Les coiffeurs de septembre

Odette, 22 ans, a eu un enfant d’un sous-officier de l’armée d’occupation. Elle couche avec tout le monde et rapporte aux Allemands ce qu’elle apprend de ses amants français. Elle est responsable de plusieurs arrestations suivies de déportations. En conséquence elle doit être liquidée ! Femme de mauvaise vie et traître à la Patrie ! Sera-t-elle tondue en place publique avant son exécution ? 

Fabrice Virgili (La France virile) estime à environ 20 000 le nombre de femmes tondues à la libération. De nombreuses photographies prouvent que la punition se déroule en présence d’une foule de femmes et d’enfants venus au spectacle. Pour le maquisard qui a frôlé la mort et peut-être tué des ennemis la  tonte est une mesure relativement bénigne. Pour le coiffeur c’est un bref moment de gloire. Pour la foule anonyme c’est souvent la première manifestation de violence envers l’occupant ou plutôt envers celle qui l’incarne.

Le temps inversera les rôles dans la perception de ces évènements. Le coiffeur deviendra bourreau et résistant de la dernière heure. La tondue deviendra victime. C’est vrai qu’il y a eu des attentistes, sinon des collaborateurs, pour tenter de s’offrir une virginité en jouant des ciseaux. Comme il y a eu des dénonciatrices et des collaboratrices actives parmi les punies. 

Les principaux griefs reprochés aux femmes sont : les relations personnelles avec des soldats allemands, la collaboration économique, l’adhésion à un mouvement collaborationniste, l’expression d’opinions défavorables à la résistance, les dénonciations.

Dans les relations personnelles avec l’ennemi sont bien entendu incluses les relations sentimentales. C’est ce que l’on nommera la collaboration horizontale. Paradoxe : on traitera de « putain à Boches » la fille amoureuse qui a eu un enfant d’un soldat allemand mais certains tribunaux feront preuve d’indulgence envers les prostituées des maisons closes, estimant que leur conduite revêtait un caractère professionnel. Il y aurait eu environ 200 000 « enfants maudits » « bâtards » et autres « fils de Boches » en France à la libération. C’est à se demander si les coiffeurs de septembre n’ont pas voulu venger leur honneur de mâle bafoué pendant quatre ans par la prestance et la virilité du soldat allemand…

La « cérémonie » se déroule donc en public. Le coiffeur goguenard sourit au photographe. Le FFI armé prend une pose avantageuse. Les dames patronnesses et les enfants se pressent aux premières loges. La tondue est ensuite promenée en ville sous les huées de la population. Dans le meilleur des cas son supplice s’arrête là et elle en sera quitte pour changer de quartier et s’acheter un foulard. Dans des cas plus sérieux elle est jugée et condamnée à l’indignité nationale, à une peine de prison, voire à la peine de mort. Parfois des familles honteuses font disparaître la fille indigne de la circulation : la recluse de Saint-Flour sera « libérée » par le GIGN en 1983 ; âgée de 60 ans, elle est aussitôt internée dans un asile psychiatrique.

 

Mais il ne faut pas croire que la pratique de la « tonte » des femmes soit une spécialité parisienne ou même française. Dès le débarquement du 6 juin 1944 des coiffeurs se mettent à l’œuvre dans les villages normands libérés. Ici un FFI « tâte » la chevelure de Juliette A… à Liesville-sur-Douve dans la Manche.

A Nîmes Marcelle B… est accusée d’intelligence avec l’ennemi, la bouchère affirme qu’elle a vendu la coiffeuse à la Gestapo, l’épouse d’un officier prisonnier déclare qu’elle a participé à des séances de torture dans les caves de la Milice. Marcelle, 37 ans, est exécutée le 2 octobre 1944 à la Maison centrale de Nîmes.

Aux Pays-Bas, mêmes pratiques : tonte et promenade en ville sous les huées de la foule. On remarquera que le jeune homme, lui, n'a pas été rasé.

Ou dans un autre registre, si l’on remonte aux années 1930 en Allemagne, on peut lire sur ces pancartes que ces femmes, les plus « grosses cochonnes » des environs,  se sont exclues de la communauté du Peuple en fréquentant des juifs.