Vivent les vacances !

Début juillet 1944 les Alliés qui piétinent en Normandie lancent de nombreux bombardements sur la région parisienne afin de désorganiser la montée au front de troupes allemandes fraiches. Le Conseil municipal encourage ceux qui le peuvent à envoyer leurs enfants en province. Des trains spéciaux sont affrétés dans les gares parisiennes.

gare d'Austerlitz

Mais les vacances d’été approchent. Prévues du 15 juillet au 30 septembre, le Ministère de l’Education nationale les avance au soir du 12 juillet pour l’enseignement primaire. Le Commissariat général à la famille décide d’organiser des « centres scolaires de vacances citadines » pour que les enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes dans les grandes villes. Abel Bonnard, le ministre de l’Education, mobilise les membres du corps enseignant qui, en ces circonstances exceptionnelles, se doivent de rester au service de la Nation. Leurs congés sont suspendus. Des garderies seront ouvertes où l’on reverra bien sûr le programme de l’année écoulée mais surtout où l’on donnera sous forme de jeux intelligemment conduits afin de préserver l’esprit des vacances des leçons de dessin, d’activité manuelle, de chant, d’enseignement ménager et des exercices physiques (sic). Ces garderies-écoles seront gratuites pour les enseignements primaire et technique. Les cantines existantes sont maintenues, de nouvelles seront ouvertes en fonction des ressources du ravitaillement.

 

 

 

 

Pour beaucoup de parents en proie aux difficultés du ravitaillement la cantine est une véritable bénédiction. Et de plus leurs enfants ont droit à des séances de lecture au Jardin du Luxembourg ou à des activités sportives au centre Guynemer.

19 Août 1944, l’insurrection éclate dans les rues de Paris mais la ville n’est pas véritablement en état de guerre. Si des FFI attaquent une voiture allemande sur les Grands-Boulevards, deux rues plus loin les ménagères font patiemment la queue devant la boulangerie du quartier. Les artisans continuent de faire tourner leurs ateliers. Les chefs de bureau autorisent leurs employés vivant en lointaine banlieue à ne pas venir travailler faute de moyens de transport. Les Parisiens peuvent se déplacer à pied ou à vélo. Les combats se déroulent principalement sur les grands axes et les grandes places. Les écoles plutôt situées dans les petites rues sont donc relativement abritées. Elles pourront assurer garderies et cantines pour les familles qui n’ont pu envoyer leurs enfants en province et qui ne peuvent les garder à la maison.

En septembre 1944 le nouveau Ministre de l’éducation nationale demande à chaque directeur d’école de décrire les événements vécus et le rôle tenu par son établissement pendant la Libération de Paris.

rue de l'Arbre-Sec

Dans le 1er arrondissement l’école de jeunes filles de la rue de l’Arbre-Sec sert de poste de secours de la Croix-Rouge française. L’inspecteur de police Célestin Deloge, abattu sur le quai de la Mégisserie, a le triste privilège d’inaugurer la morgue improvisée. L’école de garçons de la rue d’Argenteuil, réquisitionnée par la Kommandantur le 20 juillet accueille les troupes allemandes de passage. Le 19 août vers 19h00 les soldats l’évacuent après que le chef de convoi a donné des instructions précises sur les précautions à prendre vis-à-vis des « terroristes ». Vers 21h00 deux soldats et un sous-officier reviennent récupérer du matériel et deux sacs. Les murs de l’école de la rue Cambon sont écornés par des rafales de mitraillette le 24 août. Une patrouille allemande a tiré pour faire éteindre les lumières de l’hôtel Castille.

immeubles incendiés rue de la Lune

Dans le 2ème arrondissement l’école de la rue Beauregard échappe de peu à l’incendie quand le 17 août les Allemands jettent des grenades aux abords de la Porte Saint-Denis. Des balles de revolver seront retrouvées dans les salles de classe. Le groupe scolaire Dussoubs fonctionne sans interruption. Les enfants confiés par les familles sont gardés malgré l’ordre de grève, souvent par les directrices et les directeurs pour soulager le personnel de service. Un maître habitant Charenton couche à l’école pour assurer son service du lendemain.

place de la République la foule se met à l'abri des balles perdues

Dans le 3ème arrondissement le 19 août six jeunes gens avec brassard tricolore circulent devant l’école de la rue Béranger en criant « Pour la France libre, hip, hip, hourrah ! » La mairie fait prévenir que le couvre-feu est fixé à 14h30, les enfants sont renvoyés chez eux. A 14h30 exactement un soldat allemand arrive en courant de la place de la République, se poste rue Béranger et tire plusieurs coups de feu. Les promeneurs s’égaient en courant. Le 24 août, la caserne de la République devant être attaquée, les enfants sont conduits dans les caves.

Dans le 4ème arrondissement le directeur du collège Sophie-Germain libère les agents dont l’un rejoint aussitôt les défenseurs de l’Hôtel de Ville ainsi que les employées qui habitent loin. Plusieurs expéditions des FFI seront nécessaires pour venir à bout des tireurs des toits qui arrosent la cour et le terrain de sport.

fonds Rudaux Musée de la Résistance en ligne

Dans le 5ème arrondissement le collège Lavoisier, rue Denfert-Rochereau, assiste en direct le 25 août à l’attaque de l’Ecole des mines sur le boulevard Saint-Michel. Là encore des tireurs des toits sévissent  rue de l’Abbé-de-l’Epée dans le dos des assaillants. Plusieurs seront abattus et l’un d’entre eux fait prisonnier et lynché.

c'est ici que s'est distingué le soldat des FFI Georges Duckson

Dans le 8ème arrondissement le collège Chaptal, rue des Batignolles, assiste aux premières loges aux combats qui opposent durant toute la semaine FFI et soldats allemands retranchés dans le garage de l’Europe, un important de dépôt de ravitaillement. A partir du 23 août les FFI qui se tiennent dans l’école annexe effectuent des sorties jusqu’à la place de Clichy. Un camion est stoppé boulevard des Batignolles. Les Allemands ont trois tués et cinq ou six blessés qui sont soignés dans le vestibule de l’école. Le directeur constatera en septembre d’importants dégâts sur la façade des Batignolles dus à des obus de char dont certains ont dévasté les salles de classe et même son appartement de fonction. 

barricade de la rue des Martyrs

Dans le 9ème arrondissement le directeur du collège Edgard-Quinet, rue des Martyrs, écrit que l’établissement n’a pas été touché par la bataille de Paris. Seules deux balles ennemies ont atteint la porte d’entrée principale.

Dans le 10ème arrondissement le collège rue de Château-Landon n’a pas, lui non plus, souffert des combats de la libération de Paris bien que situé tout près des fusillades de la gare du Nord et de la rue Louis-Blanc.

Dans le 11ème arrondissement des FFI hissent un drapeau tricolore sur l’école de filles de la rue Keller qui doit servir de garderie. Les enfants hurlent de joie, beaucoup pleurent, des fillettes juives arrachent leur étoile jaune. Une Marseillaise spontanée jaillit de l’école et porte au dehors la nouvelle, la grande nouvelle. Il n’est plus question de discipline ; maîtresses et élèves communient dans une profonde émotion. Lundi 21 et mardi 22 août la vie continue. Des camions de ravitaillement gardés par les FFI apportent aux boulangers de la farine et du bois. En longues files, les ménagères attendent patiemment devant les boulangeries l’heure de la fournée. Partout, dans toutes les maisons, on prépare les drapeaux pour accueillir l’armée du général Leclerc et les Alliés que l’on attend fébrilement. La fusillade crépite. Les fillettes de la garderie préparent des fleurs, des panneaux, pour pavoiser les balcons du groupe scolaire. Les « Cigognes » font des panneaux de carton aux trois couleurs à grands coups de  pinceaux. Les « Colombes de la paix » découpent du papier. Les « Mouettes », les « Hirondelles » et même les tout petits « Moineaux de Paris » attachent des fleurs sur des ficelles. Et les petites filles traversent les rues où circulent encore des Allemands qui ne savent pas à quel travail clandestin elles viennent de se livrer. Mercredi 23 août des enfants aidées de leur maîtresse préparent une salle d’opération dans la classe d’enseignement ménager. Dans une école maternelle des FFI s’installent. Des femmes de France, parmi elles une institutrice, leur préparent les repas. Le soir à 23h00, les Allemands, croyant qu’il y a des FFI dans le groupe scolaire de l’avenue de la République, tirent dans les fenêtres de la façade des salves de mitrailleuses.

Dans le 12ème arrondissement le samedi 19 août des haut-parleurs donnent l’ordre de ne plus sortir à partir de 14h00. Les enfants des garderies sont rendus à leurs parents qui viennent les chercher ou reconduits à la maison par le personnel. L’école maternelle Élisa-Lemonnier est occupée du 17 au 19 août par les services de la Croix-Rouge et du 19 août au 2 septembre par la Police et les FFI. Rue de Wattignies une section de la Croix-Rouge s’installe dans le couloir de l’école. Aucun blessé n’y a été amené. Rue de Bercy quelques bombes tombent aux environs du groupe scolaire pendant le bombardement allemand du 26 août. Les dégâts sont assez importants.

Dans le 13ème arrondissement cinq écoles sur treize accueillent les enfants pour des garderies. Le lundi 21 août à 9h00 la directrice de l’école rue Fagon accueille sur le pas de la porte les enfants qui se présentent, souvent accompagnées par les parents. Elle conseille à ceux-ci de garder leurs enfants à la maison pendant les jours sombres, donnant la possibilité aux élèves de se présenter rue Jenner à l’heure de la cantine si les parents le souhaitent. Le mardi 22 août au matin le garage de la police, boulevard de l’Hôpital, est attaqué par les Allemands ; la directrice fait reconduire immédiatement les enfants chez leurs parents. Seuls restent à l’école les enfants dont les parents travaillent. Il est décidé que la garderie sera transférée le lendemain à l’école place Jeanne-d’Arc. Mais le mercredi 23 août la directrice de l’école place Jeanne-d’Arc reçoit des munitions, des explosifs dont vingt caisses de cheddite, destinés aux FFI qui viennent de prendre possession de l’école. Elle réinstalle la garderie rue Jenner. Une fusillade éclate sur les toits d’un immeuble voisin de l’école de la rue Vandrezanne le 25 août au matin. Les enfants effrayés sont conduits à la cave. 

l'arrivée de la 2ème DB

Dans le 14ème arrondissement le personnel de l’école de la rue d’Alésia assiste le 19 août au déménagement des bouteilles de vin et de champagne du restaurant Pignard qui servait soldats allemands et ouvriers de l’Organisation Todt. Des caisses sont embarquées dans des camions, d’autres livrées à la brasserie d’en face. Le 24 août de 20h00 à 21h00 la place de l'Église est noire de monde, on attend la Division Leclerc. Toutes les fenêtres sont pavoisées de drapeaux. A 22h00 une camionnette allemande venant de la rue d'Alésia s'arrête devant la barricade de l'école. Rafales de mitrailleuses, grenades. Les FFI ripostent. À 22h20 des voitures sanitaires viennent emporter six Allemands tués ou blessés. 25 août 8h00, une foule énorme assiste au défilé de la Division Leclerc. C'est du délire. Des femmes s'accrochent aux soldats pour les forcer à descendre et à les embrasser. À 9h00 grande bagarre ! On tire sur la foule place de l'Église. Nombreux blessés. À 11h00 toujours fusillades des fenêtres. On arrête une vieille femme de 75 ans qui tirait sur la foule. Toute la journée c'est un défilé ininterrompu de l'Armée Leclerc. Que de vivats ! Les gens sont fous de joie.

Dans le 15ème arrondissement l’école de garçons de la rue Blomet est réquisitionnée le 23 août comme cantonnement et réfectoire pour les groupes de résistance du mouvement Libération. Du 23 au 30 août de nombreux coups de feu sont tirés sur l'école ou de l'école. Des prisonniers civils, collaborateurs, ex-miliciens, trafiquants du marché noir, sont incarcérés dans les classes du 2ème étage. Du 25 au 29 août l'école de garçons de la rue Dupleix est réquisitionnée par la municipalité pour servir de dépôt mortuaire. La toilette des morts est faite dans le réfectoire des élèves; la salle des maîtres a été transformée en salle d'attente pour les familles et le préau en chapelle ardente. Trente-six victimes y ont reposé : un lieutenant américain, quatre soldats de la 2ème Division blindée, six soldats français appartenant aux FFI, vingt civils hommes, trois civils femmes et deux soldats allemands. Au début septembre tous les locaux occupés sont désinfectés. Un incident fâcheux est survenu à l'école des filles de la rue Corbon. Le 21 août quatre individus, portant le brassard FFI, se sont présentés à l'école et ont sommé la directrice de leur remettre quatre machines à écrire, déclarant qu'ils n'avaient pas à lui fournir de bon de réquisition et la menaçant de leurs armes. La directrice a dû remettre les quatre machines; elle s'est rendue ensuite à la mairie qui l'a renvoyée à la Commission des recherches des FFI installée rue Buffon, devant laquelle elle a déposé une plainte contre inconnus. Il est probable qu'il s'agit d'une affaire de pillage et que les machines à écrire ont été purement et simplement volées.

Dans le 16ème arrondissement l'Ecole normale d'Auteuil n'a pas été mêlée directement ou indirectement à la bataille de la libération. L'occupation partielle des locaux qui durait depuis le 8 juillet 1940 est devenue particulièrement lourde à partir du début juin 1944 par suite de l'installation d'un parc d'armée. De nouvelles salles ont été réquisitionnées, le parc, les pelouses, le gymnase et les cours ont été encombrés de voitures d'état-major, de camions, d'autos blindées, de motocyclettes et de tout un matériel complémentaire. L'évacuation par les Allemands commencée le 15 août s'est achevée le 19 août. Il restait encore des autos en cours de réparation ou hors d'usage, trois remorques de camping, des pneus de toutes tailles, des caisses d'objets divers. Un sous-officier a déclaré qu'une équipe viendrait le 20 pour incendier tout ce matériel mais personne n'est venu. Le 22 août des officiers FFI du groupe Lyautey s’installent à Jean-Baptiste Say et demandent cent couverts et des objets de table pour leurs hommes; ce matériel a été prêté et, jusqu'à présent, n'a pu être que partiellement récupéré.

le FFI Robert Desmonet, 32 ans, a été tué à cette barricade le 20 août 1944

Dans le 17ème arrondissement l’Ecole normale d’institutrices de la Seine, à proximité de la Mairie et du garage Boursault, est au cœur des combats des Batignolles. Dès le 19 août sa façade sur la rue Boursault reçoit balles et obus. Le 20 on y dresse une barricade. Les FFI tirent du porche d'entrée et utilisent le passage à travers les cours pour gagner le boulevard ou la rue de Puteaux. Le lundi 21, vers 10h30, un tank défonce la porte cochère de la rue Boursault. Un peu plus tard deux Allemands, s'enfuyant d'une voiture attaquée, s'engouffrent dans ce passage. L'école est alors envahie par un groupe de FFI. L'établissement offre un poste de choix avec ses trois issues sur trois voies, dont deux sont coupées de barricades, avec ses vastes salles communicantes, ses longs couloirs, ses nombreux escaliers. Sur la rue Boursault, à toutes les fenêtres crènelées de sacs de sable de la Défense passive, se postent des tireurs. Mme Mauchassat, professeur de Lettres, a perdu son fils dans des circonstances tragiques. Jean, soldat des Forces françaises de l’intérieur et chef de groupe d’un corps franc, a été fusillé par l’ennemi à Chatou le 25 août avec 26 de ses camarades.

Dans le 18ème arrondissement le directeur de l’école élémentaire de la rue Lepic écrit : « Pendant les journées d’agitation, tout comme les peuples heureux, notre école n’a pas eu d’histoire. Un heureux hasard l’a laissée en dehors des tourbillons de la tourmente. Tout près de nous, cependant, les barricades s’élevaient au Pont Caulaincourt, rue Burcq et rue Lepic près de la Place Blanche. Je dois avouer que nos élèves n’étaient pas les derniers à travailler à leur édification avec une ardeur que nous aimerions retrouver dans les travaux scolaires. Après Gavroche, Poulbot… » Au groupe scolaire Chapelle-Doudeauville la situation est moins idyllique. Des tireurs des toits se sont manifestés aux fenêtres. M. Dalongeville, directeur de l’école de garçons, M. Weill, instituteur, et M. Lebars, directeur de l’école de la rue de la Chapelle, sont soupçonnés à tout de rôle. Ils sont arrêtés sans ménagement par des FFI de la Compagnie Saint-Just et conduits au poste de police de la Mairie. M. Weill se souvient parfaitement d’une jeune femme FFI, jambes nues en short et aux cheveux hirsutes brandissant un revolver sur sa poitrine. Mais quelques minutes plus tard elle reconnaît dans la foule un ami, lui saute sur le dos, le décoiffe et l’embrasse. Elle en a oublié son prisonnier. Quelques FFI en  profitent pour faire main basse sur de l’argent et des papiers. Les trois enseignants auront toutes les peines du monde à prouver leur innocence, des voisines bien intentionnées jurent les avoir vus en pyjama aux fenêtres tirant sur la foule. 

Dans le 20ème arrondissement un violent combat éclate le 21 août au poste de police de la rue des Orteaux au moment de la sortie de midi. Les enfants affolés refluent vers l’école de la rue des Pyrénées où ils sont rassurés et réconfortés. L’école rue Eugène-Reisz sert de centre d’accueil pour les réfugiés, l’école de l’avenue Gambetta de morgue les 25 et 26 août. L’école de la rue des Couronnes proche du tunnel où les FFI attaquent un train allemand prend la précaution de faire descendre les enfants à la cave, puis est utilisée également comme morgue provisoire. La petite Colette Roy, 13 ans, élève de l’école du 40, rue des Pyrénées, a été tuée à sa fenêtre par une balle perdue pendant les fusillades.

Paris est libéré. Tout le monde est allé ovationner le général de Gaulle sur les Champs-Elysées. C'est le temps de la photo souvenir sur un engin blindé, ou avec un soldat de la 2ème DB. Mais la ville est pleine de soldats américains qui distribuent chocolat et friandises. Il faut en profiter. Encore quelques jours de vacances et ce sera la rentrée scolaire début octobre 1944.

A consulter :  archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale.