Leur plus beau rôle !

Palais-Royal le 19 août 1944 : la modeste barricade composée de quelques chaises et de sacs de sable érigée en toute hâte devant la Comédie française doit faire sourire quelques combattants FFI. Les Allemands, de leur côté, ne sont guère impressionnés. Jean Desailly et François Perrier, bien que la trouvant inutile, aident à la construire en empruntant des sièges en rotin au café de l’Univers tout proche.

 

Jean Desailly, François Perrier, René Alexandre, Jean Chevrier, Lise Delamare, Jean Mercanton et Jean-Paul Sartre

Le président de la Croix-Rouge du 1er arrondissement a installé un poste de secours dans le hall de la Maison de Molière. Artistes, comédiens et personnels du théâtre s’engagent aussitôt auprès des secouristes. René Alexandre, Jean Chevrier, Lise Delamare s’occupent de la logistique. Jean Mercanton déniche un autobus qui servira d’ambulance. On dit que Jean-Paul Sartre y aurait donné quelques soins aux premiers blessés avant d’entamer sa célèbre promenade dans Paris insurgé dont il rendra compte dans le journal Combat à partir du 28 août.

Lise Delamare coud un brassard FFI  

Le 22 août il faut ouvrir un deuxième poste car les combats font rage dans le quartier. Chaque jour c’est plus d’une dizaine de blessés qu’il faut accueillir, soldats allemands, FFI ou civils ; tous recevront les premiers soins indispensables. Jusqu’au 30 août, date de fermeture des postes,  la Croix-Rouge française a comptabilisé 800 blessés et 80 morts dans le 1er arrondissement dont 94 blessés et 18 morts à la Comédie française.

Maria Casarès, Jany Holt et Raymond Segard

Ailleurs dans la capitale d’autres artistes (ou futurs artistes) s’activent. Maria Casarès, qui à la demande du jeune comédien René Dupuy a rejoint la Milice patriotique des syndicats clandestins du théâtre et de la musique,  occupe avec ses quatre-vingt camarades un immeuble de la rue du Faubourg Saint-Honoré dès le 18 août et se charge du ravitaillement en sandwiches avant d’être affectée à l’entretien des armes. Il y a là, entre autres, Jany Holt et Raymond Segard qui lui  sera blessé de trois balles au pied le 25 août 1944 place de la Concorde lors de l’attaque de l’hôtel Crillon.

 

Vers la gare du Nord Raymond Caudrilliers, dit Aimos, fait le coup de feu avec les FFI. Acteur réputé pour ses seconds rôles, il a ouvert pendant l’occupation un restaurant pour les enfants nécessiteux rue Montmartre. Charles Trenet s’y est produit pour inciter les spectateurs à mettre la main à la poche en faveur de l’Œuvre des Gosses d’Aimos (les Restos du cœur avant l’heure en quelque sorte). Mais aujourd’hui c’est le caporal des FFI du groupe Sébastopol du 3ème arrondissement/Libération Nord âgé de 53 ans qui se bat et meurt. Plusieurs versions circuleront : abattu par une patrouille allemande, assassiné d’une balle dans le dos victime d’un règlement de compte ? Aimos fréquentait le Milieu… Rue Louis-Blanc sur une barricade ou devant le Cadran du Nord rue La Fayette? Et pour tout arranger il est en bras de chemise et sans papiers d’identité sur lui. Sa femme fera paraître plusieurs avis de recherches avant qu’un employé de l’hôpital Saint-Louis reconnaisse le cadavre qui pourra être inhumé le 7 septembre 1944.

 

Gérard Philip, dit Gérard Philippe, participe à la défense de l'Hôtel de Ville sous les ordres du journaliste Roger Worms, dit capitaine Stéphane et futur Roger Stéphane patron de presse. Ils auraient réalisé un reportage radiophonique à l'intérieur de l'édifice.

 
   

 

Le FFI Jean Marais s’empare avec son groupe d’un camion allemand rempli d’armes dans la cour de l’Ecole de police Beaujon rue du Faubourg Saint-Honoré. Il avouera dans ses Mémoires n’avoir eu aucun mérite, il n’y avait plus un soldat dans les parages. Et il s’engagera dans les rangs de la 2ème Division blindée comme chauffeur-ravitailleur du 501ème Régiment de chars de combat.

 

Un journaliste a retrouvé Gilbert Moreau dit Gilbert Gill, colt à la main, sur la barricade du Pont-Neuf près de la Préfecture de police. Il combat dans les rangs du troisième groupe franc du 1er arrondissement sous les ordres des lieutenants Le Pen et Achard et a affronté la veille des chars allemands quai de Conti. Il s’inquiète du sort de son camarade Aimos porté disparu.

 

Jacques Dacqmine fait également partie du troisième groupe franc des FFI du 1er arrondissement. Après une nuit passée à protéger la Préfecture de police, place du Petit-Pont, le groupe combat sous les ordres du chef Oblin et mène des actions place du Châtelet, place de la Bastille, rue de Ménilmontant, mairie du 12ème, etc. Le 24 août il est pris sous le feu de soldats allemands postés place de la République. Fusillade acharnée. Cinq Allemands sont tués, deux FFI sont blessés. Le 25 août devant le Ministère des finances, rue de Rivoli, Jacques Dacqmine joue de la Winchester pour couvrir la retraite de ses camarades mitraillés au Carrousel. Le groupe rejoint ensuite les premiers soldats de la Division Leclerc et se bat rue de l'Echelle et rue du Faubourg Saint-Honoré. Dacqmine saute alors sur le half-track "14 juillet 1789" et poursuit la lutte jusqu'à la Kommandantur place de l'Opéra.

 

Henri Vidal (en haut à droite) est « surpris » ici en pleine action brassard au bras et fusil épaulé. Son groupe encerclé du côté de la gare du Nord par trois camions allemands a dû batailler ferme pendant une heure avant de pouvoir s’échapper heureusement sans pertes. Georges Marchal (en bas à droite) fait le coup de feu également du côté de la rue La Fayette et parvient à tuer plusieurs soldats allemands et  à en capturer deux.

 

Le 24 août le brancardier volontaire Jean-Marc Thibaut (en haut à gauche) fête ses vingt et un ans en transportant des blessés place de la Nation. De son côté Claude Piéplu (à droite et en bas) s’affaire au poste de secours de la rue Saint-Dominique sous les ordres du chef André Dhomme qui sera tué le 23 août près de lui.

 

Jacques Charon est chauffeur d'ambulance et sillonne le quartier pour récupérer les blessés

 

Le 25 août la famille Legrand retrouve la capitale avec la 2ème Division blindée du général Leclerc. Il y a là l’adjudant-chef Jean Nohain, dit Jaboune (section de protection du GTV/501ème RCC qui sera grièvement blessé à Strasbourg le 23 novembre), son fils Dominique Nohain (chasseur au même GTV) et son frère Claude Dauphin (capitaine à la 97ème compagnie de Quartier général).

 

En revanche, contrairement à ce que l'on peut souvent lire, le second maître Jean Moncorgé dit Jean Gabin n'a pas participé à la Libération de Paris dans les rangs de la 2ème Division blindée. Il n'a pu la rejoindre qu'en janvier 1945. Incorporé au 2ème escadron du Régiment blindé de fusiliers marins, chef du char Souffleur II, il s'est battu vaillamment dans la Poche de Royan et a terminé la guerre en Allemagne. On le voit ici avec Marlène Dietrich de passage dans la capitale (date inconnue).

La comédienne et future directrice de théâtre Simonne Favre-Bertin dite Sylvia Montfort, 21 ans, a participé à la libération de Nogent-le-Rotrou et de Chartres aux côtés de son futur époux l’écrivain Maurice Clavel. Elle accompagnera le bataillon d’Eure-et-Loir qui rejoint aussitôt Paris le 24 août et se bat aux côtés de la 2ème Division blindée aux Jardins du Luxembourg et à l’Ecole Militaire.

 

Enfin le garçon de 14 ans qui assiste le 25 août 1944 aux combats du Sénat en badaud ne le sait pas encore mais la Libération de Paris sera l’un de ses grands rôles. En 1966, quand René Clément engage Claude Rich pour le tournage de « Paris brûle-t-il ? » il ne sait pas que l’acteur y a participé et en garde un souvenir percutant. Le 25 août 1944 s’étant approché au plus près des Jardins du Luxembourg, l’adolescent est interpellé par deux secouristes qui brancardent un blessé.

« Tiens ! Aide-nous à le transporter »

« C’est un FFI ou un Leclerc ? » questionne-t-il.

« Ta gueule ! C’est un Français ! »

Initialement retenu pour jouer le rôle du lieutenant de la Fouchardière, sa grande ressemblance avec le général Leclerc conduira René Clément à lui confier les deux personnages (Le Parisien 25 août 2004).