Les passagers de la traction-avant

130, boulevard Magenta près de la Gare du Nord, aujourd'hui

21 août 1944, une traction-avant immatriculée 9835 RK 4 est venue s'échouer sur le trottoir. A terre les cadavres de ses occupants. Des soldats allemands examinent les corps.


Quelques heures plus tôt, carrefour de Châteaudun :

Edmond Bouchetou, ancien dirigeant des Jeunesses communistes avant guerre, est chargé ce lundi 21 août de reprendre le siège du Parti communiste français occupé par la Milice. Il est parti du 11ème arrondissement avec un groupe de FFI, à bord de deux voitures, pour le carrefour de Châteaudun. A midi ses hommes investissent l'immeuble. Le Corps Franc Champagne, du 11ème également, arrive en renfort. Mais tous ces combattants sont pauvrement armés et ne résisteront pas à une éventuelle contre attaque. Albert Ouzoulias précise dans "Les bataillons de la jeunesse" qu'ils ne possèdent que trois mitraillettes, neuf chargeurs, neuf revolvers et mille cartouches. Un membre du groupe connaît l'existence d'un dépôt d'armes à Saint-Ouen. Bouchetou décide de s'y rendre, accompagné de Gary Brûlé du 5ème arrondissement et de Yvan Penetier El Daroff, du 11ème, tous deux étudiants.

La traction-avant remonte certainement la rue de Maubeuge et débouche boulevard Magenta à hauteur du numéro 130. La proximité de la gare du Nord explique le drame. De nombreuses patrouilles sillonnent le quartier afin de protéger ce point stratégique pour l'armée allemande en retraite. La voiture est mitraillée et vient percuter le rideau de fer d'un magasin.

Cette photo a été prise sur le vif par un habitant du 126 boulevard Magenta. A terre nous voyons les corps des FFI tirés de la voiture. Un soldat allemand se penche sur l'un d'entre eux. Pour l'achever ?

Car si Yvan Pennetier El Daroff et Gary Brûlé ont été tués sur le coup, les autres FFI du 10ème sont achevés d'une balle dans la tête. (cf  Ouzoulias)

Quand vient le tour d' Edmond Bouchetou,  grièvement blessé au ventre, surgissent plusieurs voitures chargées de FFI  descendant le boulevard en direction de la Place de la République. Les Allemands, croyant à une contre attaque se replient vers la Gare. Les secouristes se précipitent.

Sur place, aujourd'hui, on peut découvrir deux plaques faisant état de neuf personnes : cinq FFI non identifiés tués; les occupants de la voiture Yvan El Daroff, Gary Brûlé, tués, un troisième non cité grièvement blessé et enfin René Année, sapeur pompier.

au dessus de ces deux plaques, une troisième rappelant la mort du gardien de la paix Claude-Marcel Dupont, 36 ans, tué ici le 24 août 1944 à 19h30 alors qu'il tente de neutraliser des Miliciens tirant sur la foule à partir du boulevard Barbès.

Sur le site du Centre régional de documentation pédagogique de Champagne Ardenne on peut découvrir cette photo (prise par le même habitant du 126 mais quelques instants plus tard). A terre six corps. Celui, signalé par la croix, est Jean Jacques Désiront, 23 ans, originaire de Reims. Un homme  récupère une roue de la traction, un autre observe les cadavres. Deux Allemands ou les FFI qui ont fait fuir la patrouille ?

Nous avons donc dans la voiture :

-Edmond Bouchetou, grièvement blessé, évacué sur l'hôpital Bichat où il restera 12 jours entre la vie et la mort.

-Yvan Penetier El-Daroff, 21 ans, étudiant originaire de Reims

-Gary Brûlé, 21 ans, étudiant

et parmi les FFI du 10ème :

-Jean Jacques Désiront, 23 ans, originaire de Reims

-Edmond Mus, 44 ans

René Année, 22 ans, de la 2ème compagnie du Régiment de Sapeurs Pompiers de Paris, a été mortellement blessé alors que, revenant d'une patrouille avec son collègue Delièvre, il a tenté de prêter main-forte aux FFI. Il décèdera à l'hôpital du Val de Grâce.

Il reste à identifier deux FFI si l'on admet que René Année, bien que figurant déjà sur la plaque commune, a eu droit à une plaque individuelle vraisemblablement apposée par le Corps des Sapeurs pompiers de Paris.

En face, de l'autre côté du boulevard, à l'angle de la rue Saint-Vincent de Paul, on peut découvrir cette plaque. Mais elle fait état de la date du 20 août. Méfions-nous quand même des dates sur les plaques commémoratives. Dans le quartier de la Gare du Nord j'ai relevé 63  victimes entre le 17 et le 25 août. La garnison allemande, chargée de tenir la gare ouverte jusqu'à la fin, a eu la gâchette facile.

 


Je ne suis pas le seul chercheur intéressé par cet épisode. En effet cette photo fascinait les grands parents de Frédérique Loup qui aimerait bien savoir pourquoi ils n'en parlaient qu'à voix basse en présence de leur fille.


Le frère de Yvan Penetier-El Daroff a bien voulu nous communiquer des documents qu'il garde précieusement depuis soixante ans.


Yvan

Dans une lettre adressée le 11 février 1946 à Madame El Daroff, Edmond Bouchetou raconte avoir rencontré Yvan dans la soirée du 20 août 1944 à la Mairie du 11ème. Yvan était arrivé à Paris à la tête d'un groupe franc pour participer à la Libération. Une partie de son groupe fut immédiatement envoyée en renfort à la Préfecture de police, une autre à l'Hôtel de Ville tandis que la dernière fut affectée à la garde de la Mairie. Le 21 août au matin, Bouchetou patrouilla avec Yvan et ses hommes dans les rues des 10ème et 18ème arrondissements. Vers midi ils prirent possession du siège de la Milice au carrefour de Châteaudun. Craignant une attaque possible des SS, il décida de se procurer des armes supplémentaires…..


Le 18 septembre 1944 madame Anceaume, messieurs Chaudet et Chauveau, habitant 19, 20 et 22 rue Saint-Vincent de Paul témoignèrent devant le Président du Comité de Libération du 10ème arrondissement :

Nous soussignés, témoins oculaires, certifions que la traction-avant 9835 RK 4 a été mitraillée par les troupes allemandes alors que les occupants de celle-ci tentaient de passer le barrage existant au carrefour du boulevard Magenta et des rues de Maubeuge, Dunkerque et Saint-Vincent de Paul, le lundi 21 août vers 13h00. Le conducteur, ainsi que nous avons pu en juger, ayant été blessé mortellement, cette voiture s'est brisée devant la boutique de Mr Tantot (angle rue Saint-Vincent de Paul et boulevard Magenta); les Allemands ont alors continué à tirer sur les occupants et se sont acharnés sur eux. Ils ont même poussé la barbarie en les achevant sur les civières lorsque la Croix Rouge est venue les ramasser. De plus ils ont fusillé trois otages devant la voiture ainsi qu'un cycliste qui passait. Les occupants de la voiture, qui ont été identifiés, étaient Yvan Eldaroff-Penetier et Guy Brûlé; une troisième personne n'a pas été reconnue.


Maurice Nel, délégué de l'O.C.M et vice président du Comité de Libération du 10ème, indique dans une attestation datée du 24 novembre 1944, que Yvan Penetier-Eldaroff a participé aux combats de la mairie du 10ème  le 19 août . Ces combats, pour la sauvegarde de la mairie devant une violente contre-attaque allemande, coûtèrent la vie à : Jean Cazard, 18 ans et Pierre Chatenet, 17 ans, Michel (ou Georges) Dechot, 20 ans, et René Raphanel, 32 ans.


Une dernière attestation indique que Yvan appartenait au 14ème groupe de la 10ème compagnie des Milices Patriotiques du 11ème arrondissement quand il a été tué le 21 août.



le lendemain du drame les habitants du quartier viennent fleurir la traction-avant

Août 2014, un autre passager de la traction est identifié : Georges Lignais.