Je viens de prendre connaissance des pages que vous avez ouvertes sur la Libération de Paris. C'est mon fils, Lionel, qui m'en a appris l'existence lorsqu'il a voulu trouver sur le "web" des documents concernant ces événements. Sur la page du 19 août, j'ai pu lire avec émotion : Virginie Quantin, 28 ans, décédée 50, rue Dauphine. C'était ma mère…
Ce jour-là, comme beaucoup de parisiens qui "sentaient" que la liberté approchait avec les troupes alliées, elle a eu l'imprudence de se mettre à la fenêtre de notre appartement, au 1er étage au-dessus du salon de coiffure où elle travaillait. J'étais à une fenêtre voisine avec mon grand-père, Hrand Schenorkian. J'allais avoir 5 ans.
Ma mère a été tuée d'une balle en pleine tête. Je me souviens de mon père hurlant à la fenêtre: "Ils ont tué ma femme !" et de nombreux voisins venus dans notre appartement… J'ai vite été entraîné chez un petit camarade demeurant quelques étages plus haut et qui, pour me distraire, a joué avec des marionnettes.
Je n'ai jamais oublié…
Le corps de ma mère est resté cinq jours dans l'appartement avant que l'on puisse l'emmener au cimetière. Evidemment, les services publics comme les pompes funèbres ne pouvaient plus fonctionner. On peut imaginer ce qu'il advient d'un cadavre en plein mois d'août… Mon père m'avait envoyé chez des amis, à Suresnes.
En novembre 1944, mon grand-père, réfugié arménien qui avait dû fuir Constantinople avec sa femme (morte de tuberculose et de misère bien avant guerre) et sa petite fille Virginie pour échapper aux turcs, s'est suicidé dans ce même appartement. Pendant des années, j'ai cru qu'il "était reparti dans son pays", comme mon père avait voulu me le faire croire.
J'habite maintenant en province, comme ma fille Virginie. Mon fils demeure à Paris où je viens fréquemment.
A chacun de mes passages, je me rends 50 rue Dauphine. Ce n'est plus un salon de coiffure mais un "Sushi house" qui se trouve là, un signe des temps… Je contemple à chaque fois la fenêtre où la vie de ma mère a été brutalement interrompue et celle des quelques autres membres de la famille bouleversée. C'était la guerre…