Le capitaine Fontaine

Au mois d'août 2012 disparaît, à l'âge de 89 ans, un homme bien mystérieux : Jean Hournat. Peu avant il s'était confié à ses deux amis Angelo Bottelli et Marc Scussel, leur avait confié une sacoche de cuir remplie de documents anciens, et leur avait raconté l'histoire du capitaine Fontaine, résistant de la première heure en province, chef d'un bataillon qui participa à la libération de Fontenay-sous-Bois en août 1944… son histoire ! Angelo et Marc, très surpris que Jean Hournat n'ait bénéficié d'aucune reconnaissance officielle particulière après la guerre, entreprirent des démarches afin de réparer cette injustice. Sans résultat hélas, car pour légitimer cette demande il aurait fallu pouvoir produire une attestation signée par deux témoins de l'époque. Où trouver ces deux témoins soixante-dix ans plus tard !

Jean Hournat est né le 13 mai 1923 à Cusset (Allier). Fils d'un receveur des PTT et d'une directrice d'école installés à Fontenay-sous-Bois, il milite très tôt contre l'occupant, distribue de tracts, participe à la rédaction d'un journal et quitte le lycée Voltaire avant le baccalauréat pour plonger dans la vie clandestine. Il a conservé de cette époque ses faux papiers, cartes d'identité, certificats de travail, et un compte-rendu dactylographié décrit ses activités : récupération d'armes à Châteaurenard (Loiret) en 1942-1943, tirage de tracts, propagande contre l'armée allemande, corps franc du Puy-de-Dôme, col de Ceyssat, etc.

Janvier 1944, Jean Hournat entre dans un groupe FTP à Fontenay-sous-Bois; il est nommé capitaine du Bataillon Liberté au mois de mai. Les "planques" de Montreuil-sous-Bois, du garage République à Fontenay, de la Cité moderne, etc. servent aux réunions et à cacher les armes récupérées sur les Allemands. En juin le bataillon sabote à la bombe un wagon de 18 000 litres d'essence stationnant en gare de Fontenay Vincennes. Les crampons et les clous répandus avenue de Paris, avenue de la République et rue Dalayrac retardent régulièrement les convois automobiles allemands. L'équipe de Jamart (alias Boby) attaque deux soldats sur le pont La Fayette et s'empare de deux revolvers. Le 15 juin c'est dans le Bois de Vincennes qu'une mitraillette peut être récupérée.

Vient enfin l'heure du soulèvement. Les journaux ne paraissent plus, les PTT sont en grève, le colonel Rol-Tanguy a proclamé la mobilisation par voie d'affiches, les mairies de la banlieue parisienne sont occupées par les FFI. Les attaques de soldats allemands se multiplient. Il faut absolument s'armer si l'on veut combattre. Le bataillon parvient encore à récupérer 15 fusils, une centaine de cartouches, 5 revolvers, 1 grenade et des matraques. C'est peu mais il faudra s'en contenter.

Le bataillon peut participer à la prise de la mairie de Montreuil. Six heures de combat et de nombreux prisonniers allemands avec leurs armes. Mais la contre attaque sera violente. Chars et automitrailleuses. Deux morts et dix blessés chez les FFI. La mairie sera reprise plus tard.

Le 23 août dans la soirée une colonne allemande est signalée venant du Perreux et se dirigeant vers le haut de Fontenay. Le boulevard de Verdun est stratégique. Elle ne doit pas passer. Hournat ordonne la construction de barricades. La bataille s'engage. Les deux premiers camions sont détruits. Du matériel et des armes sont récupérés. Les volontaires affluent et deux nouvelles compagnies sont créées sous les ordres des capitaines Geoffron et David. Le parc automobile du bataillon devient conséquent : une camionnette Renault, une Peugeot, une Juvaquatre, une Simca, une Chrysler, trois Citroën traction-avant, trois gros camions et deux motos. Il peut se déplacer plus rapidement et intervenir là où la situation le nécessite. Le 24 il est appelé en renfort au Parc Montreau à Montreuil. Trois cents allemands s'y sont retranchés. Le lieutenant Armani et sa section M.O.I se battent avec vaillance mais les pertes sont conséquentes.

24 août, un groupe se rend à Villemomble où l'on a découvert un dépôt d'armes et de munitions. Le butin est important mais sur le chemin du retour deux camionnettes de la Feldgendarmerie tentent d'intercepter les FFI qui ne doivent leur salut qu'à une petite rue par laquelle ils parviennent à s'enfuir et ainsi sauver leur chargement de treize mitrailleuses lourdes. Dans la soirée le bataillon procède à l'exécution de quatre miliciens, dont un Fontenaysien, près de la route 42. Le lendemain il est appelé à la rescousse par les FFI du métro qui ont bloqué environ six cents soldats allemands au dépôt de Fontenay-sous-Bois. Les sorties sont obstruées par une rame et des sacs de sable. Les Allemands sont obligés de rebrousser chemin dans les tunnels.


Le capitaine Fontaine au Bois de Vincennes

Il a pour adjoint l'adjudant-chef Georges Kraft, réfugié allemand d'avant-guerre, dont la fille Maud sert d'agent de liaison pour le bataillon.

25 août, c'est la bataille générale dans les rues de Fontenay-sous-Bois, devant le fort de Nogent-sur-Marne, sur la voie stratégique n° 42, sur la route de Neuilly-sur-Marne. Les Allemands subissent de lourdes pertes mais une vingtaine de FFI sont également tués et au moins trente-cinq grièvement blessés. Le groupe du lieutenant Kutter se bat, de son côté, dans le quartier La Fayette à Paris. Le 26 août le bataillon est engagé au carrefour de la Maltournée et poursuit les Allemands jusqu'à Chelles.

On recense les pertes : 25 morts et 7 blessés dont Jean Hournat atteint au pied par une balle explosive…


qui se voit attribuer l'insigne FFI n° 133169


ainsi qu'un permis de port d'arme

Le lieutenant-colonel Rino Scolari, de l'état-major du colonel Rol-Tanguy, atteste que le capitaine Hournat Jean alias Fontaine, s'est engagé volontairement dans les rangs des FTPF et a combattu sans interruption jusqu'à la libération. Il a recruté et organisé la compagnie FTPF de Fontenay-sous-Bois et a organisé les Milices patriotiques des régions FTPF 13 et 13bis (banlieue Est de Paris). Il a été nommé au grade de capitaine et a entraîné ses hommes au combat pendant l'insurrection en août 1944 : Rond-point de Plaisance, Parc Montreau de Montreuil, etc. Il a toujours combattu avec courage et honneur et s'est engagé au bataillon 5-22 pour la durée de la guerre.

Car Jean Hournat, ex-capitaine Fontaine, a signé un engagement pour la durée de la guerre. Il est affecté au Fort de Nogent puis au Fort de Vincennes comme officier d'armement, suit des cours d'officier de l'école de Fontainebleau, est homologué capitaine, et devient officier instructeur d'armement.

Hélas une sombre histoire vient ternir ce parcours exemplaire; c'est vraisemblablement ce qui explique l'absence de reconnaissance officielle des services rendus par le capitaine Fontaine. Il aurait commandé, en septembre 1944,  une expédition punitive contre un capitaine FFI, garagiste à Fontenay-sous-Bois, prétendu résistant de la dernière heure qui se livrait au pillage et à l'épuration sauvage en tondant des femmes. Les rapports d'enquête ne sont pas clairs, les témoignages se contredisent. Le capitaine FFI a déposé une plainte, lui-même, pour pillage. Le capitaine Fontaine affirme qu'il était sur place pour récupérer des armes, que ses hommes n'ont rien volé. Il est condamné mais fait appel. Il sera finalement acquitté en juin 1955 par la Cour de cassation des forces armées de Lyon. Le temps a passé. Le capitaine Jean Hournat est revenu à la vie civile depuis 1948 et a intégré la SNCF. Il ne réclamera aucune reconnaissance.