Le 20 août 1944, un homme très brun, barbu, mal vêtu et portant des espadrilles, se présente devant le lieutenant Rollet, chef d'un groupe franc qui tient l'une des barricades de la place de la République.
"Je ne peux pas vous dire mon nom, pourtant vous me connaissez … tout le monde me connaît. Si je vous le disais, vous seriez effrayé. Je veux me battre".
La place de la République, où trône la caserne Prince Eugène de la Garde républicaine, sera le théâtre de furieux combats. La garnison allemande, solidement retranchée derrière ses canons et ses nids de mitrailleuses, ne se rendra que le 25 août en fin d'après midi sous les assauts victorieux de la 2ème Division blindée épaulée par les F.F.I qui, depuis le début de l'insurrection, avaient encerclé la place de leurs barricades infranchissables.
Le mystérieux barbu est donc enrôlé dans les Milices patriotiques du 10ème arrondissement sous le nom de Henri Valéry. Le soir même il ramène à son logeur un trophée de guerre : un petit tambour.
Il se battra courageusement aux dires des témoins. Les Allemands, même s'ils se montrent particulièrement offensifs et dangereux, sont contenus sur la place. Ils en sont réduits à enterrer leurs morts sur le terre plein central. De nombreux F.F.I perdront la vie dans ces combats (lire l'épisode "La caserne Prince Eugène, une forteresse").
Les armes se sont tues. Vient le temps de la première épuration. Le 15 septembre 1944 notre mystérieux barbu se présente devant le bureau de recrutement du 1er Régiment de Paris. Il signe un engagement sous le nom de Henry Wettervald, dit Henri Valéry. Quelques jours à peine et le voilà promu capitaine et affecté, caserne de Reuilly, à la Sécurité militaire. Il est commissaire instructeur, dispose d'un bureau, d'une secrétaire et même d'une voiture. Devant l'immensité de la tâche qui l'attend le capitaine Wettervald demande et obtient trois inspecteurs pour l'aider.
Un homme reconnaîtrait sans coup férir le capitaine Wetterwald alias Valéry. Mais cet homme, le commissaire de police judiciaire Massu, a été arrêté le 20 août et suspendu de ses fonctions dans l'attente de son passage devant la commission d'épuration de la Préfecture de police; commission d'épuration qui d'ailleurs ne trouvera rien à lui reprocher sur sa conduite pendant l'occupation.
Le commissaire Massu a visité le 11 mars 1944 les sous-sols de l'hôtel particulier du 21 rue Le Sueur et ce qu'il y a découvert était effroyable : une remorque de chaux vive, un mur aveugle pour se protéger du regard des voisins, un système de poulie, cordes et chaînes à l'aplomb d'une fosse, une sorte de périscope permettant de voir à l'intérieur d'une cellule … et autour d'un petit calorifère des débris humains; d'un autre sort un bras; tout autour des crânes, des troncs; plus loin un cadavre découpé dans le sens de la longueur semble attendre d'être enfourné …
Les premières vérifications permettent d'établir l'identité du propriétaire des lieux : le docteur Petiot. Mais celui-ci est introuvable. La première idée du commissaire est qu'il a, devant lui, une officine de mort de la Gestapo tant les cadavres sont nombreux. Un seul homme ne suffirait pas à la tâche. Mais il reçoit vite un télégramme de sa hiérarchie : "Ordre des autorités allemandes : procéder arrestation du docteur Petiot, fou dangereux". Le docteur Petiot ne fait donc pas partie de la Gestapo. Cette affaire fera la "une" de la presse pendant des semaines. On dénombre les victimes de "l"abominable docteur Petiot" du "vampire de l'Etoile" … mais il faut bien le constater, celui-ci a disparu dans la nature.
Le 20 août 1944, Petiot s'est donc engagé dans les Milices patriotiques sous le pseudonyme de Valéry, le nom du médecin à qui il a succédé 66, rue Caumartin. Ce nom a été cité dans tous les journaux relatant l'affaire. Pure bravade de sa part ou inconscience ? Apprenant un peu plus tard qu'un Henri Wettervald, médecin lui aussi, est prisonnier en Allemagne il se rend chez sa mère et se fait remettre tranquillement ses papiers militaires et ses diplômes universitaires. Il remplace la photo d'identité et s'engage au 1er Régiment de Paris sous ce nouveau pseudonyme … L'homme recherché par toutes les polices de France rend la justice à la caserne de Reuilly …
Le 19 septembre 1944 le journal Résistance fait paraître sous la plume de Jacques Yonnet un article à sensation " Petiot, soldat du Reich " dans lequel le bon docteur n'a vraiment pas le beau rôle : trafiquant de cocaïne, impuissant et voyeur, agent de la Gestapo de Marseille … C'est un piège qui ne peut que faire bondir Petitot d'indignation, lui qui veut tant être pris au sérieux. Par l'intermédiaire d'un avocat il fait parvenir au journaliste une lettre d'explications et de protestation dans laquelle il prétend avoir agi pour la résistance. Il commet la simple erreur de rédiger cette lettre de façon manuscrite. Certaines précisions laissent à penser que Petiot occupe une fonction dans l'épuration en cours. La lettre est comparée à plusieurs spécimens d'écriture de responsables de bureaux.
Le 31 octobre 1944, alors qu'il descend les premières marches de la station de métro Saint Mandé Tourelles, quatre hommes ceinturent le capitaine Wettervald. Il est aussitôt ramené à la caserne de Reuilly où l'on trouve sur lui un revolver, une carte des Milices patriotiques, une carte de l'association France URSS, une carte du Parti communiste, 31 000 francs en liquide et une quantité de papiers d'identité aux noms de Valéry, Wettervald, Gilbert, de Frutos ou encore Cacheux.
Marcel Petiot prétendra n'avoir tué et fait disparaître que des Allemands ou des collaborateurs. Ses 63 victimes, identifiées grâce aux bagages et aux vêtements qu'il avait eu l'imprudence de conserver, étaient en fait des candidats à l'évasion vers des pays libres. Chef d'un réseau fictif, il les attirait rue Lesueur puis, après les avoir dépouillés de leurs bijoux et de leur argent, les assassinait et faisait disparaître leurs corps dans de la chaux vive ou dans sa chaudière. Le docteur Petiot sera guillotiné le 25 mai 1946.
Mais comme décidemment rien ne fut simple en cette période particulièrement troublée, notons que les quatre hommes qui ont procédé à l'arrestation du capitaine Wettervald étaient sous les ordres du capitaine Simonin de la D.G.E.R (Direction générale d'études et de recherches) nouveaux services spéciaux du Gouvernement provisoire et que le capitaine Simonin n'était autre que le commissaire des renseignements généraux Soutif.
Soutif, après avoir porté de rudes coups à la résistance bretonne a préféré se mettre au vert à Paris. Il sera arrêté à son tour en janvier 1945 mais parviendra à s'évader. Condamné à 20 ans de travaux forcés par contumace il reparaît en 1950, est rejugé et cette fois-ci acquitté. Il sera réintégré dans les rangs de la police judiciaire.