Quand mon père est mort j’avais 14 ans


Saint-Ouen

21 avril 1944 … l'aviation alliée bombarde le 18ème arrondissement de Paris et Saint-Denis. Des bombes s'égarent sur la ville de Saint-Ouen  causant de nombreuses victimes. Deux prisonniers russes affectés à un poste de D.C.A (défense contre avions) des troupes d'occupation en profitent pour déserter et sont pris en charge par le mouvement de résistance Libération Nord. Des femmes se dépêchent de fleurir le corps d'un aviateur allié gisant rue Lécuyer avant que Allemands n'arrivent sur place.

La municipalité de Saint-Ouen prend la décision d'évacuer en province femmes et enfants. Tout le monde pense la libération prochaine, les bombardements risquent de s'intensifier.

Madame Remacle et ses deux enfants sont envoyés en Saône et Loire. C'est là, qu'en octobre 1944, elle apprendra le décès de Constant, son mari, membre des FFI tué pour la libération de Saint-Denis.

Maman ignorait les activités résistantes de mon père, précise Simone. Tant mieux ! Car elle était très bavarde.



Henri Mangigart

Le mouvement Libération Nord s'est implanté courant 1942 dans la banlieue Nord-Est de Paris. A Saint-Ouen les deux principaux recruteurs sont Mr Rohr et Louis Béors. Leurs cibles ? Des enseignants, des employés des PTT, des services municipaux, du Ravitaillement et des usines Alsthom et T.E.M.

Avec le mouvement de résistance Front national, Libération Nord prend en charge l'aide aux clandestins et fait du renseignement. Fin 1943 des groupes de combats sont mis sur pied. En mai 1944, Henri Manigart dit "Papa", qui a monté un important groupe à Aubervilliers, est chargé de la responsabilité du secteur Seine Nord des FFI. Saint-Ouen et Saint-Denis en font partie.

Henri Manigart, Compagnon de la Libération, 46 ans, est de nationalité belge. Constant Remacle, 40 ans, est né à Maucourt, village des Ardennes belges. "Il n'a pas pu demander la nationalité française. Cela coûtait trop cher, pour un ouvrier…" raconte Simone.


A Saint-Ouen, les FFI occupent la mairie dès le 19 août 1944. De violents combats se déroulent le 20 août autour des docks. Les barricades érigées porte de Saint-Ouen et porte de Clichy essuient des attaques sévères les 20 et 21 août. Le 22, mitraillade nourrie près de la mairie. Les 23 et 24 combats pour l'usine Lavalette. Dans la nuit du 26 au 27, bombardement vengeur de la Luftwaffe.

A Saint-Denis, la mairie est occupée le 20 août. La garnison allemande du Fort de l'Est arrive en force. Les combats sont intenses.

 Le 23, le poste de commandement FFI du quai du Moulin est attaqué par les soldats en position sur le pont de la Garenne. Le 25, les Allemands évacuent le Fort de l'Est. Les FFI se lancent sur la caserne de Saint-Denis. Le 26 en fin de journée, plus de 700 Allemands s'emparent des Usines Hydrocarbures et prennent des otages. Ils se répandent dans la ville en tirant sur la population. Un élément de la 2ème Division blindée du général Leclerc est entré dans la cité vers 16h00. Vers 21h30, des chars allemands son signalés au nord de la ville. Les Allemands quittent le barrage et se replient sur Pierrefitte.


Tôt dans la matinée, les Allemands réoccupent le barrage de Saint-Denis. Curieusement à 9h00, ils manifestent leur intention de se constituer prisonniers auprès d'un officier en uniforme. Le lieutenant FFI Fontaine se rend à leur rencontre avec quelques hommes. Il décèle des soldats cachés derrière des arbres et soupçonne un piège. Il les somme de se rendre. Les FFI essuient des tirs de mitrailleuses. Fontaine est touché au bras, un homme dans le dos et un autre à la jambe. Les Allemands les capturent et les conduisent au groupe scolaire Anatole France pour les fusiller…

A 19h00 les FFI de Saint-Denis, assistés par 6 tanks du RBFM de la 2ème Division blindée, reprennent position autour du barrage. Vers 22h00, les Allemands tentent une contre-attaque qui est immédiatement enrayée par la puissance de feu des tanks…

Constant Remacle a été mortellement blessé le 26 août 1944 au cours des affrontements qui se sont déroulés à Saint-Denis et qui ont coûté la vie à :

Ameur Amar, matelot du RBFM/2ème DB
Paul Grignard, caporal-chef du 2ème RMT/2ème DB
Félix Fontaine, 45 ans, de Taverny; lieutenant des FFI
Marcel Corrigou, 18 ans, tué à 18h15 lors de l'attaque de la barricade du barrage de Saint-Denis
Charles Guilbert, 45 ans, sergent FFI de Libération Nord, tué à 18h30 sur la même barricade
Roger Lallemand, 38 ans, mortellement atteint par un obus alors qu'il était monté sur un char FFI
Jean Le Veaux, 26 ans, FFI d'Aubervilliers tué rue de Paris
Roland Pihan, 29 ans, FFI de Bondy tué rue du Port


Constant et Angèle, 8 janvier 1929

Ce n'est qu'à son retour à Saint-Ouen avec ses enfants, qu'Angèle apprendra que son mari a été mortellement atteint par une balle explosive dans le foie. Un cantonnier de la ville de Paris, Albert Guillard, l'a transporté à l'hôpital de Saint-Denis où il est décédé quelques heures plus tard. Mais détail sordide s'il en est, un homme n'a pas hésité avant l'intervention de Mr Guillard à se précipiter sur son mari blessé et agonisant pour lui dérober son portefeuille … lui a-t-on rapporté.

Constant Remacle figure sur la liste du 28 février 1945 : FFI tués ou fusillés pendant la période insurrectionnelle Secteur Nord de la Seine (Gouvernement militaire de Paris/Département de la Seine/Dépôt 201-22). Il sera homologué soldat des FFI à titre posthume (Journal officiel du 20 février 1947).


cimetière de Saint-Ouen (photo Roland Lagoutte)

Au moins mon père n'aura pas appris le massacre qui s'est déroulé dans son village natal, Marcourt, le 9 septembre 1944, conclut Simone qui retrace cet épisode dans un site consacré à sa généalogie familiale :  http://simone.lagoutte.free.fr/ sur cette page Un grand merci à elle d'avoir bien voulu nous parler de son père.