La libération de Pierrefitte sur Seine

Raymond Massiet : La préparation de l'insurrection et la bataille de Paris :

Samedi 26 août 1944 : Pierrefitte : progression de deux cents Allemands sur Saint-Denis; Allemands venant de Stains ont attaqué quartier de la Mutualité. Otages. Retrait vers Stains après arrivée renforts français et éléments américains…

Relevé des conversations téléphoniques enregistrées au standard de la la Préfecture de police :

Le pont d'Eymoutiers qui relie Pierrefitte à Stains et le pont de Creil sur la route de Soissons à Pierrefitte sont minés … Les troupes allemandes cantonnées à Pierrefitte reviennent sur Saint-Denis … Le commissariat de Saint-Denis signale que les Allemands commettent des actes de sauvagerie dans Pierrefitte. Ils viennent de fusiller des otages à la Butte Pinson. La route de Pierrefitte au Barrage est minée …

Ce 26 août Paris est libéré et fête dans une liesse indescriptible le général de Gaulle qui va assister à une messe à la cathédrale Notre Dame … mais la guerre n'est pas finie. Les Allemands sont proches et peuvent contre-attaquer. Le général Leclerc, depuis son poste de commandement de la Porte de la Chapelle donne ses ordres. Sa Division va se porter au Nord de la capitale pour parer à la menace. Au sein du GTL le sous-groupement Massu se chargera de la redoute de la Butte Pinson sur la côte 101.


le commandant Massu et son chauffeur Georges Hipp


Mais revenons un peu en arrière. La mairie de Pierrefitte a été prise par les FFI le 20 août. De nombreuses escarmouches ont  lieu entre Allemands et résistants dans les rues de la ville.

Le 21 août on relève les corps de Elie Brover et Georges Gruman, fusillés à la sortie de la ville. Elie Brover, commandant des maquis du secteur Nord de la région parisienne des FTP-MOI (Francs tireurs partisans de l'organisation Main d'oeuvre immigrée) et son adjoint Georges Gruman ont été vraisemblablement pris pour des résistants locaux par les Allemands qui les ont arrêtés; il sont inhumés au cimetière communal (Guy Laroche : On les nommait étrangers).

Le 23 août, le commissaire de police Chassaignon, de Saint-Denis, entouré de nombreux gardiens en uniforme assiste aux obsèques du gardien de la paix Gaston Boudreault. Une couronne avec ruban tricolore a même été prévue … Défi contre l'occupant ?

Le 25 août, René Trémine, Georges Nantier, 16 ans, et Roger Strahm, 19 ans, sont tués devant la mairie à la hauteur de la villa Gloriette par un obus de char (une autre version indique que Nantier et Strahm ont été arrêtés par une patrouille allemande et, trouvés en possession de revolvers, immédiatement fusillés).


Georges Nantier

Le 26 août on peut relever les victimes suivantes dans les rues de Pierrefitte :

Charles Grimaud, 23 ans, jeune espoir du tennis français demeurant à Montmagny.

Frédéric Goubert, 66 ans, de Stains ou de Garges-lès-Gonesse, fusillé.

Marie-Louise Guerreiro, 30 ans, de Montmagny

Emmanuel Martin, 44 ans

Comme l'indique un état des pertes, ces FFI appartenaient au Groupe Henry dit "Papa" du secteur Nord du mouvement Ceux de la Résistance.

Kléber Thiéchart, 18 ans, de Pierrefitte, caché dans un arbre sur la RN 1, tirait sur des soldats allemands;  découvert, il est aussitôt fusillé.  

D'autres victimes sont à déplorer, mais je ne connais pas encore leurs dates de décès : Fidèle Buglio, 68 ans, Achille Decevre, 55 ans , Lucien Duport, 41 ans et Baer, agent communal fusillé car trouvé porteur d'une arme. Ils seront inhumés au cimetière communal le 29 août.


Comme si cela ne suffisait pas, un drame supplémentaire va endeuiller la ville.

Je laisse la parole à Jeanine Montauron qui a bien voulu mener une enquête auprès d'anciens amis de sa tante et de son oncle (les parents de Jeanine habitaient Pierrefitte pendant la guerre; son père, Jean Montauron, 21 ans, a été tué le 24 août 1944 lors des combats de la Préfecture de police et ne connaîtra pas sa fille née 5 mois plus tard).

J'ai entendu parler de ces faits par ma tante et ses voisines à plusieurs reprises quand j'étais enfant … aussi j'ai voulu en faire le récit pour que cet évènement ne soit pas oublié.

Quand je rencontrais madame Thiolat, une grande dame blonde et mince, je la remarquais toujours car elle avait les yeux de quelqu'un qui a beaucoup pleuré. Je me demandais bien ce qu'elle avait. Ma tante m'expliqua un jour qu'il était arrivé un drame à la "Butte" pendant la guerre … Des années plus tard, j'ai pris conscience du chagrin de madame Thiolat … du destin tragique qui a fait se croiser cette femme et une troupe de soldats allemands ivres de revanche et n'ayant plus rien à perdre, par un après midi de l'été 1944…

En haut de la Butte Pinson, à Pierrefitte, il y avait un café, "le café Nicolaï", tenu par des Corses très sympathiques. Malgré l'occupation, des habitués y venaient tous les jours pour jouer aux cartes … la guerre durait … il fallait bien passer le temps. Ce 26 août, il faisait très chaud. Madame Thiolat y était venue, son enfant de quelques mois dans les bras, pour s'y rafraîchir quelques instants. Soudain, Roger Vaillant, un voisin, téléphone du café de l'Eglise, où il se trouve, et prévient "Nico" que les Allemands remontent la rue de Paris et arrivent rue de la République … Panique … Tout le monde descend à la cave …Mais il y fait tellement chaud que le bébé de madame Thiolat, en manque d'air, se met à pleurer. Elle sort de la cave pour le faire respirer … et tombe nez à nez avec un soldat allemand.

Les Allemands sont à la recherche d'otages à fusiller. Un des leurs a été tué par des FFI qui n'ont pas pensé à dissimuler le cadavre. Sans ménagements les soldats font sortir les réfugiés de leur cave. Un officier demande des ordres à sa hiérarchie, il hésite … Il faut faire un exemple … le groupe sera fusillé.

Les hommes sont alignés devant le 65 de la rue de la République. Leurs épouses, leurs mères ou leurs frères assistent, impuissants, à la fusillade. Avant de quitter les lieux, les soldats piègent les cadavres en plaçant des grenades dégoupillées …

Voilà pourquoi madame Thiolat avait toujours les larmes aux yeux.

Les victimes :

Henri Videau, né le 12 novembre 1925, de Pierrefitte

André Voillot, né le 18 mai 1922, marié et père d'un enfant, de Pierrefitte

Louis Lebrun, 26 ans, de Sarcelles

Maurice Gabrillague, 31 ans, de Pierrefitte

Marius Pommier, 36 ans, de Pierrefitte

Aimé Letilleul, né le 28 septembre 1906, de Pierrefitte

Albert Lucas, né le 2 avril 1904, de Pierrefitte

Félix Thiolat, né le 17 novembre 1898, marié et père de deux enfants, contremaître de la SNCF

Paul Nicolaï, né le 5 mai 1897, de Pierrefitte


Si l'on en croit le général Duplay (Revue historique des armées n° 3/1974), les troupes allemandes qui se trouvaient à Pierrefitte le 26 août 1944 appartenaient au 105ème Régiment de grenadiers de la 47ème Division d'infanterie. Elles avaient reçu l'ordre de faire barrage sur toutes les routes sortant de Paris vers le Nord.

Le 27 août, le commandant Massu aborde la Redoute de la Butte Pinson vers 14h00 et se heurte à une vive résistance. La 5ème compagnie et la compagnie d'accompagnement du 2ème RMT sont engagées, ainsi que des éléments du RBFM tandis que le 40ème RANA réalise trois tirs d'artillerie. La bataille dure jusqu'à 19h00. La position est enlevée.

Le caporal René Sitbon, de la section de mitrailleuses de la compagnie d'accompagnement, est tué par un sniper sur la route nationale.

Jean Lavallée, 31 ans, brancardier volontaire de la Défense passive de Pierrefitte, tombe alors qu'il porte secours à un blessé avenue Emilie.

A la demande de la population, neuf soldats allemands prisonniers sont fusillés par les soldats de la 2ème DB à l'endroit même où, la veille, sont tombés les otages …

Le surlendemain, 29 août, un dernier Pierrefittois perdra la vie dans les combats de la libération : Pierre Devaux, 36 ans, entrepreneur de plomberie rue Louis et commandant des FFI, pourchasse avec son groupe sur la route nationale 16 un char allemand en retraite; un obus pulvérise sa voiture sur la côte d'Ecouen à la hauteur de Villiers le Bel.