Boulevard Bonne-Nouvelle

Ce 17 août 1944 en ce début de soirée il fait bien moins chaud et lourd que les jours précédents, les Parisiens en profitent pour prendre le frais sur les Grands-Boulevards. D’autant que le spectacle en vaut la peine : les Allemands plient bagages ! A pied, à cheval ou en voiture, c’est le cas de le dire. Au milieu des ambulances et des véhicules camouflés venant de Normandie on peut distinguer des voitures civiles réquisitionnées, des vélos (souvent volés), voire des charrettes hippomobiles. Tous les moyens de locomotion sont bons pour le grand départ. 

Porte Saint-Denis plus d’une centaine de personnes se sont massées sur le parapet qui surplombe le boulevard Bonne-Nouvelle à hauteur des rues de la Lune et de Cléry. Vue imprenable sur ce défilé hétéroclite et presque pitoyable ! Les visages s’illuminent. En juin 1940 les Allemands avaient bien meilleure allure n’est-ce pas ? A chacun son tour !

Est-ce l’attitude moqueuse des Parisiens qui les excède ? A-t-on tiré sur eux ? A 21h30, les soldats ouvrent le feu sur les badauds et lancent des grenades sur les immeubles. Le directeur de l’école primaire de la rue Beauregard trouvera une balle dans une salle de classe.

Immédiatement la foule se disperse en courant. Le Trou de la lune, le café situé à l’angle de la rue Saint-Denis et du boulevard, est ravagé par un incendie. Les établissements Valentin, le « Roi du caoutchouc », connaissent le même sort et le feu se propage aux étages supérieurs. Les soldats poursuivent quelques fuyards dans les rues avoisinantes. Des coups de feu se feront entendre jusqu’à 23h00 environ. Les pompiers parviennent à circonscrire les incendies tard dans la nuit mais les secouristes n’ont pas l’autorisation de ramasser les morts. On en compte au moins deux qui seront relevés le lendemain matin quand les soldats auront déserté le boulevard : Léon Garcelon tombé devant le 136, rue d’Aboukir et Samuel Blitz devant le 139. Mais on note également le décès d’Adeline Poyard à son domicile 8, rue Spire. 

François Combes, 65 ans, chef d’îlot de la Défense passive, les fait transporter à la mairie du 2ème arrondissement. Samuel Blitz et d’Adeline Poyard sont tout de suite identifiés par leurs proches. Dans l’une des poches du cadavre trouvé devant le 136 rue d’Aboukir on découvre un papier en mauvais état au nom de Garcelon ou Gasselon Léon. Il est envoyé à l’Institut médico-légal. Ce qui nous permet de découvrir que l’homme s’était mis sur son 31 pour sa promenade nocturne : complet trois pièces noir à rayures blanches et bleues, chemise américaine bleue, cravate blanche à points rouges, souliers acajou, chaussettes blanches et lunettes. Un personnage de film noir des années 30 ! 

En octobre 1944 Edouard Couvert, 70 ans, commerçant 136 rue d’Aboukir, déclare à l’inspecteur de la brigade criminelle qui l’interroge : « Le soir du 17 août il y avait des Allemands un peu partout, ils tiraient sur toute personne rencontrée. Je regardais à travers les vitres. A 22h00 je me souviens qu’un jeune homme venant du boulevard Bonne-Nouvelle et remontant la rue d’Aboukir a croisé plusieurs Allemands venant de la rue Chénier. Ils l’ont aussitôt abattu, il est tombé devant ma porte. Je ne le connais pas et ne peux vous donner aucun renseignement sur lui ». Une enquête au Service des garnis permet de découvrir la trace d’un nommé Léon Garcelon, 32 ans, originaire du Cantal, ayant séjourné dans divers hôtels boulevard Diderot et rue de la Roquette. Mais personne ne se souvient de lui. Que faisait-il là ?

Samuel Blitz, représentant de commerce âgé de 73 ans, et Adeline Poyard, 46 ans, habitaient dans le quartier. Ils sont venus en voisins. La promenade leur a été fatale.

Il n'y a pas que sur le boulevard Bonne-Nouvelle que les Allemands se montrent "susceptibles". Dans l'après-midi déjà ils n'avaient pas vraiment apprécié l'air narquois affiché par un petit groupe de civils installés devant le 57, boulevard de Strasbourg à Nogent-sur-Marne. Un soldat juché sur le dernier véhicule du convoi qui se dirigeait vers l'est avait ouvert le feu et tué Marcel Schlosser, 47 ans, Marcel Eysseric, 32 ans, Paul Divay, 53 ans, et son épouse Alice, 43 ans. 

Le 19 août vers 13h15 ces sont des soldats faisant halte sur la place de la mairie au Perreux-sur-Marne qui tirent sans raison apparente sur des jeunes gens venus observer de plus près leurs véhicules. Claude Boilbessot, 10 ans, Claude Jean-Romain, 18 ans, et Paul Protin, 20 ans, sont tués. 

 

Si la libération semble proche, les populations civiles doivent se méfier des réactions hargneuses d'un occupant qui n'admet pas sa défaite.