d'orgue au conservatoire, ses notes se terminent le 25 août.

A travers ses lignes nous découvrons, dans les moindres détails, ce qu'il a vu et entendu dans son quartier pendant les combats de l'insurrection.


25 mai : 20h30 : gros bombardement lointain, le débarquement doit être imminent.

26 mai : 13h20 : bombardement sur la banlieue Ouest.

30 mai : 12h37 : encore une alerte, la cinquième.

6 juin : les Anglais ont débarqué ce matin 40 000 hommes par parachute, rien que dans le Calvados … donc le fameux débarquement est fait. Nous nous attendons à être sévèrement réprimés par les Allemands.

12 juin : 20h12 : alerte

13 juin : réunion à la Croix-Rouge où le maire du 8ème a annoncé que nous aurions dans sept jours la cuisine roulante et les restaurants communautaires pour tout le monde.

25 juin : la gare de Versailles a été bombardée. 250 morts et 500 blessés.

5 juillet : Villeneuve Saint-Georges, les ateliers de Villeneuve voiture : 113 morts, la voie, les ponts, les wagons … tout est en l'air. Une bombe à retardement explose, 3 ouvriers de l'organisation Todt sont blessés.

7 août : notre équipe est convoquée à la Mairie de Saint-Ouen; une gigantesque colonne de fumée s'élève à plus de mille mètres d'altitude, dans une rue une conduite de gaz crevée flambe, dans la gare de marchandises 5 trains, environ 60 wagons, brûlent.

11 août : Aujourd'hui, officiellement les Américains sont à Rambouillet, on entend le canon à Chatou.

Jeudi 17 août : Ce matin les troupes blindées américaines ont atteint Etampes. Rambouillet est définitivement pris. Depuis un jour la police est en grève. Plus un agent. Le poste de police est fermé.

Réunion avec Mr Dasset, maire du 8ème pour l'application du plan de détresse pour le ravitaillement. Un plat cuisiné et un casse-croûte par jour. On demande des secouristes pour remplacer les agents au service d'ordre pour les distributions des cartes de plats cuisinés. On me demande au comité pour dresser la liste des boulangers qui pourraient recevoir une affiche pour annoncer un supplément de légumes.

Deuxième réunion avec Mr Dasset qui nous annonce qu'à 3 heures, convoqué à l'Hôtel de Ville, on lui a dit : "Soyez là demain pour recevoir les Américains". Rentré à la mairie, il était convoqué à nouveau 5 minutes plus tard. On lui annonce autre chose de définitif et, si cela est vrai, eh bien, hip! hip! hourrah! c'est fini.

"Paris est déclaré ville sanitaire. Les Allemands doivent avoir complètement évacué la ville samedi et dimanche matin, les premières formations sanitaires américaines seront là ainsi que la police nécessaire au bon ordre. Donc, Mr le Maire, soyez prêt pour dimanche matin".

Telles sont les magnifiques nouvelles. Si elles sont vraies, c'est splendide, car aujourd'hui voici où nous en sommes : plus d'électricité, plus de gaz, plus de métro, plus de police française, presque plus de trains, plus de facteurs les postes sont fermées. Bientôt l'eau manquera. C'est presque une époque de famine, de siège, que Paris risque de vivre si les Américains n'entrent pas dimanche ou lundi. Les agents se battent contre les Allemands, et aussi les groupes de résistance, les Français au service des Anglais, qui par leur dévouement et leur abnégation ont grandement servi leur pays, leur beau pays de France qui depuis 4 ans était envahi et qui maintenant est à la veille d'être délivré par les Américains.

21h00 : les Allemands se sauvent littéralement; ils déménagent de partout; ils ont l'air triste, harassé, dégoûté de tout C'est dur, quand on a conquis un pays, d'être obligé de le rendre à son légitime propriétaire. Tout cela, tous ces deuils de par la bataille, tout causé par un seul homme : Hitler qui a voulu tout et n'a rien eu et va perdre son pays. Vive Dieu. ! Vive la France ! Vivent nos libérateurs !

 22h00 : Les convois de départ. De tous les hôtels ils sortent, débraillés, sales et s'en vont dans toutes sortes de véhicules. J'en vois même un en ce moment qui passe avec une charrette à bras. C'est "leur" déroute comme en 1940 nous eûmes la nôtre. Dans le nord-ouest on entend de nombreuses détonations sourdes et le ciel s'illumine souvent du feu de nombreux projecteurs. Le front probablement, mais un front peu stable.

22h50 : Dans le prolongement de la rue de Rome, de grandes lueurs illuminent le ciel tandis que, toutes les 2 ou 3 minutes, de très violentes détonations, longues et sourdes, secouent l'atmosphère. Au moment de l'explosion on voit une grande gerbe de flammes. Ce sont des réservoirs d'essence qui brûlent puis explosent. Sont-ce les Allemands qui les font sauter ou la Résistance ? Je n'en sais rien. Mais c'est un signe certain du départ des Allemands. Je ne me coucherai pas cette nuit pour entendre et voir.

22h58 : Déjà de temps en temps des coups de feu éclatent dans les rues, je ne sais pas si demain nous pourrons sortir. Peut-être la Croix-Rouge et encore.


Vendredi 18 août : Je pars au comité C.R.F (Croix-rouge française) du 8ème, convoqué avec Michel Feller à la mairie.

9h30 : Nous partons ensuite pour donner aux boulangers du quartier des affiches pour un supplément municipal de légumes.

10h00 : On entend de sourdes mais violentes explosions : encore des réservoirs qui sautent.

11h00 : Accomplissons notre mission. Place Saint-Augustin, les Allemands ont installé un canon antichar et deux tanks attendent dans une rue voisine qu'on ait besoin d'eux.

13h05 : En revenant par le boulevard de Courcelles on voit derrière le Sacré-Coeur un incendie monstre. La fumée est rousse à liseré blanc et monte au moins à 1000 ou 1500 mètres.

14h00 : Place Saint-Augustin, des convois entiers stationnent : bd Malesherbes, bd Haussmann, ave César Caire, et attendent leur tour pour venir évacuer le Cercle militaire. Ils emportent tout. Ils ont même le culot de se servir d'un tapis persan comme couvre moteur d'un camion !!! C'est fou le déménagement qu'ils font. En général ils sont sales et n'ont pas l'air aimable. Des voitures rapides parcourent Paris à toute vitesse avec sur les garde-boue deux Allemands, mitraillettes au poing, prêts à tirer.

14h15 : Retour à la permanence du 8ème. Sommes à la disposition du maire, Mr Dasset.

16h00 : On nous appelle à la mairie. Le couvre-feu vient d'être fixé de 21h00 jusqu'à 6h00 du matin. Or, s'ils doivent être partis, comment pourront-ils assurer la police de vérification jusqu'à 6h00 ? Enfin, ne cherchons pas à comprendre.

16h45 : On nous apporte des affiches qu'il faut aller coller dans des lieux où elles soient visibles pour que les gens puissent savoir l'heure du couvre-feu. Nous accomplissons notre mission.

20h00 : Nous sommes de retour. Tout est collé. Les Allemands demeurent toujours.

21h10 : Aucune patrouille ne circule dans la rue déserte, sauf quelques concierges qui ne peuvent rester dans leur loge et quelques personnes aux balcons.

21h40 : L'incendie très violent dure toujours. De fortes explosions dont on voit d'abord au loin une grande lumière accompagnant une gerbe de flammes ébranlent toujours l'atmosphère.

21h45 : Une dizaine de coups de feu éclatent soudainement du côté du bd des Batignolles. Tous les gens rentrent d'un coup.

21h57 : Les gens ressortent.

21h58 : Une patrouille passe. Les Allemands nous somment de fermer les fenêtres, sans quoi ils vont tirer. On boucle.

22h01 : Encore quelques coups de feu. Pourvu qu'ils ne tuent pas trop de monde. A moins que ce ne soient les F.F.I qui s'offrent un carton sur les patrouilles.

22h02 : Encore un coup de feu dans le bas de la rue de Rome. Depuis aujourd'hui plus de journaux.

22h15 : D'immenses lueurs illuminent le ciel.

22h17 : D'un camion qui descend, partent deux coups de feu. On entend un lointain et fort roulement, probablement celui des convois quittant la capitale. Nous verrons si demain ils sont encore là.


Samedi 19 août : Les F.F.I se battent contre les Allemands aux Batignolles. Cela mitraille dur, car on entend des rafales de mitraillettes et même je crois qu'un canon antichar mêle ses détonations à la bagarre. Les membres de la Défense passive ont un brassard tricolore, avec F.F.I. Nous pensons peut-être en avoir.

10h45 : Plus rien de spécial.

11h05 : La mitraillade se rapproche. Beaucoup de rafales.

11h15 : Grosse rafale de mitrailleuse, pas loin.

11h16 : De fortes détonations continuent. La rafale était place Saint-Augustin. Nous sommes prêts à partir. La Résistance occupe la mairie du 8ème. Gare à la bagarre !

11h45 : Parti chercher ma bicyclette.

11h46 : Cela se bagarre toujours.

11h47: Le drapeau tricolore flotte sur la CPDE. (CPDE : Compagnie parisienne d'électricité)

11h48 : Fortes détonations.

11h49 : On se bat place de la Madeleine, place de la Concorde. On entend le canon.

11h50 : Place Saint-Augustin, les Allemands mitraillettes au poing, font feu sur les gens.

12h00 : La rue prend un aspect d'émeute tout à fait inconnu. On se bat, paraît-il, aux Champs-Elysées.

12h30 : On se bat rue Cambon, bd haussmann. Le téléphone n'arrête pas.

12h35 : Cela se bagarre un peu partout.

13h00 : Officiellement couvre-feu à 2h00.

13h10 : On entend le canon du front qui se rapproche rapidement. Je rentre déjeuner et à 14h00 je serai de retour au comité. Nous y resterons jusqu'à demain matin probablement. Nous pensons que les Américains viendront cet après midi à Paris.

14h15 : Coups de feu assez nombreux.

14h16 : On entend un bruit de convoi.

15h10 : Les Américains sont à Saint-Cloud et à Asnières. Ils attendent que les Allemands soient partis pour entrer.

17h00 : Rafales de mitraillettes; assez grosses détonations; le canon mêle les siennes au bruit général de la bagarre.

17h30 : Nous partons faire une ronde pour voir l'effet des coups de mitraillettes.

18h00 : Nous passons à la Concorde.

18h15 : Nous passons devant la mairie du 17ème; elle est occupée par la D.P (défense passive) avec brassards F.F.I.


18h26 : Nous sommes de retour au comité.

18h27 : Nombreux coups de feu du côté de Saint-Augustin.

18h29 : Je pars seul pour voir où en sont les choses. Rien.

18h30 : Rafales de mitraillettes du côté de la gare Saint-Lazare.

18h30 : Pendant 2 ou 3 minutes, crépitements.

18h30 : On nous téléphone qu'il y a de la bagarre rue Boursault. Les moulins à café continuent.


angle rues Boursault/Batignolles

18h40 : Bagarre bd des Batignolles. On part. Orsini, Hébert, Martin et Jean Pacquard, à vélo, à pied.

18h50 : Arrivons par la rue de Berne au bd des Batignolles.

18h52 : Nous rentrons hâtivement. Les Allemands tirent dans tout ce qu'ils trouvent sur le boulevard. Ça pète.

18h53 : Nous montons dans une maison d'angle, 39 rue de Moscou. Nous sommes enfermés dans la maison, au 3ème étage. Les Allemands tirent toujours. Ils gardent les rues.

18h55 : Cela se tasse.

18h56 : La Résistance repart, retranchée derrière les camions au coin du bd et de la rue, le long de la voie. (la voie de chemin de fer Paris Saint-Lazare).

19h06 : Les Allemands placent un canon de 25mm. Cela tire toujours.

19h07 : Cela se calme.

19h08 : Les Allemands gueulent.

19h09 : Alerte ! Jean Pacquard fait un pas de danse. Cela tire de temps en temps … Qu'est-ce qu'ils gueulent ! Paf ! Boum ! Les mitrailleuses jumelées bavardent. Les Allemands remontent dans leur camion. La Résistance a, paraît-il, une automitrailleuse.

19h35 : Sommes de retour au comité. Repartirons dans 20 minutes.

20h35 : Je rentre chez moi. Un enfant de 16 ans, muni d'un brassard, a été tué devant la pharmacie Bailly.

Il s'agit du jeune Jean Perrin, élève du Lycée Fénelon, qui était revenu de la campagne où la famille s'était réfugiée. Il accompagnait son père, ingénieur à la SNCF et lieutenant des F.F.I qui venait prendre part à l'insurrection et qui sera blessé lui aussi.. Jean Perrin, transporté à l'hôpital Necker décèdera le lendemain.

Georges Bailly, fils du pharmacien installé au bas de la rue de Rome, face à la gare Saint-Lazare, s'illustrera lui aussi pendant la libération de Paris dans les rangs des secouristes… lire le témoignage

21h00 : La bagarre continue. Un camion est arrêté au milieu du boulevard. Les F.F.I sont barricadés dans le lycée Chaptal et, du côté faisant le coin du boulevard des Batignolles, ils tirent sur les Allemands.

21h10 : Un Allemand s'écroule.

21h15 : Un autre veut le relever … Pan ! Touché aussi. Il n'est pas chic de tirer sur quelqu'un qui vient en sauver un autre.

21h20 : Les F.F.I se précipitent et font prisonniers ce qui reste comme Allemands, et emmènent le camion.

21h30 : Les pompiers viennent éteindre un incendie, rue Boursault. Cela pétarade toujours. Tout véhicule ou camion allemand qui passe, est littéralement mitraillé, canonné.

21h30 : Des voitures allemandes passent rue de Constantinople; elles passent vite et tirent dans les fenêtres. Dans la rue, on voit l'éclatement au sortir du fusil mitrailleur. Je rentre précipitamment, mais pas assez vite pour qu'il n'y en ait pas un qui ne m'ait visé et raté; car la balle est passée au dessus de la maison.

21h30 : La bagarre continue, très violente dans tout le quartier. Les crépitements et les éclatements n'arrêtent pas. Cela promet. Les Allemands deviennent fous furieux qu'on leur résiste.

21h40 : Un canon monte la rue. Attention ! Drum ! Rafale ! Nos persiennes sont fermées; il est trop dangereux de rester sur le balcon. Des rafales très fortes de mitrailleuses éclatent très souvent dans tout le quartier.

22h00 : La mitraillade est très violente; on entend monter un tank; s'il n'est pas F.F.I, qu'est-ce qu'il va prendre ! Rien ! Curieux.

22h30 : Je vais me coucher. S'il y a quelque chose, je le noterai. Je tombe de sommeil. On n'entend presque plus rien.

22h40 : Une détonation de canon.

23h00 : On voit de grands éclairs qui illuminent le ciel et la rue. De temps en temps, on entend des détonations sourdes. Canon ou orage ? Orage. Les éclairs ne discontinuent pas. On entend aussi de temps en temps le canon.

23h50 : Quelques très violents coups de feu isolés.


Dimanche 20 août 1944 : Arrivé à 7h00

7h40 : Téléphone pour prendre un blessé, 93 rue de Rome. Nous passons sur le boulevard des Batignolles. Devant la Croix-Rouge, cela tire sur la gauche. Une blessée aux yeux au 4ème étage. La conduisons à H.E.C, poste de secours rue de Tocqueville. On nous relève et on la descend au sas. Nous attendons que les premiers soins soient donnés pour reprendre le brancard. On va évacuer la blessée à l'hôpital Bichat. Il est 8h40. Sommes de retour au comité à 9h00.

9h55 : Quelques détonations, peut-être aux Batignolles où les Allemands ont installé des barricades. Rien de spécial. Quelques coups de feu.

12h30 : La bagarre reprend au carrefour Batignolles. Cela fait Drummm.

13h30 : Une mitrailleuse fait rage. Cela tape dur mais pas plus d'une minute.

13h35 : J'apprends que, depuis quelques temps, les FFI se sont emparés d'un char Tigre (*)

13h40 : Encore quelques coups de feu dont un assez près. En effet, il y a un camion citerne que les Allemands veulent emmener pour eux mais on leur tire dessus de la poste centrale de la rue de Berne et ils ne peuvent pas l'emmener.

14h50 : Grosse détonation.

15h00 : L'armistice est signé entre les FFI et les Allemands.

16h50 : Sommes place Villiers. Un camion plein d'Allemands en armes, qui ne veulent pas se laisser désarmer. Les FFI, munis d'une Citroën, armés de fusils et de mitraillettes, veulent tourner le camion. Le camion part, poussé par quelques Allemands, et enfin par son moteur. Il s'engage dans l'avenue de Villiers, suivi par une foule toujours plus intense qui hurle et qui trépigne. Les FFI lui font signe de se taire et nous demandent de les aider à la contenir; chose difficile, mais nous y arrivons. Les FFI ayant enfin fait comprendre aux Allemands qu'il fallait se rendre, ceux-ci comprennent et crient avec allégresse : "Fertig". Les FFI se tassent dans le camion; un de leurs chefs monte sur une auto, fait un speech à la foule et le camion part vers la mairie du 17ème. Nous décidons d'y aller.

(*) Un char a bien été pris sur les Allemands par les FFI, mais il s'agit d'un Somua de fabrication française. Il est immédiatement marqué aux couleurs de la Résistance. Sur la photo nous reconnaissons, en chemise claire et accroché à la tourelle, Georges Dukson, le "Lion du 17ème". (lire l'épisode)

17h30 : Feller, Lagneau, Leroux, Pecquet, Touche, nous partons à la mairie du 17ème.

17h40 : Arrivés tout près de la mairie, une foule énorme hurle de joie. Des drapeaux français, anglais. Des FFI font le service d'ordre; nous retrouvons Jacques Robert, qui entre dans la mairie et qui en ressort quelques instants après, deux grenades passées au ceinturon. Il nous crie d'aller en chercher. Nous entrons. J'étais un peu excité. Pour peu, s'il y en avait eu, j'en aurais pris. Heureusement ils n'avaient plus d'armes.

18h00 : Quelle rumeur ! Quel va-et-vient ! Quels hurlements ! Exclamations !


18h10 : La grande porte s'ouvre. Qui va entrer ? Je me le demande. Oh ! Ca alors ! C'est une femme conduite par deux FFI, la tête complètement rasée et une croix gammée noire sur le haut de la tête; une chemise blanche avec une croix gammée devant et derrière. Dans la rue plusieurs camions allemands gisent sur le bord du trottoir, calcinés, et les gens sautent dessus et crient.

18h30 : Un homme vient dire : Mon concierge est collaborateur, venez l'arrêter. Réponse : Trois hommes pour aller arrêter le concierge du tant de la rue X .. Cette atmosphère me dégoûte; c'est celle de la basse vengeance. Feller, Pecquet s'en vont. Je reste avec Lagneau.

18h55 : Je m'en vais, moi aussi, en emportant un carburateur que j'ai trouvé là.

19h15 : Suis au comité.

19h17 : Deux FFI, en moto, viennent au coin de la rue de la Bienfaisance et de la rue de Vienne pour arrêter un collaborateur. Ils l'emmènent sur la moto; un des FFI est armé d'une mitraillette.

20h30 : Je rentre.

22h00 : Une immense colonne de fumée monte dans l'ouest, accompagnée de nombreuses explosions qui illuminent le ciel. Cela dure jusqu'à 23h55.

Au cours de mes recherches, j'ai relevé dans le quartier ce jour-là :

Roger Salomez : 40 ans, FFI mortellement blessé 77 rue des Dames.

Simone Collet, épouse Jaffray : 28 ans, domiciliée rue Lamarck dans le 18ème, agent de liaison de l'état-major FTP, mortellement blessée 18 rue Jacquemont.

Robert Desmonnet : 32 ans, FFI mortellement blessé devant l'école d'institutrices, 10 rue de Boursault.

et encore :

Gérard Kast : âgé de 17ans, mesurant 1m60, cheveux bruns coupés en brosse, vêtu d'un pantalon de ski, d'une chemise de couleur bleue et d'une canadienne beige, disparaît dans le secteur Batignolles/Clichy. Son père, fabricant joaillier, domicilié 8 rue Tronchet dans le 8ème, fera paraître un avis de recherches dans la presse le 17 septembre 1944.

Maurice Decrocq : 61 ans, tué 9, rue de Turin.


Jean-Claude Touche n'écrit rien à la page du lundi 21 août 1944.

 

ce 21 août, André Calmel, équipier de premiers secours du 17ème secteur de la Défense passive, tombe devant le 53, rue des Dames.

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