La disparition de mon grand-père

Cette plaque commémorative est apposée sur le mur du commissariat du 11ème arrondissement de Paris. On peut y relever le nom d'André Collibeaux.


Le 17 août 1944, Mr Lauvernier,  ingénieur du son de Radio-Paris, apprend que la station va être détruite ou déménagée par les soldats allemands qui se préparent à quitter la capitale.

Dans les studios, 116 avenue des Champs-Elysées, se sont succédés pendant l'occupation et sous l'étroite surveillance de la Propaganda Staffel des chanteurs populaires de l'époque comme Tino Rossi et Maurice Chevalier et les ténors de la politique de Vichy Jean Hérold-Paquis chargé de la chronique militaire et Philippe Henriot orateur de la Milice.

Cette station de radio brocardée à Londres, " Radio Paris ment ! Radio Paris ment ! Radio Paris est Allemand !", remporte quand même un franc succès dans la population française.

A tel point que l'élimination de "l'homme à la voix d'or" Philippe Henriot deviendra une nécessité; il sera exécuté par la Résistance.

Dès le 15 août 1944 les journalistes et les responsables administratifs de la Radio ont quitté le navire dans les voitures de la garnison allemande; on en retrouvera certains à Siegmaringen.

Les locaux et les installations techniques sont laissés à la garde de la Milice et de quelques soldats des forces d'occupation.

Lauvernier obtient de son groupe de résistance trente-cinq hommes, en majorité des policiers des 11ème et 12ème arrondissements. Ils arriveront vers 22h30 pour empêcher la destruction des installations. Des techniciens de la station sont déjà là. Vers 23h00 un deuxième groupe de policiers se présente mais se heurte immédiatement à une patrouille allemande. Des armes automatiques sont placées aux fenêtres donnant sur les Champs-Elysées. Deux assauts seront repoussés dans la nuit. La station est sauvée mais les pertes sont lourdes : cinq tués, deux disparus et trois blessés.


Parmi les tués j'ai pu identifier :  

Paul Dupont, gardien de la paix du 11ème arrondissement

René Chatain, 35 ans, reporter de la station

Raymond Perretin, 32 ans, gardien auxiliaire au commissariat du 12ème

 
Les deux disparus sont :  

Louis Claeysen, 33 ans, gardien de la paix du 11ème arrondissement. Son cadavre sera retrouvé, après la libération, dans une fosse commune de la caserne Prince-Eugène, place de la République.

et André Collibeaux dont le corps ne sera jamais retrouvé.

Les deux hommes ont été envoyés chercher des armes et des munitions. Leur véhicule aurait été intercepté près de la Porte Saint-Martin.


Âgé de 24 ans, marié et père d'un enfant, André Collibeaux est domicilié à Maisons-Alfort où son père tient un magasin de cycles.

Il est entré à la Préfecture de police en 1941 et a été affecté au commissariat du 11ème arrondissement.

Sa petite-fille Monique a découvert dans les archives familiales plusieurs documents dont cet extrait de carnet dans lequel on peut lire que le 31 juillet 1942 il a assuré avec deux autres gardiens une garde statique devant le 29 de la rue Saint-Sabin, près du boulevard Beaumarchais. Les consignes sont d'interpeller et de fouiller les individus suspects qui s'approcheraient et d'obliger les passants à emprunter le trottoir opposé.

Vérifications faites dans un annuaire de l'époque : au 29 de la rue Saint-Sabin se trouve la Société Auto Lumière. Il doit s'agir vraisemblablement d'un garage réquisitionné par les forces d'occupation.


ainsi que ce diplôme daté du 4 juin 1957.


Et cet acte de disparition en date du 27 octobre 1947 …

qui explique que André Collibeaux, disparu au service de la France lors de l'attaque de Radio-Paris dans la nuit du 17 au 18 août 1944, n'a pas donné de ses nouvelles depuis et n'a pas reparu à son domicile. En conséquence la famille pourra faire établir un jugement déclaratif d'absence et, dans un délai de cinq ans, un jugement déclaratif de décès.


En 1947 un prisonnier de guerre rapatrié vient voir le père d'André Collibeaux à Maisons-Alfort.  Il prétend avoir croisé André dans une colonne de prisonniers en URSS. Bien sûr il ne le connaissait pas personnellement, mais on lui avait signalé qu'un Français, originaire de Maisons-Alfort comme lui, était là. Monsieur Collibeaux s'adresse à la Préfecture de police. Une enquête est aussitôt diligentée auprès des autorités soviétiques qui répondent qu'elles ne détiennent aucun prisonnier français. L'Inspection générale des services de la préfecture, estimant que le prisonnier de guerre est un affabulateur, met un terme à l'enquête. En 1952 André Collibeaux est officiellement déclaré décédé.

Aujourd'hui que penser de cette réponse des autorités soviétiques ? Ce n'est qu'après la chute du mur de Berlin qu'elles ont avoué du bout des lèvres que le diplomate suédois Raoul Wallenberg, sauveur d'environ cent trente mille Juifs hongrois, était bien mort dans les prisons staliniennes. Que dire de la conclusion du directeur de l'Inspection générale des services de la Préfecture de police, Arthur Airaud, chef du réseau  Résistance-Fer et membre influent du Front national communiste, parachuté haut fonctionnaire de la Préfecture après la Libération ? En 1947 le Monde vient d'entrer dans la Guerre froide …