Un soir je reçois le message suivant :
Je m'appelle Anne, j'ai dix-sept ans et suis passionnée d'histoire. J'ai appris que mon arrière grand-tante, Anne Marie Dalmaso d'origine italienne née dans les années vingt, avait été résistante à Paris pendant la guerre sous les ordres de Rol-Tanguy. Elle participa à l'insurrection d'août 1944 et on peut la voir dans le film "La libération de Paris". Elle fut une des cinq femmes décorées à la fin de la guerre. A cette époque sa famille n'y a pas porté grand intérêt; elle est morte de la tuberculose quelques années après la guerre. J'aimerais en savoir davantage. Pourriez-vous m'indiquer des pistes de recherches.
Dans le film dont parle Anne, il n'y a pas beaucoup d'images de femmes. J'ai affiché dans mon site quelques prises représentant des secouristes, des jeunes filles construisant des barricades … et surtout la fameuse scène où l'on voit, sur le parvis de l'Hôtel de Ville, une certaine Anita se précipiter sur un soldat allemand blessé pour lui arracher son fusil …
Dans une revue de décembre 1944 elle est surnommée "Anita l'Amazone en savates".
A tout hasard j'aiguille Anne vers cette page …
La réponse ne tarde pas …
"C'est elle … oui c'est elle ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point ma grand-mère et mon arrière grand-mère sont heureuses … A l'époque mon arrière grand-mère, italienne ne maîtrisant pas le français, n'a pas pu en savoir plus sur les activités de sa soeur … Aujourd'hui elle est impatiente d'en connaître plus.
Anne me communique les renseignements qu'elle possède sur son arrière grand-tante. Grâce à la magie d'Internet nous pouvons donc mettre un nom sur ce visage : Anne Marie Dalmaso née en décembre 1922 à Rovereto en Italie.
Arrivée en France avec ses grands parents vers 1930 pour rejoindre sa mère déjà installée à Clermont Ferrand, Anne Marie aimait la vie. D'une nature très indépendante elle gagna Paris dès que l'occasion lui en fut donnée. Elle loge à l'hôtel Montignac boulevard Saint Michel. La guerre éclate. Arrêtée pour faits de résistance elle est emprisonnée seize mois puis relâchée. Elle passe sa première nuit de liberté couchée par terre … le matelas est trop mou ! Reprenant ses activités elle croise le général Chaban (Jacques Chaban Delmas) qu'elle surnomme "Zoupinet" et Madeleine Riffaud. Pendant l'insurrection elle est filmée en pleine action devant l'Hôtel de Ville. La guerre terminée, elle se porte volontaire pour aller chercher dans les camps allemands des déportés atteints du typhus. De retour en France elle s'installe au Havre avec Georges, son compagnon. Mais à l'occasion des rapatriements de déportés Anita a contracté la tuberculose. Sa soeur la fera hospitaliser à Clermont Ferrand où elle décèdera le 27 avril 1950.
Anne accepte également de nous confier quelques photos de son arrière grand-tante :
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assise au milieu |
en 1940 |
à l'hôpital Sabourin, quelques temps avant sa mort |
Du film La Libération de Paris je parviens à extraire le détail de la scène qui s'est déroulée devant l'Hôtel de Ville. |
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un soldat allemand a été atteint d'une balle, Anita le retourne et s'empare … |
… de son fusil qu'elle tend à un FFI sorti de l'Hôtel de Ville sur ses talons. |
puis elle récupère la grenade à manche accrochée au ceinturon du soldat … |
un secouriste vient leur prêter main forte pour ramener le blessé. |
Anita se penche sur un blessé. Le soldat allemand ?
elle-même blessée à la main droite, elle pose devant l'objectif … son brassard est difficilement lisible ..
quelques scènes plus loin, le nouveau Préfet de la Seine arrive à l'Hôtel de Ville. Anita participe au piquet d'honneur …
sur le brassard d'un de ses camarades on peut lire "Commissariat général à la Jeunesse Équipes Nationales"
Ainsi donc, Anita "l'Amazone en savates" fait partie des Équipes Nationales ! Ces équipes de jeunes volontaires âgés de 12 à 25 ans ont été créées pour porter secours aux populations touchées par les bombardements ou évacuées des zones de combat. Les cadets (12 à 14 ans), les pionniers (14 à 17 ans) et les volontaires (17 à 25 ans) se dépenseront sans compter lors des grandes vagues de bombardements alliés après le débarquement. Les équipes sont organisées en Main (cinq volontaires), Section (trois à six Mains), et Groupe (2 à 4 sections). Les équipières sont affectées essentiellement aux tâches sanitaires et de ravitaillement. Bien que créées par le Gouvernement de Vichy les Équipes Nationales sont largement utilisées par les nouvelles autorités au fur et à mesure de la libération du territoire.
A Paris elles sont appelées en renfort de la Garde, au Quartier des Célestins boulevard Henri IV. Le 17 août 1944, elles assurent la surveillance de la Préfecture de police vidée de ses agents par la grève générale. Le 19 août elles s'installent dans les locaux de la Défense passive, rue Chanoinesse tandis que 400 équipiers se rendent au Bois de Boulogne récupérer un important stock d'armes. Ces 400 équipiers sont constitués en un bataillon baptisé "Hémon" du nom d'un de ses chefs déporté en Allemagne. Des équipiers sont envoyés à l'Hôtel de Ville pour en assurer la défense en compagnie de la Garde de Paris et de nombreux gendarmes. (Pierre-Philippe Lambert et Gérard Le Marec : Organisations, mouvements et unités de l'État Français)
Anita a donc participé à la défense de l'Hôtel de Ville dans les rangs des Équipes Nationales. Âgée de 22 ans en août 1944, elle est donc "Volontaire" et vraisemblablement secouriste … ce qui ne l'empêche nullement de s'élancer à découvert sur le Parvis pour récupérer un fusil et une grenade sur un soldat blessé … Anita, "l'Amazone en savates", avait du cran !
à une fenêtre de l'Hôtel de Ville après les combats
Mais de ses activités résistantes, de ses relations avec le général Chaban et Madeleine Riffaud, nous ne savons rien encore. Son arrière petite nièce, élève en classe préparatoire de Sciences Politiques, attend une réponse du Bureau Défense qui détient les dossiers des résistants … elle nous en dira plus bientôt.