La fête est finie, l’attaque de l’aérodrome du Bourget

Le 26 août 1944 au soir les flonflons de la folle liesse qui s'est emparée de Paris sont recouverts par le bruit assourdissant du dernier bombardement vengeur de la Luftwaffe. J'ai relevé deux cent cinquante victimes et les journaux parleront de plus de neuf cents blessés (voir l'épisode).

Le général Leclerc, qui a été avisé par son 2ème bureau des mouvements allemands sur Saint-Denis, La Courneuve, Le Bourget et Porte de la Chapelle, installe son poste de commandement avancé rue de la Chapelle dans le 18ème.

C'est là qu'est mortellement blessé, sans doute par un tireur des toits, le brigadier des spahis André Barraud, 23 ans; il décèdera le 28 août à l'hôpital de Suresnes.

(photo Stéphanie Castelain-Bour)


On retrouvera, après guerre, dans les archives allemandes l'ordre suivant du Groupe d'Armées B : 

"A tous : l'ennemi répand un soi-disant ordre du général von Choltitz de cesser la résistance à Paris. Cet ordre est faux ! Tous les points d'appui sont à défendre jusqu'au bout".           

Le LVIII Corps blindé (47ème et 48ème divisions d'infanterie appuyées par un groupement de la 9ème division blindée) est chargé "d'articuler la troupe en fonction de cette mission et de l'équiper de toutes les armes particulièrement propres au combat de rues". La poussée dans la capitale, pour réduire les foyers d'insurrection, doit s'opérer le 27 août. Cet ordre ne sera pas exécuté (peut-être faute de moyens ?) mais remplacé par une mission de barrage défensif, dévolue à la 47ème division d'infanterie aux ordres du général major Karl Wahle qui installe les 103ème, 104ème et 105ème régiments de grenadiers sur une ligne allant de Montmagny à Sevran.

Le général Leclerc envoie le G.T.D, groupement tactique Dio, vers l'aérodrome du Bourget et le G.T.L, groupement tactique Langlade, vers Stains et Montmagny. Pour plus de précisions voir l'organigramme de la 2ème D.B.

Le colonel Dio déploie le sous groupement Farret vers Dugny, le sous groupement Noiret au Bourget et le sous groupement Rouvillois au Blanc Mesnil pour envelopper le terrain d'aviation et s'en emparer.

Mais qu' il était dur quand même d'avoir si vite à quitter les douceurs qui sont la récompense des jeunes libérateurs … Paris dort encore, abruti par des journées échevelées, hurlantes … c'est la fin d'un carnaval fantastique … Paris est libre, mais la guerre n'est pas terminée comme le précise le général de brigade Duplay, alors lieutenant chef du peloton du 12ème Cuir à l'escadron de protection, dans la Revue historique des Armées n° 3 de 1974 d'où viennent bon nombre de ces précisions tactiques.


Le sous groupement Farret se battra contre le 105ème Grenadiers jusqu'à 18h00 au prix de pertes élevées et subira une violente contre attaque dans la nuit. L'enseigne de vaisseau de Gaulle, le fils du général, chef du 1er peloton du 3ème escadron de combat du R.B.F.M, est de la bataille. Le lieutenant Humbert Van der Cruis de Wazier, de la 1ère compagnie du 1er R.M.T et cousin du général Leclerc, est tué. Le sous groupement Noiret se heurte à des éléments des 105ème et 103ème Grenadiers sur le terrain d'aviation. Très bien enterrés et camouflés, les fantassins allemands opposent une résistance farouche et meurtrière. Le combat cessera à 19h30; les pertes sont très fortes du côté français, mais bien plus encore du côté allemand où l'on compte les morts par centaines, les hommes du 4ème escadron du 12ème Cuir n'ont pas fait de quartier, beaucoup des leurs ont été tués par traîtrise. Le sous groupement Rouvillois s'empare du Blanc-Mesnil et empêche le 103ème Grenadiers de venir à la rescousse. De nombreux F.F.I locaux participent à la bataille avec le sous groupement Rouvillois au Vieux Blanc-Mesnil, apportant en plus de leur rage de combattre la connaissance indispensable du terrain.


cimetière du Bourget

Le bilan est très lourd : vingt-neuf soldats de la 2ème Division blindée, plus d'une dizaine de F.F.I, des victimes civiles et deux colonels du 922ème Régiment de génie de l'U.S Air Force venus reconnaître l'état des pistes en pleine bataille pour les remettre immédiatement en fonction. 


cimetière de Pantin


cimetière du Blanc-Mesnil

Les victimes :

Pierre Assailly, 62 ans, Jacques Demolin, 22 ans et Mdme Suzanne Bouquin, 53 ans : 150 otages retenus à la ferme du Moulin sont libérés par les Allemands; ils se dirigent aussitôt vers la route de Flandres pour rejoindre Gonesse et fuir ainsi les combats qui se déroulent autour de l'aérodrome; un obus (allemand ? français ?) explose sur la colonne.

Joseph Attas, spahi du 5ème escadron du 1er R.M.S.M, tué en tentant de secourir l'équipage d'un char touché par un coup de panzerfaust; ses parents, juifs alsaciens à peine libérés de Drancy, pourront assister à ses obsèques au cimetière du Bourget.

Emile Bident, 49 ans, quincaillier au Blanc-Mesnil, sergent du mouvement Libération nord et responsable de la Défense passive, tué à l'Orée du Bois sous Coudray au vieux Blanc-Mesnil.

Léon Bonvallet, marchand de tabac au Blanc Mesnil, tué par l'explosion d'un obus allemand sur la ferme Bouquin au Vieux Pays.

Pierre Broichot, originaire de Dijon, F.F.I du mouvement Libération nord du 9ème.

Roger Brun, 3ème compagnie du 1er R.M.T

Léon Calba, 1ère compagnie du 1er R.M.T

Jean-Marie Corlu, 32 ans, chef de bataillon commandant adjoint du 1er R.M.T, mortellement blessé devant les hangars à l'ouest de l'aérodrome, du côté de Dugny, et décédé le 30 août à l'hôpital de Bobigny. Compagnon de la Libération

Marcel Crémoux, 43 ans, FFI

Jean Debals, 25 ans, 2ème peloton du 4ème escadron du 12ème Cuir; mortellement blessé avec son camarade René Lesbarrères alors qu'ils sont descendus de char pour désarmer des prisonniers allemands qui font mine de se rendre; il décèdera à l'hôpital Necker.

Henri Delesalle, 24 ans, brigadier-chef du 3ème peloton du 5ème escadron du 1er R.M.S.M, mortellement blessé qui décèdera le 28 août à l'hôpital du Val de Grâce.

Raymond Dominique, 30 ans, alias Raymond Bosc du mouvement Libération nord du 9ème, tué au vieux Blanc-Mesnil.

Xavier Ettori, compagnie de commandement du 1er R.M.T, tué en tentant de ramener le commandant Corlu grièvement blessé à l'ouest de l'aérodrome, du côté de Dugny; le 25 août il s'était particulièrement distingué sur son half-track lors du nettoyage du Jardin des Tuileries.

Pierre Guastalla, 3ème compagnie du 1er R.M.T, mortellement blessé près de la voie de chemin de fer de Dugny.  

Gilbert Hall, originaire de New York, lieutenant-colonel du 922ème Régiment de génie de l'U.S Air Force, mortellement blessé en compagnie du colonel Little alors qu'ils reconnaissaient l'état des pistes en pleine bataille.

Jack Hazan, 3ème compagnie du 1er R.M.T

Bernard Humbert, 24 ans, brigadier-chef pilote de M7 Lannes de la 2ème section de tir de la 2ème batterie du 3ème R.A.C; décédé le 30 août à l'hôpital du Val de Grâce.

Pascal Ibanez, 1ère compagnie du 1er R.M.T

Placés en tête d'une colonne de soldats allemands, plusieurs civils servent de boucliers humains. Des soldats de la 2ème D.B distinguant mal le cortège ouvrent le feu. Madame Malherbe, qui tenait dans ses bras sa petite fille et un sapeur pompier non encore identifié sont tués.

Raymond Jauze, 19 ans, 1ère compagnie du 1er R.M.T, qui décèdera à l'hôpital Necker.

Pierre Labarbe, 5ème escadron du 1er R.M.S.M

Georges Lachambre, 18 ans, de Paris 13ème, F.F.I tué au Vieux Blanc-Mesnil.

 

Armand Lannes, maréchal des logis, chef du Besançon du 2ème peloton du 2ème escadron du 12ème Cuir; tué alors qu'il lance son char pour dégager son chef de peloton grièvement blessé.

Pierre-Marie Lassausse, adjudant, chef de la 1ère section de la 3ème compagnie du 1er R.M.T; sous-officier de la Coloniale, il avait rejoint Leclerc en 1942.

 

Noël Le Burel, 23 ans, quartier-maître mécanicien du 1er escadron du 1er R.B.F.M. Engagé volontaire en 1939 il s'est battu contre les Anglais à Mers-el-Kebir, a été fait prisonnier par eux à Madagascar et retenu en Angleterre jusqu'en 1943; il rejoint ensuite Alger où il s'engage au R.B.F.M.

François Ledu, quartier-maître du 1er R.B.F.M, porté disparu.

René Lesbarrères, 2ème peloton du 4ème escadron du 12ème Cuir; mortellement blessé avec son camarade Jean Debals alors qu'ils sont descendus de char pour désarmer des prisonniers allemands qui font mine de se rendre. Il s'était particulièrement distingué le 25 août en incendiant 3 blindés ennemis.

Léon Leu, F.F.I tué au Vieux Blanc-Mesnil.

Augustine P. junior Little, 30 ans, originaire de Georgie, colonel du 922ème Régiment de génie de l'U.S Air Force mortellement blessé en compagnie du colonel Hall alors qu'ils reconnaissaient l'état des pistes en pleine bataille.

Lucien Loonis, 3ème compagnie du 1er R.M.T tué du côté de Dugny.

Mauritz Maene, 30 ans, d'origine belge, F.F.I tué au Vieux Blanc-Mesnil.

Yves Mairesse-Lebrun, 5ème escadron du 1er R.M.S.M, tué lorsque son automitrailleuse est atteinte par un coup de panzerfaust.

Marcel Makosso, 28 ans, originaire d'Ivry sur Seine, F.F.I tué au Vieux Blanc-Mesnil.

Marcel Male, 2ème peloton du 4ème escadron du 12ème Cuir, ancien champion de boxe amateur; est d'abord blessé au genou puis abattu d'une balle dans la tête alors qu'il se porte au secours de son chef de peloton grièvement blessé.

Gustave Maloiseau, 1ère compagnie du 1er R.M.T

Belaïd Nait-Chellal, ordonnance du chef du 4ème escadron du 12ème Cuir; sa citation posthume à l'Ordre de l'Armée indique que, alors qu'il pouvait de part ses fonctions rester à l'abri en arrière, il s'est porté volontairement vers les lignes ennemies armé d'un mousqueton et n'est tombé, atteint d'une balle en pleine tête, qu'après avoir tué un grand nombre d'Allemands.

Michel Pitty, 24 ans, sous-lieutenant chef du 1er peloton du 4ème escadron du 12ème Cuir; tué d'une balle dans la nuque alors qu'il est descendu de son char pour secourir son camarade le sous-lieutenant Mucchieli grièvement blessé.

Maurice Sarfati, 1ère compagnie du 1er R.M.T; avait été légèrement blessé le 25 août lors de la prise de l'Assemblée nationale; son frère s'est engagé au 3ème R.A.C

Martin Sorba, 25 ans, 4ème escadron du 12ème Cuir, décédé à l'hôpital Necker.

François Steffanogi, 4ème escadron du 12ème Cuir.

Humbert Van-der-Cruize-de-Waziers, lieutenant de la 1ère compagnie du 1er R.M.T et cousin du général Leclerc… (lire)

 

Michel Weill, 5ème escadron du 1er R.M.S.M

Lucien Winglarz, F.F.I tué au Vieux Blanc-Mesnil.

 

Les Allemands étaient très bien enterrés dans leurs positions individuelles réparties sur tout l'aérodrome. Ils disposent d'armes anti-chars et attendent de pied ferme les assaillants conformément aux ordres reçus de défendre la position jusqu'au bout. Les F.F.I ont été engagés principalement au Vieux Blanc-Mesnil au nord ouest de l'aérodrome.  La 3ème compagnie du 1er R.M.T, aidée d'un peloton du R.M.S.M et de deux tanks du R.B.F.M commandés par l'E.V Philippe de Gaulle, attaque Dugny et l'occupe. Elle pousse ensuite vers les hangars  du terrain d'aviation. C'est au cours de cette manoeuvre que Corlu, Sammarcelli, Kirch et Ettori sont touchés. Le colonel Noiret envoie le 4ème escadron du 12ème Cuir, la 1ère compagnie du 1er R.M.T et le 5ème escadron du R.M.S.M sur l'aérodrome. L'infanterie subit des pertes sur la Nationale 2 dues à des tirs de mortier. Le sous-lieutenant Pitty prend les Allemands à revers mais tombe ainsi sur le gros des troupes ennemies qui résistent farouchement. Un grenadier saute sur le char de Pitty et lance une grenade, il est abattu au pistolet. Les Allemands se terrent dans leurs trous, attendent que les chars passent puis se relèvent et tirent sur les chefs de voiture dont la tête dépasse de la tourelle. Les autos mitrailleuses du 1er R.M.S.M sont prises à partie par des anti-chars. Les sous-lieutenants Mucchielli et Pitty se portent maintenant vers le nord. Devant eux une dizaine de soldats se présentent, drapeau blanc à la main. Mucchielli descend à terre avec son équipage. Derrière les soldats se lèvent des dizaines d'hommes. Mucchielli est tiré à bout portant et tombe, Male est tué, Lannes est abattu par un tireur embusqué, Debals et Lesbarrères, descendus eux aussi de leur char, sont également tués. Les chars de Pitty se précipitent. Celui-ci saute à terre pour porter secours à Mucchielli. Il est touché d'une balle dans la nuque. Des civils français surgissent de nulle part, pris en otages et traînés sur l'aérodrome pour "protéger" les positions allemandes. Le 4ème escadron du 12ème Cuir ne fera pas beaucoup de prisonniers … Le combat s'arrête à 19h30.


un char de la 2ème D.B place de la Mairie, au Bourget

La morgue installée dans l'école des garçons 70, route de Flandre recevra 13 morts dont un lieutenant le 27 août. Une garde d'honneur sera assurée par les jeunes gens du Bourget. Les équipes de secours aidées de prisonniers procèderont à l'ensevelissement de 124 soldats allemands le 31 août, 49 le 1er septembre et le 2 septembre retrouveront 14 corps immergés dans la Morée.