Le sort des prisonniers allemands

L’historien Adrien Dansette estime les pertes allemandes pendant la Libération de Paris à 3 200 tués dans les combats et 12 800 prisonniers. De nombreux témoins rapportent que les soldats craignent par-dessus tout de tomber aux mains des « terroristes ». A force de les avoir diabolisés auprès de la population civile ont-ils fini par croire à leur propre discours ? Ils n’acceptent de se rendre qu’à des militaires. Des officiers de réserve ayant sorti leur uniforme du placard (d’où leur surnom d’officiers naphtaline) ont enfin un rôle à jouer et parfois au grand dam des FFI qui n’entendent pas se faire voler la victoire. La reddition auprès des Américains ou des soldats de la 2ème Division blindée est, bien entendu, la solution la plus recherchée. Mais ils n’entreront dans Paris que le 25 août. Quelques témoignages font état de suicides, certains jusqu’au-boutistes préférant la mort à la captivité. A moins que ce ne soit par peur de la loi du Talion ? En effet la garnison allemande a commis de nombreuses exactions pendant la semaine insurrectionnelle. Au lendemain de la libération on découvrira des fosses communes au Fort de Vincennes et à la caserne de la République, des cadavres mitraillés et abandonnés au Fort de Romainville, des corps sommairement enterrés Porte d’Orléans et dans un terrain vague près du boulevard Malesherbes.

De nombreuses photographies de prisonniers ont été prises. Si l’on peut remarquer la raideur des officiers, probablement surpris de tomber aux mains de civils dépenaillés, on lit parfois une sorte de soulagement sur le visage des simples soldats. Les secouristes de la Croix-Rouge et de la Défense passive ne font pas  de différence entre blessés français et blessés allemands. Ils ne sont hélas pas toujours récompensés de leur sens du devoir et quelques uns sont lâchement abattus alors qu’ils s’affairent auprès des victimes. Certains civils ne peuvent s’empêcher de huer les colonnes de prisonniers. Des coups de pied volent, des crachats. Quatre longues années d’humiliation expliquent ces gestes. Parfois un coup de feu. Un homme s’écroule. Les soldats de la 2ème Division blindée ont toutes les peines à contenir cette foule avide de vengeance parmi laquelle quelques résistants de la dernière heure soucieux de se refaire une virginité.

Plus d’un million de soldats allemands seront détenus en France de juin 1944 à décembre 1948, d’abord sous le contrôle des Américains et des Britanniques puis sous l’autorité de l’armée française. Si le sort des prisonniers de guerre détenus par les Soviétiques jusqu’en 1957 sera réputé bien plus cruel, il ne faut pas oublier que la vie dans les « Rheinwiesenlager » (camps improvisés sur les berges du Rhin) n’avait rien à envier aux camps de Sibérie. On estime qu’entre 30 000 et 40 000 soldats sont morts en captivité : accidents, épuisement, malnutrition, maladies, blessures mal soignées.

vue aérienne du camp de Nonant-le-Pin

Dès le débarquement des troupes alliées des camps sont ouverts en Normandie et dans le Sud de la France puis au fur et à mesure de leur avance dans l’Aube, la Moselle et les Vosges. Les Américains mettent leurs prisonniers à la tâche pour reconstruire les infrastructures du port de Cherbourg puis pour décharger les cargos de ravitaillement en provenance des Etats-Unis ou d’Angleterre. Les prisonniers des FFI sont parqués dans des champs, des écuries ou des hangars et utilisés au sein de commandos de déblaiement. De février 1945 à mai 1946 la France obtient le transfert de 765 000 soldats allemands sous son autorité. Elle va les faire travailler à la reconstruction du pays dans les entreprises publiques mais aussi dans les exploitations agricoles. Bien que la Convention de Genève de 1929 interdise « l’emploi des prisonniers de guerre à des travaux insalubres ou dangereux » environ 50 000 d’entre eux sont affectés au déminage. On estime que ces opérations coûteront la vie à 500 Français et 5000 prisonniers allemands. Au printemps 1947 le ministère du Travail et de la Main d’œuvre crée le statut de travailleur libre. Le soldat signe un contrat avec son employeur à l’issue duquel il peut soit rentrer en Allemagne soit s’installer et acquérir la nationalité française au bout de cinq ans. Et, curiosité de l’histoire, en 1948 les mariages mixtes sont encouragés quatre ans à peine après la tonte des « collaboratrices horizontales ». 140 000 prisonniers seraient restés. Peut-être avaient-ils tout perdu dans leur pays dévasté par la guerre ?

Le général Dietrich Von Choltitz, commandant du « Gross Paris », a droit à des égards. Le lieutenant Henri Karcher de la 2ème Division blindée entre le premier dans son PC de l’hôtel Meurice et obtient sa reddition. Le commandant Pierre de la Horie prend immédiatement en charge le prisonnier. La sortie de l’hôtel se fait sous les huées, les invectives et les crachats d’une foule surexcitée. Von Choltitz craint d’être lynché. Le half-track fonce vers la Préfecture de police où attend le général Leclerc pour la signature de l’acte de capitulation. Il sera ensuite conduit à la gare Montparnasse où il paraphera un ordre de reddition que des officiers français et allemands iront porter dans les points d’appui qui résistent encore. Le général allemand sera ensuite confié aux Américains qui l’interrogeront puis conduit en Normandie où il prendra un avion pour l’Angleterre. Enfermé avec plusieurs prisonniers de haut rang dans un château à Trent Park, au nord de Londres, Von Choltitz s’est-il rendu compte que toutes les pièces étaient truffées de microphones et que leurs conversations étaient enregistrées par les Services spéciaux anglais ?