Qu’est-ce qu’ils m’ont mis…

La famille Michaud s’est installée 109, avenue Gambetta près de la mairie du 20ème arrondissement, au sixième étage d’un immeuble bourgeois après avoir quitté le trois-pièces en HBM (habitation à loyer modéré) de briques rouges de la rue de Ménilmontant. Alfred le père est coupeur dans une grande maison de confection de costumes pour homme. 

Fantassin pendant la Grande Guerre, il a combattu au Chemin des Dames. Marie, son épouse, est femme au foyer, comme on dit à l’époque, ce qui ne l’empêche pas de coudre à domicile sur sa machine à pédale. Leurs trois filles Christiane, Suzanne et Jeanine gâtent Paul, le petit dernier né en février 1926, qui entame des études de dessin industriel après son certificat d’études. En 1938 Christiane, l’aînée, épouse Pierre Cardaire et quitte la maison. 

1939, c’est la guerre ! Pierre est mobilisé. Christiane, enceinte, regagne le domicile paternel. Mai 1940, les Allemands envahissent la France. Comme des centaines de milliers de Parisiens elle part sur les routes de l’exode. Dans sa 5 CV Peugeot elle emmène sa belle-mère et Paul. Le trajet est épouvantable. Nuits à la belle étoile, rien à boire ni à manger sauf un peu de lait que Paul réussit miraculeusement à trouver pour sa grande sœur enceinte. La voiture terminera sa route du côté de Malesherbes, remorquée par des chevaux. Il n’y a plus qu’à rentrer à Paris.

 

Juin 1940, Pierre est fait prisonnier du côté de Metz et envoyé au stalag VI Arbeit Kommando 230 à Bonn où il sera détenu jusqu’en avril 1945.

l’entée du stalag VI G Bonn-Duisdorf

Christiane s’installe avenue Gambetta et donne naissance en décembre à la petite Danielle. La vie s’organise tant bien que mal, rythmée par les queues interminables devant des commerces où il n’y a rien à acheter, les alertes qui ponctuent les nuits de la capitale et au début desquelles il faut gagner à toute vitesse un abri dans la cave de l’immeuble ou dans le métro le plus proche. Christiane, atteinte de la tuberculose et souvent alitée, ne suit pas toujours la famille. Paul fait glisser sa nièce sur la rampe de l’escalier. La petite fille rit à gorge déployée.

 

Paul est doué en dessin ; avec son meilleur ami Robert Saïet qui habite dans l’immeuble il fabrique des maquettes de bateaux, d’avions ou de chars. Mais en 1942 la famille Saïet doit s’enfuir de Paris pour éviter les rafles. Le soir, au sixième étage, autour du poste on écoute Radio Londres. Paul voudrait agir et rejoindre la résistance. Trop jeune ! Trop dangereux ! tranche son père qui se souvient du Chemin des Dames. 

 

6 juin 1944, le débarquement puis la bataille de Normandie. Les communiqués « officiels » de la presse collaborationniste n’arrivent plus à cacher que les Alliés libèreront bientôt Paris. Paul désire s’engager dans l’armée. Son père n’est plus contre. Mais cela ne se fera pas.

19 août 1944 le drapeau français flotte sur la Préfecture de police. L’insurrection parisienne est lancée. Les résistants s’emparent des mairies d’arrondissement selon un plan établi depuis de nombreux mois. Le groupe Libération s’installe à la mairie du 20ème, place Gambetta. Dans les rues avoisinantes des FFI n’hésitent pas à tirer sur les véhicules allemands pour récupérer des armes. La riposte ne se fait pas attendre. Le lendemain 20 août des chars attaquent l’édifice qui doit être évacué en toute hâte. La fusillade fait rage dans le quartier.

dessin L'Ami du 20ème

Au 6ème étage Alfred et ses enfants Jeanine et Paul suivent attentivement les événements. Paul s’avance sur le balcon pour observer la rue. Une explosion, un sifflement ! Paul s’écroule dans les bras de sa sœur. « Qu’est-ce qu’ils m’ont mis… » Il vient d’être atteint au foie par un éclat d’obus. On le transporte immédiatement à l’hôpital Tenon, juste en face de l’immeuble, où malheureusement il décède de sa blessure dans les heures qui suivent. Ce jour-là autour de la place Gambetta ont également été victimes de la mitraillade Aimée Charbet, Alphonsine Rebière et Louis Serre. Jeanine refusera qu’une plaque commémorative soit apposée à l’entrée de l’immeuble. Paul est enterré au cimetière du Père Lachaise avec comme simple épitaphe « Paul Michaud mort pour la France le 20 août 1944 à l’âge de 18 ans. ». Jeanine s’engagera dans l’armée et servira comme sergent des FFA (Forces françaises en Allemagne) à Spire jusqu’en 1946.

 
   

Un très grand merci à Françoise Cardaire, la fille de Christiane, qui a évoqué pour nous la mémoire de son oncle Paul Michaud. Elle aimerait profiter de cette occasion pour retrouver la trace de la famille Saïet qui, croit-elle, vit en région parisienne. Robert, à son retour dans la capitale en 1945, a beaucoup soutenu les parents de son meilleur ami.