Les lendemains de la libération dans le nord de la Seine et Oise

31 août 1944 … le Régional du nord de l'Ile de France reparaît. Son dernier numéro était daté du 28 mars 1940. Entre temps il y avait eu l'invasion, l'armistice, l'occupation et enfin, depuis quelques jours à peine, la libération tant attendue. Le 11 avril 1941 la Feldkommandantur de Saint-Cloud avait bien demandé pourquoi le journal n'était plus composé, mais l'équipe rédactionnelle avait préféré s'abstenir plutôt que de collaborer à la diffusion de la propagande allemande. Ainsi après quatre de silence, ce "jeune" journal d'informations locales (il avait été créé en 1936) reprenait ses activités.

A la une du numéro 1, le compte rendu de l'arrivée des troupes américaines deux jours auparavant, vers 19h30, à Presles; une voiture des FFI accompagnait les premiers blindés. La ville de Beaumont est libérée dans la foulée mais les Allemands tiennent toujours Persan. Ils ne partiront, sous la pression américaine, que le jeudi 30 août vers 11h00 du matin.


à l'Isle Adam, ils sont entrés le 30 août à 17h00

Premières mesures :

Les responsables FFI de la région veulent éviter les désordres, le pillage, les exécutions sommaires. Tout contrevenant sera immédiatement puni de mort. Cela n'empêchera pas quelques actes de vengeance souvent accomplis par les R.M.S ou résistants du mois de septembre … c'est à dire de la dernière heure. Ils avaient tant de choses à faire oublier …

La radio a annoncé qu'à Chartres une vingtaine de femmes ont été tondues … Le journaliste se demande combien de femmes et de jeunes filles de Persan, Beaumont, Chambly et environs verront tomber leur chevelure pour avoir comblé de leurs charmes les Fridolins …

Puis il fait état de la découverte du corps de madame C… propriétaire du Bazar des enfants, place Gambetta. Elle a été étranglée avec une cordelette avant d'être jetée dans un étang de la forêt de Carnelle. Partout où elle se trouvait, elle ne pouvait s'empêcher de souhaiter la victoire allemande … précise-t-il.

Madame J… a été enlevée par des inconnus à bord d'une automobile. Un mari coiffeur engagé dans l'Organisation Todt et se pavanant en uniforme dans les rues de la ville, un fils dans la Milice … Ceci doit expliquer cela …

Le numéro 2, daté du 2 septembre 1944, recense les victimes des Allemands en retraite :

Victor de Giorgis, 26 ans, élève de Sciences Po, a été abattu sans raison apparente par les occupants d'un autocar allemand le samedi 19 août vers 19h15. Quelques minutes plus tard ils tuent Lucien Chollet qui revenait, en compagnie de sa femme et de sa fille, de chercher du lait dans une ferme voisine. Adalbert Baut, 35 ans, a assisté à la scène … il se cache dans le fossé mais un soldat allemand descend de l'autocar et lui tire une balle à bout portant.

Mercredi 30 août dans la soirée, un convoi traversa Champagne sur Oise. Les soldats mitraillèrent la population civile, tuant Guy Tailleur, 19 ans, son frère Gérard, 17 ans, Louis Goriot, 43 ans,  sa femme Marguerite, 39 ans, et leur fils André, 19 ans, Alexandre Tessier, 56 ans et Roger Lemaître, 38 ans.

Les corps des FFI Jean Lenoble, 26 ans, René Haumont, 24 ans et Adolphe Louis ont été retrouvés fusillés au château de Presles. Ils étaient partis en mission vers Mafliers le mercredi 30 août au matin.

Les Russes de l'Armée Vlassov (troupes auxiliaires levées dans les camps de prisonniers soviétiques et incorporées dans l'armée allemande) se sont livrées au pillage : poules, lapins, vins, linge … ils emportent tout dans leurs cantonnements. Monsieur Wermeire, adjoint au maire de Persan, a bien tenté d'intervenir auprès de l'officier, il s'est entendu répondre "C'est la guerre".

Dans le numéro 3 du 5 septembre, on peut lire que la pendule de la mairie a été retardée par erreur d'une heure lors du départ des troupes allemandes. L'heure légale d'été est en avance de deux heures par rapport au soleil. Il faut donc remettre sa montre à l'heure imposée par les Allemands pendant l'occupation.

Les "étourdis" sont encouragés à faire disparaître de leurs vitrines les portraits du Maréchal Pétain.

La ration de pain est fixée à 400 grammes pour toutes les catégories. La distribution des cartes de lait aura lieu les 4, 5 et 6 septembre.

Le 23 août un groupe de FFI, croyant l'arrivée des Américains imminente, se poste dans les carrières de Butry. Une dame D…, les ayant vus, s'empresse de signaler leur présence aux Allemands qui se rendent aussitôt sur place. L'échange de coups de feu est nourri. Michel Bringand, d'Auvers sur Oise, et un de ses camarades sont capturés et conduits à Parmain où ils sont fusillés. Les obsèques de Michel Brigand, père de deux enfants, auront lieu le 9 septembre à 16h30 au cimetière de Chambly… Les lecteurs apprendront avec satisfaction, rajoute l'éditorialiste, que madame D… a été pendue par les habitants de Butry.

Le mercredi 30 août, vers 16h30, Adrien Godefroy, étudiant à l'Ecole normale de Versailles, se rend en compagnie de son père et de ses frères et soeurs à Viarmes. Comme beaucoup d'habitants de la région ils sont impatients de voir les Américains qui y ont été signalés. Sur la route ils tombent en plein milieu d'un combat entre FFI et Allemands. Adrien Godefroy est mortellement blessé; il décèdera deux heures plus tard.

Le sujet hollandais De W…, chef de chantier qui avait vendu une partie du matériel du dépôt allemand de Nointel, a été trouvé fusillé le 31 août derrière un tas de sable près de la gare. Ses justiciers lui avaient coupé une oreille …

Mise au point : Mr Achille C…, route de Neuilly à Chambly, nous prie d'insérer le certificat qui lui a été délivré par le docteur Fortin, de Chambly.

Je soussigné, Fortin René, docteur en médecine, certifie avoir examiné ce jour, sur la demande de ses parents, mademoiselle Sylviane C…, route de Neuilly à Chambly, et n'avoir constaté aucun signe de défloration. J'ai remis ce certificat en mains propres à madame C… Georgette, mère de l'intéressée. Fait à Chambly le 4 septembre 1944.

De graves soupçons de "collaboration horizontale" devaient peser sur la jeune Sylviane C… pour que son père en arrive à faire publier un certificat de virginité dans la presse locale. Faisait-elle partie des "tondues de la libération" ?

On nous a signalé que dans une commune voisine un cultivateur, qui a réalisé des millions de bénéfices pendant ces quatre années d'occupation, figure sur la liste du Comité de Libération…

Nous croyons savoir que si de nombreux officiers et sous-officiers d'active ou de réserve se font inscrire en Gendarmerie comme il est demandé, d'autres font la sourde oreille. Il s'agit de répondre à un appel fait par la République qui a besoin de connaître les cadres de son armée dont elle peut disposer. Se dérober c'est trahir.

Nécrologie :

On apprend que le 16 août 1944, à Domont, les Allemands ont fusillé sans jugement un FFI de l'Isle Adam, André Duret, 30 ans.

André Duret, gardien de la paix au commissariat du 9ème arrondissement, est en congé de maladie chez ses beaux parents au début de l'insurrection. Il se met à la disposition des FFI locaux mais est capturé le 15 août par une troupe de soldats allemands et de miliciens français qui battent la campagne à la recherche des auteurs d'un attentat qui a coûté la vie à deux des leurs. André Duret sera fusillé le 16 août en compagnie de vingt-deux otages au lieu-dit la Clairière des Quatre Chênes à Domont.

Mme veuve Drouet et toute la famille remercient les personnes qui ont assisté aux obsèques de Gilbert Drouet tué par les Allemands.

Le mardi 13 septembre, vers midi, le jeune Michel Pinet, 13 ans, élève en vacances de l'Institution de Vaujours et fils de madame Pinet, infirmière à l'hôpital, a trouvé un détonateur. L'ayant inséré dans le goulot d'une bouteille, il frappa dessus avec un marteau. La violente explosion le blessa aux mains et au ventre. Il est décédé mercredi à 14h00 malgré deux transfusions sanguines.

Le jeudi soir 14 septembre furent retrouvés partiellement enterrés dans un trou de bombe en forêt de l'Isle Adam, les cadavres de Clément, Jean, Michel et Sostène, assassinés le 23 août par les Allemands. Ils étaient portés disparus depuis le 22 août, jour où les Allemands les arrêtèrent et les interrogèrent dans un café de la ville. Jeunes parisiens d'un milieu aisé, ils avaient pris le maquis depuis quelques mois. Trois d'entre eux étaient étudiants en médecine, le quatrième élève aux Beaux Arts. Ils sont tombés en soldats.

Il s'agit de Clément Roche, 22 ans, Michel Reberteau, 22 ans, son frère Jean Reberteau, 23 ans, et de Simon Varsi, 21 ans. Ils ont été arrêtés au cours d'une mission de récupération d'armes et fusillés au lieu-dit Les Forgets.


une carte Textile

Les chaussures de fantaisie, sabotines, pantoufles et espadrilles de fantaisie sont désormais en vente libre. Les enfants titulaires de la carte de textile E peuvent obtenir une paire de galoches, pointure inférieure à 40, contre remise du ticket-lettre LI.

Mercredi après-midi, et ce n'était pas la première fois, des jeunes gens ont pêché au moyen d'explosifs. Qu'en pensent les dirigeants de la Société de pêche qui ont fait de leur mieux pour repeupler la rivière ?

A titre historique, nous donnons ci-dessous le nom du premier Américain qui entra à Beaumont le jour de la libération : c'est le lieutenant H.G Harman, de New-York. Il gardera certainement un bon souvenir de l'accueil chaleureux que lui réserva la population.

Avis de recherches : Voiture Citroën traction-avant n° 1621 RM, au nom de Martin André, rue Clavel à Paris 19ème, volée le 30 août par les Allemands. Prière de prévenir Mme Dormoy, 4, rue de l'Hôtel-Dieu à Champagne sur Oise.

Rectificatif : Dans le n° du 12 septembre nous avions indiqué que l'adjudant de gendarmerie Grégoire avait été arrêté par les FFI, accusé entre autres, d'avoir causé la mort de deux patriotes et d'en avoir exterminé un à coups de talon. L'adjudant Grégoire nous prie de faire savoir qu'il n'en est rien. De plus, à l'époque des faits, il était en poste dans l'Oise. Il semble qu'il y a eu une erreur flagrante. Nous nous mettons à la disposition de Mr Grégoire pour la réparer publiquement.

De bonnes nouvelles : Les cafés ne sont plus astreints à la fermeture trois jours par semaine. Mais les exploitants ne pourront, toutefois et jusqu'à nouvel ordre, s'éclairer qu'à la lumière du jour.

L'arrêté préfectoral du 1er avril 1944 est abrogé. En conséquence les boulangers sont tenus de ne fermer leur établissement qu'un jour par semaine. Les consommateurs peuvent s'approvisionner en pain auprès du fournisseur de leur choix. La majoration de 1 franc par kilo du prix de vente en gros et au détail des fruits et légumes est annulée.

Le 31 octobre, enfin, on peut relever dans la rubrique "Le courrier des lecteurs" quelques mises au point publiques …

En réponse à l'article "On cherche un dénonciateur", paru le 26 courant, je comprends que Mme B… ne soit pas contente d'avoir été obligée de me rendre le pigeon qu'elle m'avait dérobé, mais je ne vois pas pourquoi elle m'accuse de l'avoir dénoncée à la Gestapo pour détention d'armes; d'autant plus que les Allemands ont perquisitionné chez moi en même temps que chez elle. Profite-t-elle que mon mari est déporté en Allemagne pour me chercher des ennuis ? Mme D…

Mr M… nous demande de dire que la conduite de sa femme ne peut être taxée d'intelligences avec l'ennemi et que seule la justice pourra trancher cette affaire. La conduite de sa fille a été regrettable, mais rien ne peut lui être reproché qui ait porté préjudice aux Français.

Il faudra du temps pour que les passions se calment. En 1945, de nombreux prisonniers de retour de captivité découvriront que leurs villes et leurs villages ont beaucoup changé …