C’est la stupeur dans la capitale ce mercredi 23 août 1944 en fin de matinée quand les quelques Parisiens qui ont écouté la B.B.C colportent la nouvelle : « l’État-major des FFI de Londres vient d’annoncer que Paris était libéré ! » Quoi ? L’Allemand est toujours là, des coups de feu claquent, des hommes tombent et à Londres on déclare que Paris est libéré ? Les combattants des barricades sont furieux. A 13h00 le communiqué est repris dans l’émission anglaise. Incroyable ! C’est à ne rien y comprendre.
Jacques Maritain au micro de La Voix de l’Amérique et The Daily Iowan du 24 août
A Londres les rues s’animent. Paris est libéré ! Paris libéré lui-même ! Les Anglais s’arrachent les éditions spéciales. A Berne le commentateur du S.O.C (Service des ondes courtes, future Radio Suisse internationale) précise : « La population parisienne s’est soulevée contre les Allemands et a repris possession de la capitale. Une lutte de quatre jours a opposé 50 000 patriotes armés aux troupes d’occupation allemandes et aux collaborateurs de Vichy ». A New-York Jacques Maritain relaye au micro de la Voix de l’Amérique l’extraordinaire nouvelle : « Paris est libéré ! » L’information fait le tour du monde, est largement reprise par les journaux du lendemain jeudi 24 août et sur Radio-France à Alger le présentateur lit le communiqué du Gouvernement provisoire suivant : « 23 août, Paris est libre… Sa chute a été un signe de deuil. Sa libération annonce la victoire. Par ses sacrifices et par ses souffrances innombrables, le peuple de Paris a ouvert le chemin à de nouveaux progrès et à de nouveaux espoirs. Vive Paris ! Vive la Liberté ! Vive la République !" (Mémorial du Maréchal Leclerc de Hautecloque).
Dans les rues de la capitale il est pourtant incontestable que l’on se bat encore. Certes les FFI ont contraint les Allemands à se retrancher dans différents points d’appui comme l’Assemblée nationale, la caserne de la République, l’École militaire ou l’hôtel Majestic. Mais les patrouilles de chars sont meurtrières rue de Rivoli, sur le parvis de l’Hôtel de Ville ou autour du Luxembourg. Faiblement armés, les insurgés sont obligés de rompre le combat. Les cadavres s’entassent dans les morgues improvisées. Les secouristes risquent leur vie pour relever les blessés sous la mitraille.
les généraux Leclerc et Bradley
22 août 1944. La 2ème Division blindée est toujours en Normandie. Le général Leclerc a lancé discrètement le sous-groupement Guillebon vers la capitale pour tâter le terrain et reconnaître le meilleur itinéraire. Il va faire le siège des autorités américaines pour obtenir l’autorisation de se diriger sur Paris. Vers 19h00 le général Bradley revient enfin à son P.C. où Leclerc fait les cent pas. L’ordre tant attendu est enfin donné : Foncer sur Paris, s’emparer des ponts de la Seine, en cas de résistance sérieuse s’arrêter et se mettre sur la défensive. La 4ème Division d’infanterie américaine appuiera la 2ème DB sur sa droite.
Le général Koenig, Georges Boris et Henri Ziegler
Alors que s’est-il passé à Londres ?
Le général Koenig est rentré à Londres le 22 août dans la soirée en apportant la nouvelle de la marche de la 2ème DB sur Paris. Son état-major est resté jusque là très discret sur l’insurrection parisienne auprès de la B.B.C. Pas question de donner de faux espoirs à la population française pendue aux émissions quotidiennes. Et pour être honnête il n’a pas une idée précise de la situation dans la capitale. Mais le mouvement que va entreprendre la 2ème DB change la donne. Si Paris n’est pas libre, cela ne devrait pas tarder. S’il se tait le monde entier apprendra la nouvelle de la libération de la ville par les Armées alliées sans savoir qu’elle s’est soulevée le 19 août. La France perdrait ce bénéfice moral de l’insurrection face à l’occupant qui permettra au général de Gaulle de déclarer lors de son fameux discours à l’Hôtel de Ville « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle ».
Georges Boris, délégué à Londres du Commissariat national à l’intérieur et responsable des liaisons de la France Libre avec la B.B.C, et Henri Ziegler, alias colonel Vernon, chef d’état-major du général Koenig, décident d’annoncer le succès de l’insurrection. La prudence n’est plus de mise. Le communiqué qu’ils rédigent donne même dans l’exagération : « Samedi 19 août au matin le Conseil national de la résistance et le Comité de libération parisien, en accord avec le délégué national membre et représentant du Gouvernement provisoire de la République, ont décrété le soulèvement général à Paris et dans la région parisienne. Les Forces Françaises de l’Intérieur fortes de 50.000 hommes, armées et appuyées par plusieurs centaines de milliers de patriotes non armés, sont aussitôt passées à l’action. La police parisienne qui s’était précédemment mise en grève s’est emparée de la Préfecture de police et a fait de l’Île de la Cité un bastion contre lequel se sont brisées les attaques allemandes. Hier le 22 août, après quatre jours de lutte l’ennemi était partout battu. Les patriotes occupaient tous les édifices publics. Les représentants de Vichy étaient arrêtés ou en fuite. Ainsi le peuple de Paris aura pris une part déterminante à la libération de la capitale » (Adrien Dansette : Histoire de la Libération de Paris).
barricade à la Préfecture de police ; balcon de la mairie du 10ème arrondissement
Rien n’est faux. La caserne de la Cité est aux mains des policiers, les FFI occupent les mairies et les ministères. Mais le ton est très « triomphal ». L’Allemand n’est pas battu partout, loin s’en faut. On meurt encore dans les rues de Paris. Les FFI seuls n’arriveront pas à le réduire.
Mercredi 23 août en fin de matinée, le speaker annonce : « Nous recevons à l’instant un communiqué du général Koenig… ». Une Marseillaise ponctue l’émission.
Le Quartier général des forces alliées en Europe (S.H.A.E.F) appelle immédiatement la B.B.C et interdit toute nouvelle diffusion du communiqué. Mais une jeune femme le relit à 12h45 et l’émission anglaise de 13h00 le reprend également.
Si Paris n’est pas réellement libéré dans les heures qui viennent il faudra démentir la nouvelle…
le général Eisenhower entouré des membres du Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force
Le lendemain 24 août le S.H.A.E.F, très mécontent, indique au cours d’une conférence de presse que « les Forces françaises de l’intérieur sont en possession d’une grande partie de la ville mais celle-ci ne peut en aucune façon être considérée comme libérée »
Le Roi d’Angleterre envoie un message de félicitations au général de Gaulle ; Antony Eden, secrétaire aux Affaires étrangères, exalte à la B.B.C la Libération de Paris. Ils connaissent la situation exacte mais jouent la carte De Gaulle.
On peut dire que l’annonce prématurée de la Libération de Paris grandira le rôle de la France, partie prenante et active de sa libération. Elle minimisera celui des Américains qui au goût de beaucoup se conduisent en « libérateurs de l’Europe ». Ni bévue, ni opération d’intoxication, ce communiqué était en fait un coup de bluff patriotique. Il a réussi.