Rubrique des faits divers

Les journaux de la libération rendent largement compte des combats et de l’héroïsme des Parisiens pendant l’insurrection. Mais faute de place, le papier étant rationné, ils ne peuvent assurer la rubrique des faits divers. Accidents de la circulation, suicides, morts suspectes, vols, viols, meurtres, etc. il y a pourtant de quoi remplir des colonnes. Les pigistes habituels ne suffiraient pas à la tâche. Les circonstances ne permettent pas d'enquêtes approfondies des services de police. Parfois prises par mégarde pour des victimes des combats, les personnes sont rapidement inhumées. Heureusement la main-courante des commissariats de police a conservé la trace de quelques uns de ces faits divers qui ont émaillé la Libération de Paris.

Les plus nombreux sont bien sûr les accidents mortels de la circulation. 

Avant l’insurrection ils mettent en cause des chauffeurs allemands qui sont vraisemblablement pressés de traverser Paris. Le 2 août vers 23h00, avenue des Champs-Elysées, la voiture Citroën immatriculée 47117 conduite par l’obersturmführer Neifeind*, 11 rue des Saussaies, heurte Hildeberte S., employée de maison âgée de 27 ans, qui décèdera le lendemain à l’hôpital Marmottan. Le 4 août, avenue de Friedland, Marie G., 45 ans, qui circule à bicyclette en direction de l’Etoile, est renversée par le camion immatriculé WH 474015 ; le 10 août, rue Condorcet, Marie-Odile H., 78 ans, est écrasée par la voiture immatriculée WH 1544 573.

*L’obersturmbannführer (lieutenant-colonel et non pas lieutenant) Kurt Neifeind kommandeur du SIPO-SD de la rue des Saussaies s’est illustré lors de la répression de la mutinerie de la Prison de la Santé le 14 juillet 1944. En revanche ses services, trop pressés de fuir la capitale à la mi-août, vont oublier leurs archives. Cela lui vaudra une rétrogradation et une mutation dans la Brigade Dirlewanger au sein de laquelle il trouvera la mort le 15 décembre 1944 en Tchécoslovaquie.

Pendant les combats les FFI ne respectent pas toujours le code de la route, on s’en doute bien. Le 20 août 1944, vers 15h00, Léon H., représentant de commerce âgé de 66 ans, prend l’air en compagnie de trois autres personnes sur un banc à l’angle des rues Cronstadt et Vouillé. Une voiture surgit à très vive allure et rate son virage. Elle monte sur le trottoir, accroche un arbre et heurte le banc. Léon est immédiatement transporté à l’hôpital Broussais où il décèdera le 29 août. Un témoin déclare que le véhicule ne portait pas de plaque d’immatriculation et qu’il a poursuivi sa route vers les abattoirs de Vaugirard. Le 31 août Maurice M., 35 ans, descend en voiture le boulevard Magenta en direction de la place de la République. Doublé dangereusement par un véhicule FFI, il se rabat sur la gauche et renverse Jeanne G., 89 ans, qui traversait au passage clouté.

Après la libération ce sont les conducteurs américains qui sont mis en cause. Le 29 août 1944 la 28ème Division d'infanterie américaine défile en force devant les Parisiens émerveillés. A 15h45 un char vient prendre son alignement sur la gauche, à l'angle de l'avenue des Champs-Elysées et de la rue Arsène-Houssaye, en direction de la place de la Concorde. Il écrase quatre personnes qui s’étaient approchées de trop près. Blanche C., dactylographe de 41 ans et Bernard S., collégien de 15 ans sont tués sur le coup. André M. et Joseph L. sont grièvement blessés. Le 30 août Jean P., 51 ans, qui roule à vélomoteur place de la Porte de Passy, se fait renverser en coupant la route à un convoi de camions. Le 8 septembre à 12h30 l’ingénieur Paul L., 44 ans, est heurté par l’ambulance US immatriculée 121 335 5.

Mais la main-courante des postes de police recense également d’autres affaires. De nombreux suicides dont on ne connait pas les causes : problèmes personnels ou crainte de l’avenir pour certains qui vont se retrouver du mauvais côté dans quelques jours. Mais attention aux accidents dus au gaz dont les fréquentes coupures pourraient aussi en expliquer un certain nombre. Meurtres crapuleux car l’atmosphère s’y prête particulièrement et la police est occupée ailleurs. Disparitions inquiétantes qui trouvent souvent leur épilogue dans l’identification d’un cadavre à l’Institut médico-légal ou au cimetière après exhumation. Le signalement des inconnus trouvés morts sur la voie publique est relevé avec soin dans ce but. La manipulation d'armes par des FFI imprudents est aussi à l’origine de nombreux décès.

– 18 août 1944, 171 rue de Charenton : l'inspecteur de police Martial B., 40 ans, et son épouse Yvonne, caissière de 38 ans, sont découverts inanimés dans la cuisine de leur appartemment. Sur la table quelques lettres dont une adressée au commissaire du quartier pour expliquer les raisons de leur suicide au gaz. Probèmes personnels ? Peur de l'épuration ? Cela n'est pas précisé.

– 19 août, 54 rue des Poissonniers : Marie F., la concierge de 60 ans, est assassinée d'une balle de 9m/m dans la nuque. Deux heures plus tard les cadavres d'Alexis R. et de Raymond L. sont découverts devant le numéro 46 de la rue. Un certain Julien D., chef de chantier sans travail actuellement et sans domicile fixe, âgé de 25 ans, est interpellé rapidement sur place et fouillé immédiatement. On découvre dans ses poches divers bijoux d'homme et de femme, un portefeuille vide, la somme de 51 200 francs en billets de banque. En raison des événements la Police judiciaire, le Parquet et l'Identité judiciaire ne peuvent être avisés. Les policiers du 18ème procédent quand même à l'audition de plusieurs témoins. Lucien F., le mari de la concierge, est actuellement détenu au Dépôt du Palais de justice pour collaboration avec les Allemands. Julien, Alexis, Raymond et un certain Fernand en ont profité pour tuer et détrousser son épouse. Julien s'est ensuite débarrassé de ses complices. Les FFI du 18ème déclarent qu'il ne faisait pas partie de leurs effectifs mais qu'il est bien connu dans le quartier comme "tueur".

Cet homme a été tué le 20 août à 17h00 4, rue de Strasbourg et transporté au poste de secours de la rue d'Albouy (aujourd'hui rue Lucien-Sampaix). Il n'est pas sûr que le roman policier "La vengeance du métis" trouvé dans ses poches permette une identification.

En revanche celui-ci, découvert au Bois de Vincennes et numéroté 2, a été relativement bien décrit : chevalière aux initiales S.E, blouson jersey marron, chemise blanche américaine, caleçon bleu, chaussures 43-44, le pantalon porte une pièce au genou gauche. La famille pourra demander une exhumation.

– 20 août à 20h30 le dénommé F. viole la jeune Yvette H., 18 ans, dans une chambre d'hôtel rue Claude-Decaen. La veille, se faisant passer pour un FFI, il s'était présenté chez ses parents et, prétextant qu'elle était recherchée pour faits de collaboration, l'avait forcée à le suivre. Il sera retrouvé à la prison de la Santé, incarcéré pour vol à main armée.

– 21 août dans la soirée, 55 rue Lhomond, Judith P. de M., 55 ans, et sa fille Jeanne, 30 ans, sont découvertes mortes à leur domicile. Selon les Equipes d'urgence dépêchées sur place il s'agirait d'un suicide au gaz.

Sur ces images colorisées du film "Sacrifice" de Clarke, Costelle et Lumière on peut voir des soldats tirer sur la façade de l'immeuble situé au 73 boulevard du Montparnasse. La scène se déroule le 25 août 1944 dans l'après-midi.

La main-courante du commissariat de quartier indique qu'à 15h00, Américains et Français de la 2ème D.B ont arrosé généreusement les façades du boulevard du Montparnasse en réponse aux tirs qu'ils venaient d'essuyer sur la terrasse de la gare. Très vraisemblablement des tireurs des toits. Au numéro 73 l'ingénieur chimiste Daniel B., 57 ans, est mortellement atteint et décédera le soir même à l'hôpital Cochin. Mais son fils âgé de 18 ans affirme qu'il a été touché avant la fusillade.

– Toujours le 25 août dans le quartier de la gare Montparnasse mais vers 20h15 : un soldat de la 2ème D.B manifestement ivre frappe Raymond P., 26 ans, le garçon de la brasserie d'Alençon et l'emmène rue de Vaugirard où il l'abat d'une rafale de mitraillette. Raymond est conduit à l'hôpital Necker mais il y décède dans la nuit. Le soldat a oublié sa coiffure dans le café, un béret du 501ème Régiment de chars de combat.

– Le 26 août à 12h00 le soldat des FFI André D. quitte l'Ecole militaire en disant à ses camarades qu'il se rend rue Ordener dans le 18ème arrondissement. On ne le reverra plus. Il mesurait 1m70, cheveux bruns, yeux marrons, nez large, front plat et cicatrices superficielles sur le visage. L'avis de recherches précise qu'il était habillé en kaki.

– Vers 14h00 une femme est aperçue, faisant le coup de feu des fenêtres du 114 rue de Rennes sur des soldats de la 2ème D.B. L'immeuble est investi. Dans la confusion une rafale est tirée dans la porte de l'appartement d'Henri G., 38 ans, mandataire aux Halles, qui s'écroule mortellement atteint de quatre balles dans le ventre.

– Toujours le 26 août, en fin de soirée, le cadavre d’un inconnu est trouvé rue Saint-Médard. Signalement : 35 à 40 ans, pantalon rayé bleu, chaussures noires usagées, dent en or maxillaire supérieur droit. Il est déposé à la morgue rue Daubenton. Les victimes du bombardement allemand sont décédées pour la plupart sous les décombres de leur immeuble, ce qui facilitera l'identification des cadavres. Pour les victimes trouvées dans la rue ce sera beaucoup plus difficile.

– Le 27 août Yvonne M., 41 ans, se donne la mort d'un coup de revolver dans la tête chez elle, 100 avenue Paul-Doumer. Son cadavre est envoyé à l'Institut médico-légal.

– Le 28 août dans la nuit le gardien de la paix Bernard B., 30 ans, s'apprête à sortir du poste de police de la Folie-Méricourt pour effectuer une ronde dans le quartier. Il arme sa mitraillette allemande récupérée de haute lutte le 19 août lors d'un combat au métro Cluny. Une rafale part accidentellement, tuant sur le coup l'infirmière bénévole Odette T., 26 ans, qui se tenait dans la pièce.

– Le 29 août à 16h45, des enfants jouent avec un obus qu'un inconnu vient de déposer rue Gaston-Darboux. L'explosion tue le jeune Jean-Pierre Z., 5 ans, et blesse ses petits camarades.

– Le 30 août, rue Saint-Dominique au Ministère de la Guerre. Il est 16h45. Le garde républicain  V., de service à l'escalier D, entend du bruit et voit une main sur la rampe au dessus de lui. Il fait les sommations d'usage : "Halte là ! Gendarmerie ! Qui vive ou je fais feu." La personne s'enfuit en courant. Il ouvre le feu. Aline M., 43 ans, employée au Ministère , est tuée sur le coup. Sa soeur Hélène déclarera qu'elle ramenait souvent à la maison du petit bois de démolition trouvé dans les locaux.

– Toujours le 30 août, 18h00, Rond-Point des Champs-Elysées. Thérèse L., employée de maison âgée de 60 ans, interpelle vivement le Marsouin de la 2ème D.B Dominique P., 44 ans : "Que venez-vous faire ici ? Vous êtes de mauvais Français. Vous avez démoli des maisons et tué des Français !" Se sentant outragé, Dominique P. dépose plainte. La dame L. est conduite au Dépôt malgré ses dénégations.

– Le 1er septembre trois jeunes FFI se présentent à 15h30 au 55 rue de Brancion et demandent Renée D., 22 ans, femme de ménage au lycée Michelet pour le compte de l'Armée d'occupation. Ils montent au quatrième étage et frappent à la porte. Renée ne répond pas mais saute par la fenêtre et s'écrase dans la cour. Elle a laissé une lettre expliquant son intention de se suicider. Les FFI venaient pour l'en empêcher.

– Le 3 septembre l'ouvrier maçon Stéphane J. est arrêté pour avoir dérobé deux bagues sur le cadavre d'un soldat allemand inhumé dans la cour de la caserne Clignancourt.

– Le 7 septembre Lucien G., 29 ans, joue avec son fusil automatique dans le local FFI situé 19, rue d'Avron malgré l'interdiction de son chef. Une rafale part, tuant sa nièce Andrée, 17 ans, et blessant grièvement Gisèle B., 24 ans, qui était entrée pour demander un renseignement.

– Le 7 septembre, au Bois de Boulogne, Suzanne B., 21 ans, est tuée accidentellement par un soldat de la 2ème D.B qui nettoyait son arme.

– Le 8 septembre, 10h30, 79 rue La Fayette, le soldat des FFI René V., 29 ans, manipule le canon allemand abandonné sur la chaussée. Un coup part et vient tuer net le jeune Gaston B., 15 ans, qui se trouvait au comptoir du café tenu par sa mère.

– Le 9 septembre, à 23h00, angle des rues Damrémont et Caulaincourt, un poste de contrôle FFI ouvre le feu sur une voiture qui refuse de stopper. Juliette B., 24 ans, barmaid rue Fontaine, est tuée sur le coup. Raymond C., artiste âgé de 36 ans, et Nils B., ingénieur de 37 ans, sont arrêtés. Le véhicule est restitué au consulat d’Argentine.