Glücklich wie Gott in Frankreich

Au 19ème siècle les Juifs ashkénazes disaient « Men ist azoy wie Gott in Frankreich », lorgnant sur cette France qui avait émancipé ses ressortissants juifs en leur accordant des droits civiques. Les Allemands reprirent l’expression à leur compte en la transformant légèrement, « Glücklich wie Gott in Frankreich » : Heureux comme Dieu en France. Dans l’esprit des vainqueurs de 1940 il n’était pas question de rendre hommage aux institutions françaises mais plutôt de saluer la douceur de vivre qu’ils ne manqueraient pas de découvrir à l’occasion de leur affectation dans ce pays récemment conquis. Et bien sûr Paris était la garnison la plus convoitée.

Entrés dans la capitale le 14 juin 1940 après une campagne éclair, les Allemands s’empressent de retirer tous les drapeaux français pour les remplacer par des drapeaux à croix gammée ; les journaux n’étant pas sortis ce sont des voitures qui diffusent par haut-parleur la nouvelle : « Les troupes allemandes occupent Paris ». La circulation est interdite entre 21h00 et 5h00 du matin. Les horloges sont mises à l’heure de Berlin. De nombreux états-majors s’installent et un premier défilé est organisé sur les Champs-Elysées. 

Le chancelier Adolf Hitler voulant savourer sa victoire effectue une visite éclair le 23 ou le 28 juin (la date n’est pas sûre). Son avion atterrit au Bourget à 5h30. Accompagné de son architecte officiel Albert Speer et du sculpteur Arno Brecker il entreprend un tour de la ville au pas de charge. Il paraît qu’il s’extasie devant l’Opéra Garnier, la place de la Concorde ou encore l’Arc de Triomphe mais reste de marbre devant l’église de la Madeleine et le Panthéon et déteste le Sacré-Cœur. « Je remercie le destin qui m’a permis de voir cette grandiose cité » dira-t-il à Brecker. A 8h30 l’avion décolle du Bourget.

De nombreux officiers et soldats affectés à Paris ou simplement de passage visitent les monuments de la capitale. En bons touristes ils se font photographier. Leur pouvoir d’achat reçoit un sérieux coup de pouce quand les autorités décident que le mark allemand d’occupation vaudra vingt francs français. Ils peuvent désormais s’offrir beaucoup de marchandises qu’ils expédient à leurs familles en Allemagne où l’industrie de guerre prioritaire a généré de nombreuses pénuries. Alcools, bas de soie, vêtements, tissus, souvenirs, bijoux, chaussures, tout est intéressant à acheter. Seule restriction, le poids des colis.

Beaucoup de Parisiens sont surpris de découvrir des bibliophiles se promenant le long des quais, des peintres du dimanche à Montmartre, des amateurs de pêche en quête de conseils, des « Souris grises » faisant leurs courses dans les meilleurs magasins. Et en plus ils se montrent parfaitement corrects.

Très vite des lieux de détente sont ouverts mais demeureront interdits aux Parisiens : soldatenkino, soldatenheim ou soldatenkaffee. 

Les soldats ne dédaignent pas pour autant les brasseries et terrasses de café où ils peuvent faire des rencontres. 

L’armée d’occupation offre des concerts publics, ils sont gratuits et attirent de nombreux mélomanes. La musique est censée ne pas avoir de frontières et rapprocher les peuples.

La Wehrmacht interdit les relations sexuelles avec « des personnes de sexe féminin non soumises à un contrôle sanitaire » et réquisitionne des maisons-closes où les Français ne sont pas admis. Il s’agit d'abord de préserver la santé de ses hommes dans un  pays à la réputation si sulfureuse. De plus la Résistance est soupçonnée d’inciter les prostituées vérolées à contaminer volontairement les soldats afin d’affaiblir l’armée d’occupation. Mais il est impossible de résister au « Gai Paris » quand au hasard d’une permission on séjourne dans la capitale avant de gagner le Front de l’Est ou une garnison dans une province reculée. Un guide touristique sera édité et connaîtra une grande diffusion.

 

Il est communément admis que le premier attentat contre les forces d’occupation a eu lieu à la station de métro Barbès-Rochechouart. Pierre Georges (le futur colonel Fabien responsable des FFI pour le sud de la région parisienne lors de l’insurrection d’août 1944) tue au hasard l’aspirant Alfons Moser, 31 ans, un employé de la Caisse d'épargne de Baden-Baden affecté aux magasins d'habillement de la Kriegsmarine. Cet attentat modifie profondément l’atmosphère dans la capitale. Paris garde son pouvoir d’attraction mais les soldats allemands sont désormais sur leur garde.