La libération d’Aubervilliers

La commune d’Aubervilliers, 56 000 habitants, voit arriver les Allemands le 14 juin 1940. Ils s’installent aussitôt au Fort mais viennent régulièrement en ville en rangs serrés pour procéder à leur toilette aux Bains-Douches après avoir laissé leurs fusils en faisceaux sur le trottoir mais sous la surveillance d’une sentinelle. Ils réquisitionnent l’entreprise de charcuterie La Nationale et les Magasins-Généraux dans lesquels sont entreposés les produits industriels et alimentaires destinés aux commerces parisiens. Ils s’en serviront pour stocker le produit de leurs achats et pillages avant de l’expédier en Allemagne. Puis c’est la lourde occupation qui s'installe avec ses restrictions, ses interdits et ses menaces quotidiennes. De plus la ville est particulièrement exposée aux bombardements étant très proche de la gare parisienne de la Chapelle. 

Deux groupes de résistants s’organisent dans la clandestinité : le groupe Henry affilié au mouvement ceux de la Résistance et les Francs tireurs partisans (FTP). Ils entrent en action dès le 20 juin 1944 en détruisant deux écluses du canal Saint-Denis, empêchant ainsi toute navigation, et le 6 juillet quand une centaine de FFI s’emparent de 20 tonnes de marchandises à l’usine Dugoud qui seront distribuées à la population affamée par le rationnement. Le 12 juillet un soldat allemand est assassiné rue Guyard-Delalain, les autorités d’occupation imposent un couvre-feu de huit jours de 22h30 à 5h00 du matin et patrouillent dans les rues. 

Le 9 août nouvel attentat rue des Cités. Les Allemands raflent des otages puis fusillent Georges Van Werts, FFI du groupe Manigart.

 

L’insurrection couve. Les cheminots sont en grève, bientôt rejoints par les policiers et les postiers. Les résistants doivent se procurer coûte que coûte des armes. Le 15 août le groupe Manigart se met en embuscade rue des Grandes-Murailles et attend le passage d’un convoi de la Milice censé justement en transporter ainsi que de nombreuses caisses de munitions. C’est une unité de la Feldgendarmerie qui se présente et attaque aussitôt.

Les FFI laissent sur le terrain Désiré Boudier, Marcel Escabas, Raymond Guilletat, Marc Lepilleur, Georges Magnier et René Van der Snick. Roger Breton, Max Florence, René  Pastor et Louis Risch sont capturés et fusillés quelques heures plus tard à Garges-lès-Gonesse. 

Vendredi 18 août, les FFI prennent le contrôle des ponts stratégiques. La poste des Quatre-Chemins et l’usine La Nationale sont occupées. Dans la nuit des soldats allemands tentent de piller les Magasins-Généraux 102, rue Petit, côté Paris, et tuent l’inspecteur de police Gustave Gallien et les FFI Fernand Combert et Raymond Meillion  qui en assuraient la garde.

Le samedi 19 août à 10h00 la Résistance s’empare de l’Hôtel de Ville, le premier adjoint au maire est arrêté, un drapeau tricolore est accroché au balcon et une mitrailleuse mise en position tandis que la foule se rassemble dans la rue fêter la libération. Mais à 12h30 un char allemand s’approche par l’avenue de la République et tire sur l’édifice. Pas de victimes mais de gros dégâts. A 13h30 les occupants sillonnent la ville sous les coups de feu des FFI pauvrement armés mais bien décidés à en découdre. Les brancardiers transportent les blessés au poste de secours de l’école Paul-Doumer. A 18h45 deux tanks prennent position avenue Saint-Denis et canonnent la mairie tandis que des fantassins prennent en enfilade les rues Edgar-Quinet et Schaeffer. A 20h00 ces troupes se retirent vers le Fort de l’Est à Saint-Denis. De nombreuses échauffourées se produisent dans la nuit dans le quartier du Landy, aux Quatre-Chemins, avenue Jean-Jaurès ou encore près du Fort d’Aubervilliers. On dit que ces combats ont été livrés contre la Milice. Louis Fabre, Jean Havlik, Henri Camel, Anne-Marie Bergeron née Fettier, Lucien Bertrand, Lucien Roussel et Nicolas Mastrodimitrio sont tués avenue Victor-Hugo ; Raymonde Challey est tuée 14, boulevard Anatole-France ; Mireille Delarue née Berthelin au 32 bis ; Ben Ali Brahim tombe 3, rue de la Commune-de-Paris ; Jacques Lescrainier sur la place de la mairie. Sept Allemands ont été tués, huit faits prisonniers.

Dimanche 20 août, les chars réapparaissent et tirent de nouveau sur la  mairie. Une forte troupe attaque les Magasins-Généraux pour dégager deux cents soldats bloqués toute la nuit par les FFI. A 14h00 deux tanks se mettent en batterie devant l’école Edgar-Quinet et arrosent la rue du Moutier démolissant devantures de magasins, pylônes électriques, fenêtres et volets. La rue est jonchée de débris. Les FFI essuient quelques tirs isolés. Les suspects sont immédiatement arrêtés et conduits sous les huées de la foule vers des prisons improvisées. On se bat près du Pont de Stains-Canal. A 17h10 le commissaire de police signale le vol de la voiture immatriculée 9742 RK 4 portant un emblème de la Croix-Rouge. Le volontaire de la Défense passive qui la conduisait a été arrêté par les Allemands. A 19h00 des soldats continuent de tirer sur la foule. Roger Colas est tué 23 rue Achille Domart; Emile Segard à l'angle de la rue du Goulet et de la rue du Moutier; Louise Poisson à sa fenêtre 6 rue du Goulet; Marcel Munoz rue du Moutier; André et Renée Chamois devant leur magasin 55 avenue de la République; Désiré Lagein 74 avenue Saint Denis et Antoinette Bouthors 33 rue du Vivier ; le gardien de la paix Maurice Bernard est mortellement atteint lors de l’arrestation d’un milicien 6, rue de Solférino ; on relève également le décès de l’infirmier de la Défense passive Jacques Chobert. Vingt-et-un Allemands ont été tués.

barricade rue de Paris (photo AuberMensuel 2004)

Lundi 21 août, les consignes sont de ne pas tirer les premiers. Un armistice a été conclu avec l’Armée allemande ce qui n’empêche pas quelques fusillades sporadiques. Bilan : quelques blessés.

scènes de rues (photos AuberMensuel 2004)

Mardi 22 août, deux soldats allemands qui patrouillent rue Heurtault ouvrent le feu. Ils sont immédiatement pourchassés par un groupe de FFI. A 13h30 des chars arrivent par l’avenue Saint-Denis. L’école Victor-Hugo se retrouve au centre des combats qui dureront une grande partie de l’après-midi. Des soldats allemands pris sous le feu des FFI se réfugient dans les locaux de l’école Edgar-Quinet et prennent des otages. Ils partiront vers 21h00 sans eux. Charles Granier et Fernand Carouget sont tués rue Victor-Hugo près des Magasins-Généraux ; Lucien Leveau 2, rue de la Commune-de-Paris ; Maxime Dubois 10, avenue de la République et on relève également le décès de Kléber Blangeot. Vingt-deux Allemands on été tués, huit faits prisonniers.

Mercredi 23 août, 13h30, nouvelle attaque sur la mairie. Cette fois les chars sont accompagnés par deux chenillettes dont les occupants se répandent dans les rues en semant la terreur. Le clocher de l’église est touché ainsi que de nombreuses maisons. L’aspirant Marie demande du secours et des armes à la Préfecture de police. M. Michelgrand, instituteur à Victor-Hugo retrouve son appartement dévasté par un projectile : fenêtre arrachée, meubles et linge déchiquetés. Miloud Ben Abdallah et François Huidobro-Diez sont tués 207, boulevard Félix-Faure près des Magasins-Généraux tandis que la jeune Paulette Rosillo, âgée de 8 ans, est touchée par une balle perdue ; José Robledo et Paul Ligny sont tués avenue Victor-Hugo toujours à côté des Magasins-Généraux ; Albert Cambray et Gilbert Riche tombent 28, rue du Goulet ; Jacques Lorenzi est tué sur la barricade du Pont de Flandres et on relève le décès de Michel Maurice. Douze Allemands ont été tués, sept faits prisonniers.

Jeudi 24 août, la population se rassemble pour enterrer ses morts. Le passage de chaque cercueil est salué par un coup de fusil tiré par un FFI. Les blindés allemands doivent être occupés ailleurs à des tâches plus importantes car on ne les verra pas de la journée. Le gardien de la paix Jannic est fait prisonnier et emmené à la nouvelle mairie du Bourget.

Vendredi 25 août, le bruit enfle : « Les Américains sont à la Villette ! Ils arrivent ! ». De fortes détonations sont entendues provenant du Fort de l’Est à Saint-Denis. Destructions de matériels ou combats ? On l’ignore. Dans les rues c’est la joie. Applaudissements, chants, rires, Marseillaise, Vive la France ! Vive de Gaulle ! Le gardien Jannic a été relâché. Vers 23h00 un groupe de soldats qui quitte la ville abat M. Rossignol avenue Victor-Hugo.

Samedi 26 août, les FFI juchés sur leurs camionnettes circulent dans les artères pavoisées au milieu d’une foule qui entonne la Marseillaise et l’Internationale, agite des drapeaux et salue les doigts en « V ». De nombreux habitants se rendent à Paris pour assister au défilé triomphal du général de Gaulle sur les Champs-Elysées. Vers 19h00 on se précipite pour découvrir deux soldats de l’Armée Leclerc venus embrasser leur famille. Un attroupement immense se forme autour de leur voiture garée devant la mairie.  On relève le décès de Marcel Favrot.

rue du Moutier le 26 août, les FFI du groupe Manigart (photo Aubermensuel 2004)

Dimanche 27 août, dès 8h00, la population fait une haie d’honneur aux vaillants soldats français qui se dirigent vers Saint-Denis pour continuer le combat. Hélas ils passent trop vite. Tant pis ! Les Albertivillariens iront féliciter, photographier, embrasser, questionner et admirer leurs camarades stationnés le long de la route de Flandre vers le Bourget. On relève les décès de Georges Tessier et Lucien Genet.

Quelques portraits :

Raymond Guilletat

Max Florence

René Van der Snik

Gustave Gallien

Ben Ali Brahim

Marcel Munoz

Maurice Bernard Gilbert Riche

Jacques Lorenzi