L’inconnu de Maisons-Alfort

A ma Maman… A mon Papa fusillé par les Allemands le 20 août 1944.

J'ai découvert cette tombe aux inscriptions à demi effacées au cimetière de Maisons-Alfort en 1995. Le bureau interrogé n'a malheureusement rien trouvé sur les registres. Un avis de recherche inséré dans mon site Internet ne donnera aucun résultat pendant des années. Quand début juin 2018 je reçois ce message d'Allemagne : "Vous demandez si quelqu'un connaît les deux personnes du cimetière de Maisons-Alfort. Je suis émue par ces images. Elles sont liées à une histoire familiale tragique, celle de ma mère Josiane. La femme se nomme Raymonde Jouanet, l'homme Lucien Langelot. Ce sont les parents de ma mère".

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Chartres Beyrouth

 

Lucien Langelot, né en 1913 à Charenton-le-Pont, n'a pas connu son père Paul, mort pour la France le 27 septembre 1915 devant Souhain en Champagne. Appelé au service militaire au 22ème RABN* de Chartres en 1931, il est envoyé au 39ème RAO* de Rayak au Liban en 1932 en qualité de radiotélégraphiste. 

* RABN = Régiment d'aviation de bombardement de nuit  * RAO = Régiment d'aviation d'observation

 De retour à la vie civile il prend un emploi de chauffeur-livreur et fait la connaissance de Raymonde Jouanet qu'il épouse le 22 septembre 1934 à Sainte-Geneviève-des-Bois. Une petite Ghislaine naît en décembre 1937 mais décède trois semaines plus tard. Josiane voit le jour en décembre 1939. Elle est pleine de santé, l'avenir semble prometteur même si la France vient d'entrer en guerre contre l'Allemagne.

Lucien a très vraisemblablement été mobilisé mais faute de document il n'est pas possible de reconstituer son parcours. La santé fragile de Raymonde ne supporte pas les restrictions de l'occupation. Elle meurt de tuberculose en janvier 1942. Lucien est obligé de placer Josiane chez la famille Fourman à Sainte-Geneviève-des-Bois mais vient la voir aussi souvent qu'il le peut.

Car parallèlement à ses activités professionnelles il milite au sein de la Résistance, à titre d'isolé précisera son dossier au Service historique de la Défense de Vincennes. 

6 juin 1944. Les Alliés débarquent enfin sur les côtes normandes. "La bataille suprême est engagée… voici venu le choc tant espéré… c'est la bataille de la France… " déclare le général de Gaulle à Radio-Londres. Août 1944 les troupes américaines marchent sur Paris. Lucien se rapproche des résistants de Villeneuve-Saint-Georges. Maurice Beugnot, son chef de groupe à Maisons-Alfort tente de tempérer ses ardeurs et lui demande de se réserver pour les futurs combats qui pourraient se dérouler dans la cité. Rien n'y fait. Lucien a besoin d'action.

Le 20 août 1944 il rejoint un groupe de FFI à Valenton. Un convoi de camions allemands chargés de gas-oil été signalé sur la route de Bonneuil non loin du carrefour Pompadour. Ils semblent abandonnés. Les hommes se précipitent pour décharger les fûts de carburant. Mais vers 12h30 deux voitures montées par des soldats surgissent. Leurs occupants ouvrent le feu. Les FFI s'éparpillent. Lucien Langelot est atteint de plusieurs balles dont une dans la tête. Son camarade Mahmoud El-Larbi-Ez-Zerelli court chercher une ambulance à Maisons-Alfort. Mais il est trop tard, Lucien décèdera pendant le trajet.

Josiane a cinq ans. Elle est orpheline de père et de mère.

Elle sera élevée par des tantes puis par sa grand-mère paternelle à Mennecy. Mais les familles ne s'entendent pas bien. La petite fille en souffrira beaucoup. Elle fréquente le lycée de Corbeil, obtient ses diplômes et trouve un emploi à la banque américaine Morgan, place de la Concorde à Paris. En 1960 elle décide de quitter la région parisienne et la France. Trop de mauvais souvenirs la hantent. Elle veut donner un nouveau départ à sa vie. La destination peut surprendre : Stuttgart en Allemagne. Un emploi dans une banque, une rencontre… en 1963 Josiane épouse Manfred un jeune Autrichien. Ils auront deux filles à qui ils donneront des prénoms français . Seule concession de Josiane qui ne veut pas renouer avec son passé douloureux.

Mais un jour de 1970 elle apprend un secret de famille qui lui a été soigneusement caché jusque là. Lucien Langelot, après le décès de son épouse Raymonde, a fait la connaissance d'une jeune femme prénommée Nelly (ou Nelli ?) qui habitait et travaillait à Sainte-Genviève-des-Bois. Celle-ci a donné naissance à des jumeaux, un garçon et une fille, après la mort de Lucien qui de ce fait n'a pas eu l'occasion de les reconnaître.  L'un de ces enfants est décédé lors de l'accouchement. La mère de Lucien a aidé financièrement Nelly pendant des années. Mais avant de mourir elle a brûlé tous ses papiers. De plus toutes les personnes qui auraient pu connaître Nelly sont décédées. Pourquoi ce mystère et ce silence ? Josiane l'ignore.

En 2015, enfin en paix avec ses souvenirs, Josiane se décide à enquêter sur son passé. Elle voudrait savoir ce que Nelly et son enfant sont devenus. Pour cela elle fait paraître un avis de recherche dans l'édition Essonne du journal Le Parisien et ouvre également une page sur Internet. Hélas sans résultat jusqu'à aujourd'hui.

Sandrine, la petite-fille de Lucien et Raymonde Langelot, a su trouver dans l'immensité d'Internet la plaque funéraire non identifiée de ses grands-parents. Un lecteur de ce site consacré à la Libération de Paris permettra peut-être à Josiane d'avancer dans son enquête et de retrouver une famille.