Yvonne Vulliez a seize ans, elle habite avec ses parents et sa soeur au 4ème étage du 45 de la rue de Bourgogne, dans le 7ème arrondissement de Paris. Depuis quelques jours interdiction est faite à quiconque de circuler dans ce quartier des Ministères. Les troupes d'occupation sont sur le qui-vive et, passablement énervées, ont la gâchette facile. On relèvera de nombreuses victimes par mitraillage. Pour occuper le temps, en cette après midi du 23 août 1944, Yvonne a entamé une partie de Nain Jaune avec son père et sa soeur. |
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Soudain c'est le vacarme dans la rue. Un tank allemand vient de détruire la fragile barricade de sacs de sable montée à l'angle de la rue de Grenelle et de la rue de Bourgogne. Si le 19 août la Mairie du 7ème arrondissement a été occupée sans trop de problème par les FFI, ceux-ci ont reçu l'ordre de protéger coûte que coûte l'immeuble de la Radio diffusion française, 107 rue de Grenelle, et de patrouiller régulièrement dans les rues du quartier afin de prévenir immédiatement les journalistes et techniciens enfermés dans les studios et préparant les premières émissions radiophoniques de la Libération, en cas d'arrivée en force de soldats allemands ou de miliciens. |
Cet obus allemand qui a détruit en partie la barricade a aussi tué le gardien de la paix Marcel Héraut, 24 ans, marié et père d'un enfant, du commissariat du 7ème, qui revenait de patrouille en compagnie de son collègue Pencoat. Les Allemands se retirent. Le père d'Yvonne, Etienne, âgé de 55 ans, est membre de la Défense passive. Il est appelé avec quelques hommes pour redresser la barricade. Il s'agit de faire vite. Le travail terminé il regagne immédiatement son domicile. |
la barricade à l'angle des rues de Grenelle et de Bourgogne |
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A l'instant précis où il s'apprête à franchir la porte cochère de son immeuble, il est interpellé par deux hommes qui se tiennent sur le trottoir d'en face. Etienne les connaît au moins de vue, il s'agit du concierge de l'Institution de Bonnes Soeurs voisine, accompagné de son fils de 17 ans, tous deux militants doriotistes (*) notoires. Sans autre forme de procès le jeune homme qui était armé, abat Etienne d'une balle dans la tête. Des brancardiers de la Défense passive se précipitent; comme toute circulation automobile est interdite dans le quartier, ils vont l'emmener à pied à l'hôpital Laënnec qui se trouve à l'autre bout de l'arrondissement. Yvonne, sa soeur, et l'abbé Lepinois, à peine protégés par le drapeau de la Croix-Rouge, les accompagnent. |
A l'hôpital le diagnostic est sans appel : la balle a traversé de part en part la boîte crânienne, le blessé est arrivé trop tard. Etienne décède dans la soirée. "Ah ! Les vaches !" se serait-il écrié selon ce qui a été rapporté à la famille. Les deux jeune filles doivent attendre la tombée de la nuit pour regagner leur domicile. Se faufilant à travers les rues elles grimpent à l'échelle d'incendie de l'immeuble de la Radio-diffusion française pour atteindre leur immeuble par les toits. Bien leur en prend car quelques heures auparavant Madame Boirard, 73 ans, a été tuée à sa fenêtre du 38 rue de Bourgogne par un groupe de soldats allemands furieux de ne rien avoir trouvé en perquisitionnant chez le boucher du rez-de-chaussée. |
autre vue du carrefour après l'insurrection; le patron du café Grand Vercingétorix était également doriotiste |
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Le beau-frère d'Yvonne, inspecteur de police de l'arrondissement, sera chargé d'enquêter sur ce meurtre. Le concierge et son fils seront arrêtés et interrogés. S'agissait-il d'une vengeance personnelle (ils ont interpellé Etienne par son nom) ou d'un crime gratuit de collaborateurs dont l'univers s'effondre ? |
Yvonne ne se souvient pas des conclusions de l'enquête et des suites judiciaires données à l'assassinat de son père. Mais elle croit savoir que les deux hommes n'ont pas été inquiétés outre mesure. |
Le quartier de la Mairie a été le théâtre de plusieurs mitraillages pendant les journées de la Libération : |
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Jean Sulpice, FFI du 10ème, est mortellement blessé le 20 août lors de l'attaque de la Mairie. Il est enterré au cimetière de Pantin. Le lendemain, deux hommes non encore identifiés sont tués au même endroit. |
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Marcel Planchard, nageur professionnel et sergent des FFI est blessé le 22 août, toujours à la Mairie, et décède le surlendemain. |
Jacques Susini, âgé de 43 ans et sous lieutenant des FFI, est tué le 24 août à 20h00 devant le 40 de la rue de Bourgogne; son cadavre restera toute la nuit dans la boulangerie voisine avant d'être transporté à l'Hôtel-Dieu. |
Pierre Marie Fredon, 42 ans, sergent des FFI du Front National du 5ème arrondissement est tué le 24 août à 23h00 alors qu'il patrouille rue de Varennes. Son corps est transporté à l'hôpital Broussais. |
Fernand Fontaine, 37 ans, est mortellement blessé par éclats d'obus le 24 août vers 14h00 dans la blanchisserie du 84 de la rue de Bourgogne. |
Âgé de 26 ans et brancardier du 7ème secteur de la Défense passive, Michel de Bretagne est tué 75 rue de Varennes par un obus tiré depuis le Palais Bourbon. |
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André Pradat, 40 ans et caporal des FFI, est abattu d'une balle dans le ventre au cours d'une escarmouche devant la Mairie, le 23 août dans la soirée et non le 25 comme indiqué sur la plaque. Il décède le lendemain à l'hôpital. |
(*) Jacques Doriot (1898/1945) est le fondateur du PPF (Parti Populaire Français). Ex-secrétaire général des Jeunesses Communistes et député maire communiste de Saint-Denis en 1931 il a été exclu du Parti en août 1934 car il était entré en rivalité avec Maurice Thorez. Partisan d'une politique de collaboration entière il ira jusqu'à s'engager dans les rangs de la LVF (Légion des volontaires français) en 1942 et se battra, aux côtés des Allemands sur le front russe. En 1944 il se réfugie à Sigmaringen. Sa voiture aurait été mitraillée par un avion inconnu le 23 février 1945 sur une route d'Allemagne. Deux versions circulent sur sa disparition : exécuté par les Allemands pour avoir pris contact avec le général de Lattre de Tassigny ou bien disparu sans laisser de traces après un pseudo mitraillage de son véhicule.