Massacre à Chelles

Septembre 1944, Madame veuve Blanchet, présidente du comité de libération de la ville de Chelles, rend un vibrant hommage aux 14 résistants chellois fusillés à la Cascade du Bois de Boulogne (lire l'épisode) puis passe la parole à Mr Digoy, membre de la commission municipale provisoire, qui lui présente d'abord, au nom de tous ses camarades, ses sincères condoléances. En effet non seulement Mdme Blanchet a perdu son mari, le capitaine des FFI Henri Blanchet, dans cette expédition mais elle vient d'apprendre la disparition de son frère, le capitaine Piobetta, tué en Italie dans les rangs de la 1ère Armée française du général de Lattre de Tassigny.

Puis Mr Digoy raconte les circonstances de l'autre drame qui a endeuillé la ville de Chelles.

Mercredi 23 août : Fort des nouvelles encourageantes sur les succès de l'insurrection parisienne et de l'arrivée prochaine des troupes du général Leclerc, le comité local de libération décide de s'emparer de la mairie. Charles Schlosser, père d'un fusillé de la Cascade, est nommé président de la commission municipale provisoire (il sera élu maire en octobre 1944). On procède à l'arrestation de quelques collaborateurs notoires, on récupère des armes dans un cantonnement allemand abandonné. Dans l'après-midi, un sous-officier allemand et une douzaine de travailleurs civils dont plusieurs italiens se constituent prisonniers.

Jeudi 24 août : Le commissaire de police de Chelles est suspendu et remplacé par un capitaine de gendarmerie à la retraite. Vers 16h00 un violent accrochage a lieu près de la mairie et du commissariat de police. Il oppose un petit détachement allemand équipé d'un canon antichar à un groupe de FFI locaux et durera deux heures. Si les FFI n'essuient aucune perte, les Allemands ont deux tués et plusieurs blessés.

Vendredi 25 août : Visite du sous-préfet de Meaux. Les autorités allemandes de Meaux ont appris que des prisonniers étaient détenus à Chelles. S'ils ne sont pas libérés immédiatement, la ville sera mise à feu et à sang. Le sous-préfet interroge les prisonniers. Seulement deux manifestent le désir de rejoindre leur unité. Les travailleurs civils préfèrent rester. Le sous-préfet repart à Meaux avec les deux soldats libérés. Dans l'après-midi des coups de feu éclatent devant la mairie. Les membres du comité local de libération qui s'étaient réunis pour organiser le ravitaillement parviennent non sans mal à s'enfuir sous la protection des FFI. Charles Schlosser revient sur ses pas et demande à voir l'officier commandant la troupe. Il lui explique que selon l'accord conclu le matin, le Feldkommandant de Meaux a promis de n'exercer aucunes représailles. La réponse de l'officier est sèche : "Vous avez accepté le poste de maire, vous êtes d'accord avec les terroristes, vous êtes vous-même un terroriste, vous allez être fusillé". Charles Schlosser est conduit sous bonne garde dans le parc de la mairie d'où il assiste à la suite des évènements.

Les soldats du 273ème Régiment d'infanterie, venus de Meaux, se sont répandus dans la ville. Ils tirent au hasard. Une grenade explose dans la maison de Mdme Verdeaux dont le fils Roland, 19 ans, a été fusillé à la Cascade; elle est grièvement blessée (*). Des enfants de seize et dix-sept ans sont regroupés dans le parc. Parmi eux le second fils de Mdme Verdeaux, André, 17 ans. Cela dure environ cinq heures …

Treize otages sont alignés devant le mur de la mairie. Des FFI capturés les armes à la main, des civils. Une salve de mitraillettes … Ils ont été abattus.

(*) Au nombre des blessés, Marcelle Mellot atteinte au ventre et aux jambes. L'un des jeunes présents sur place, Bernard Peiny, explique aux soldats qu'elle a besoin de soins immédiatement… ils les laissent sortir. Marcelle gardera des éclats de métal dans les jambes toute sa vie. Mais conservera également avec beaucoup d'émotion la dernière image de ses camarades avant qu'ils ne partent pour le lieu d'exécution (Merci à François Baert, son petit-fils, pour ces précisions).

Sur cette photo, parue dans l'ouvrage de René Roy (La Brie en guerre 1939-1945), dix des victimes. Un otage, Moussa Ben Abbes, 27 ans, a miraculeusement réchappé à la mort. Grâce à leurs uniformes on peut aisément reconnaître : (1) Georges Schoenfeld, 30 ans, gardien de la paix au commissariat local, (2) Charles Castermant, 30 ans, gendarme de la brigade de Bray-sur-Marne. Une lectrice a reconnu (3) Lucien Gallet, 18 ans, et (4) Christian Mariey, 17 ans. Dans la brochure du Conseil général de la Seine-et-Marne "1939-1945 des lieux et des hommes" on peut découvrir (5) Aimé Auberville, 47 ans, (6) Roger Barnadat, 16 ans, (7) André Verdeaux, 17 ans, et (8) Wladislaw Pusz, 21 ans. Merci de m'aider à identifier Jean Bothorel, 20 ans, René Levasseur, 34 ans, et Lucien Closon, 36 ans. René Roy précise dans son ouvrage qu'il n'existe pas de photographie de Houssa Ouaïd, 36 ans, ouvrier marocain originaire de Meknes qui s'est offert pour prendre la place d'un garçon de 12 ans raflé dans la rue.


Vers 20h30, Charles Schlosser est conduit au Triage de Vaires où il passe la nuit Le lendemain il est interrogé par l'officier.

J'ai le droit de vous faire fusiller, lui déclare-t-il,  mais vous vous êtes présenté à moi volontairement hier. Vous êtes libre. Vous ne l'auriez pas fait, toutes les maisons autour de la mairie sautaient … avec tout ce qu'il y a dedans.


sur le mur de la mairie de Chelles


les obsèques d'André Verdeaux