A la gare Montparnasse

25 août 1944, 9h30, un bruit de chenilles sur les pavés de la place de Rennes bientôt couvert par les clameurs de la foule. Un immense convoi blindé venant du boulevard Montparnasse emprunte la rue de Rennes tandis qu’une quarantaine de véhicules légers stationnent quelques minutes avant de prendre la rampe d’accès à la gare. La 2ème Division blindée du général Leclerc est là ! C’est le délire.

Un lieutenant-colonel s’approche d’un groupe d’agents de la SNCF attirés par le bruit qui se sont massés pour admirer le spectacle. Il se présente, chef d’état-major du général Leclerc, et réclame cinq ou six bureaux communiquant entre eux pour installer le Poste de commandement du général pendant quelques heures. 

Monsieur Cornet, chef de gare adjoint, lui propose aussitôt les locaux qu’occupait le Banhoff Offizer sur la plate-forme. Les inscriptions allemandes sont vite recouvertes de drapeaux français et alliés. Les transmetteurs installent une antenne sur le toit et la relient à un véhicule garé à proximité. 

A 10h30 le général apparaît en tenue de campagne, jumelles sur l’épaule et canne à la main. Il  préfère s’installer devant les bureaux sur la plate-forme  et demande qu’on amène  trois tables et des chaises. Soudain une balle claque sous le hall. « Des blessés ? » interroge Leclerc. « Non ». « C’est un mauvais tireur ». Et il se penche sur ses cartes avant de donner ses ordres aux officiers qui l’entourent. Vingt minutes plus tard le voilà qui arpente le hall de la gare serrant quelques mains, parlant avec des cheminots et les félicitant pour leur action pendant l’occupation. Mademoiselle Jeantet, la sœur du journaliste Claude Jeantet très engagé dans la collaboration, est infirmière-chef de la Croix-Rouge du centre d’accueil de la station. Elle profite de ces instants de calme pour présenter au général les deux enfants de M. Cornet. Leclerc coiffe la tête du petit Gérard, six ans, de son képi en lui disant « J’espère que tu seras un bon petit Français ». Le téléphone est  mis à la disposition des soldats de la 2ème DB qui voudraient rassurer leurs proches et leur annoncer leur présence dans la capitale. Le jeune général Chaban (Jacques Chaban-Delmas) tient la permanence près du régulateur de la SNCF. 

A 13h00 le général Leclerc s’en va. Une fusillade intense éclate dans le quartier. Les tireurs des toits sont à l’œuvre.

A 16h00 il revient accompagné du général von Choltitz qui vient de signer la reddition de ses troupes dans la salle de billard de la Préfecture de police après sa capture à l’hôtel Meurice. Le colonel Rol-Tanguy, le général Chaban et Maurice Kriegel-Valrimont ont également  pris place dans le half-track du général.

Le bureau n° 32 de l’inspecteur divisionnaire du trafic est réquisitionné pour l’interrogatoire qui sera assez vif puisque l’officier français qui le mène rappellera vertement au gouverneur du Grand-Paris qu’il est à présent prisonnier et qu’il doit répondre à toutes ses questions. Des reporters américains s’introduisent dans la pièce  pour prendre des photographies.  Vers 17h00 Leclerc entre à son tour et interpelle von Choltitz : « Alors que pensez-vous de ces événements ? » Les civils présents sont invités à quitter les lieux, la conversation se poursuit en petit comité. 

Le capitaine Alfred Betz officier interprète (ici à gauche) réclame du papier afin que le général allemand puisse rédiger les ordres de reddition des derniers points d’appui où seront envoyés des équipages mixte composés d’un officier français et d’un officier allemand. 

Des draps sont récupérés au service du matériel, ils serviront de drapeau blanc aux émissaires. 

Debout casqué et les mains croisées le général  Gerow, commandant le 5ème Corps d'armée US.

L’officier interprète explique que von Choltitz vient de mettre à la disposition des troupes françaises un stock de vivres permettant de faire vivre la population parisienne pendant trois jours. Les photographes américains demandent d’autres clichés. Von Choltitz prend la pose à son corps défendant. 

Et voilà qu’arrivent les officiers de son état-major capturés à l’hôtel Meurice devant faire partie des équipages mixtes. L’accueil de la foule est houleux. Des coups de poings s’abattent sur leurs têtes, des cris, des crachats. Les soldats de la 2ème DB ont toutes peines du monde à les conduire dans la gare où ils vont s’asseoir sur le quai de la voie 3 et sont immédiatement « mitraillés » par les correspondants américains. Un tri est rapidement fait. Ceux qui parlent français iront porter les ordres de reddition signé von Choltitz à la Caserne de la République, à Champigny, à l’Ecole Militaire, au Luxembourg, aux Tuileries,  à la Gare du Nord, à la gare de l’Est, à Neuilly-sur-Seine et à Vincennes. A 17h45 les premières voitures partiront sous les huées de la foule qui ignore leur mission. 

Entre-temps le général de Gaulle est arrivé accompagné du général Juin et de quelques personnalités civiles dont André Le Troquer, commissaire délégué à l’administration des territoires libérés (ici au centre en chapeau et nœud papillon).

Après avoir serré des mains de Gaulle s’installe au bureau de Leclerc et lit l’acte de reddition signé à la Préfecture de police.  Le paraphe du colonel Rol-Tanguy, chef d’état-major des FFI d’Ile de France, en haut du document le fait sursauter. Il en fait part à Leclerc (assez vertement paraît-il). 

Il se lève et aperçoit son fils Philippe de Gaulle, enseigne de vaisseau du Régiment blindé de fusiliers marins. Les deux hommes s’embrassent. 

De gauche à droite : X, le général de Gaulle, le général Leclerc, le général Juin, le colonel Rol-Tanguy ; devant et de dos le général Chaban.

Encore quelques poignées de main et de Gaulle s’en va. Il sera resté à peine vingt minutes à la gare. A 18h30 c’est Leclerc qui lève le camp pour installer son PC aux Invalides. Von Choltitz quittera la gare sous bonne escorte à 20h00 tandis que ses officiers d’état-major attendront 22h00 pour être conduits dans le local de la Croix-Rouge où ils passeront la nuit avant d’être évacués.

Le lendemain il ne restera sur la plate-forme qu’une pancarte pour témoigner de l’événement historique qui vient de s’y dérouler : « Caravane porte son PC Caserne de Latour-Maubourg téléphone INV 71-93. Officiers de liaison s’y porteront ». (Caravane étant le nom sous lequel était désigné l’état-major du général Leclerc).

Mais le 25 août 1945 une première cérémonie aura lieu dans la gare et une plaque commémorative y sera inaugurée. 

La gare Montparnasse sera détruite dans les années 1960 et reconstruite quelques centaines de mètres en retrait du boulevard du Montparnasse.

Une nouvelle plaque sera apposée sur la façade du grand magasin qui a pris sa place.

D'après le témoignage de M. Cornet, chef de gare adjoint (Comité d'histoire de la 2ème Guerre mondiale).