L’entrée de la 2ème DB dans Paris (reportage photo)

Xavier Réquillart; 19 ans, dont la famille a été chassée de Roubaix par l'exode de 1940 puis de Saint-Malo devenu "zone interdite" aux non Malouins d'origine en 1943, vit avec sa famille 7, rue du Général Appert à Paris (16ème). Il a terminé sa première année d'HEC, alors boulevard Malesherbes

6 juin 1944, le débarquement. L'écoute de la radio. Le bouche à oreilles. Où sont les Alliés ? Mais la préoccupation essentielle est le ravitaillement. Il n'y a plus rien à Paris. Aussi, quand les Allemands quittent les hôtels particuliers des 4 et 6 rue du Général Appert (*), juste en face de son domicile, les gens du quartier s'y précipitent pour tenter de récupérer quelques produits. Mais il ne reste pas grand chose : cirage, dentifrice, crème à raser, du fil des aiguilles, de l'eau de Cologne, des chaussettes … Tout ce qui était intéressant (vins, cognac, chaussures et confitures) a disparu. Xavier visite tous les recoins de l'immeuble, récupère des souvenirs (casque, épaulettes, portrait de Hitler) mais aussi des choses utiles (dentifrice, cirage, pelle, pioche). Les FFI locaux sont avertis qu'il reste sur place des cartouches et une mitrailleuse démontée.

(*) Cet immeuble, propriété de la Légation d'Estonie en 1936, avait été récupéré par l'URSS après l'invasion des Pays Baltes puis réquisitionné par les Allemands qui y installèrent les services du Reichführer SS und chef der deutschen Polizei.

Le samedi 19 août il se rend aux obsèques de Pierre Rouillon, un camarade d'HEC tué avec ses camarades à la Cascade du Bois de Boulogne (lire l'épisode). L'église Saint-Marcel est bondée. Pour y aller il a emprunté les quais de Seine et a remarqué la foule amassée devant la Préfecture de police; mais curieusement les Allemands n'ont pas l'air de réagir. En revanche sur le chemin du retour, vers 11h30, ça se bat place de la Concorde et les fumées de l'incendie des dépôts de Gennevilliers sont bien visibles à l'horizon.

Xavier note sur son carnet : 20 août, ça a l'air de barder aujourd'hui… coups de canon, explosions, coups de fusil et de mitrailleuses, les monuments publics pavoisent. 21 août : fusillades au Quartier Latin, au Sénat, aux Halles et dans l'Ile de la Cité. 22 août : les premiers journaux, bataille au Panthéon. 23 août : Le Grand Palais brûle. 24 août : la CPDE (*) a fourni du courant aux Parisiens qui ont pu écouter en direct à la radio un reportage sur l'arrivée des premiers soldats français de Leclerc à l'Hôtel de Ville…

(*) Compagnie parisienne de distribution d'électricité (EDF naîtra en 1946)

25 août : "Venez tous ! Les blindés de Leclerc défilent dans la rue de la Pompe …"

Xavier part à toute allure. Il en oublie son appareil photo… Juste le temps de revenir le récupérer et il peut réaliser ce reportage sur la progression du GTL vers la place de l'Étoile (voir organigramme de la 2ème DB). Le commandant Massu est entré dans Paris par le Pont de Sèvres, 5ème compagnie du IIème RMT en tête, puis 3ème escadron du 12ème RCA suivi de la CA2, de la 7 et de la Cie hors rang. Dans leur sillage : les autres escadrons du 12ème RCA, le 2ème escadron du 1er RMSM, le 4ème escadron du RBFM, la 1ère Cie du 13ème Bataillon de Génie, une batterie des FTA, le 40ème RANA, le 2ème escadron du GER XV et les Quakers.


"La halte au Pont de Sèvres a permis aux hommes de se faire une toilette aussi soignée que possible avec les moyens du bord… et du fleuve. Il s'agit d'être à son avantage et la fougue de l'accueil paye ces efforts. Ce n'est pas tout d'être des braves… il faut montrer aussi que les Leclerc sont beaux gosses"

Général Massu : Sept ans avec Leclerc


Rue Michel-Ange, avenue Mozart, rue de la Pompe et avenue Victor-Hugo. Il s'agit de s'emparer de l'Hôtel Majestic (lire l'épisode)

Xavier se tient rue de la Pompe et "mitraille" les Leclerc … (merci de noter que ces photos sont la propriété de Mr Xavier Réquillart et qu'elles ne sont pas libres de droits)


un half-track devant l'Institut Lamartine, 129, rue de la Pompe


devant la boulangerie pâtisserie Béchu, 118, avenue Victor-Hugo


le sherman Ile de France du lieutenant Baillou commandant le 2ème peloton du 3ème escadron du 12ème RCA

le Camargue du 3ème peloton du 2ème escadron; le maréchal des logis André Jonniaux, chef de char, sera tué quelques minutes plus tard place Victor-Hugo par un sniper posté dans un immeuble de la rue Léonard de Vinci.


le Cévennes du 1er peloton du 2ème escadron;  le maréchal des logis André Jenny, chef de char, sera tué le 25 octobre 1944.


le Provence du maréchal des logis Gautier, 3ème peloton du 2ème escadron


un M7 Priest du 40ème RANA


un autre devant l'institut Lamartine


des reporters se sont glissés dans le cortège


le tank-destroyer la Tramontane du quartier-maître-chef Grelet, 2ème peloton du 4ème escadron du RBFM


la jeep la Diligente de l'enseigne de vaisseau Allongues, chef du 1er peloton


une automitrailleuse AMM20


des FFI accompagnent les "Leclerc"


un piper cub s'est "rangé" devant le garage Peugeot, 75, avenue de la Grande Armée


des civils escortent un prisonnier allemand

Xavier assistera à la prise de l'Hôtel Majestic mais son rouleau de pellicule est terminé. Il garde un souvenir extraordinaire de cette journée du 25 août 1944 :

"C'est du délire. On crie, on applaudit, on chante. Chaque fois que la colonne s'arrête, et même parfois en marche, on grimpe sur les chars. Tout le monde veut serrer les mains, embrasser, questionner. C'est vraiment affolant"

Le lendemain 26 août, Xavier se rend bien sûr à Notre Dame pour tenter de voir de Gaulle et Leclerc. Grâce à la complicité bienveillante des gardiens de la paix, il parvient à se faufiler jusqu'au portail de la cathédrale.

"De Gaulle arrive. Il est très grand. Il a beaucoup d'allure. Acclamations assourdissantes. Zut ! Je ne peux pas le photographier car les gens lèvent les bras. Je vois un endroit plus propice. Je prends une photo. Sera-t-elle bonne ?"


Xavier était posté derrière une "haie" de Soeurs venues assister au Te Deum

"A peine ai-je pris ma photographie, qu'une autre musique, plus forte, couvre tout. Ce n'est pas un coup de feu isolé, c'est un tir nourri. Le général ne bronche pas. Il achève son salut militaire, fait demi-tour et entre dans Notre Dame." (lire l'épisode) et le reportage radiophonique en plein coeur de la fusillade … (voir les documents)

Xavier a pu prendre d'autres photos sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame.

Et encore celles-là dans les rues de Paris :


la foule devant le tombeau du Soldat inconnu


les dégâts sur la façade du Ministère des Affaires étrangères


la foule a repris possession de la Place de la Concorde


Xavier Réquillart attendra ses 19 ans, le 17 septembre 1944, pour chercher à s'engager. Il le fera huit jours plus tard auprès du Bataillon Hémon, un groupe des Equipes nationales qui avait défendu l'Hôtel de Ville pendant la Libération de Paris. Le 15 novembre cette unité rejoindra le 1er Régiment de Chasseurs parachutistes (1er RCP de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny).

De ce temps passé au 1er RCP Xavier fait un récit à lire sur ce site Internet consacré au Camp d'Idron, le site des parachutistes. En voici quelques extraits.

 

Mardi 3 janvier 1945

Chère maman,

J'ai eu du temps pour écrire, par extraordinaire; en effet je suis enfermé dans un gourbi, dans un petit bois à flanc de montagne, avec trois camarades et une mitrailleuse. Il s'agit d'un trou de 1m50 x 1m50 x 0m75 recouvert de planches et de neige avec un créneau tourné vers l'ennemi, une certaine cote 883. On est serré, on ne peut sortir mais on est tranquille pour le moment et on n'a pas froid. Maintenant que la neige s'est décidée à tomber le temps devient moins désagréable. Nous sommes ici depuis hier soir et pas pour très longtemps semble-t-il, il paraît d'ailleurs qu'on a failli descendre au repos définitivement (1).

Je vais maintenant reprendre les évènements dans l'ordre. Mon "pneumatique" vous disait qu'on allait reprendre l'instruction; or le jour où elle devait commencer nous avons été mis en état d'alerte (j'ai pu rechercher le linge que j'avais mis à laver, j'ai achevé de le faire sécher au cantonnement). Nous ne sommes partis que le surlendemain en GMC (les gros camions à dix roues); nous avons en particulier traversé Gérardmer qui est dans un état lamentable. Arrivée le soir dans un petit village alsacien (2) d'où nous montons à une certaine cote 883. A ce moment là il n'y avait pas encore de neige. Montée par des chemins arides, heureusement il y avait des mulets pour monter les mitrailleuses, chargeurs, etc. Arrivée dans la nuit sur la crête; la neige se met à tomber et n'arrête pas. Tous les trous n'étant pas aménagés et les guetteurs se relevant souvent, il était impossible de dormir, surtout à cause du froid de canard. Alertes sur alertes; les mitrailleuses crachent, les mortiers allemands s'en donnent à coeur joie et parfois les canons. Notre groupe a eu de la chance : on a retrouvé deux obus non éclatés à quelques centimètres de nos trous. Je n'ai reçu que de la terre et des pierres. La journée du lendemain a continué sur le même modèle. En montagne, dans les bois, on ne voit pas loin. Des éclaireurs allemands vraiment culottés s'approchent à 50 mètres au plus. J'en ai observé un à la jumelle pendant plus d'une heure; il devait poser des mines. Je lui ai tiré dessus mais des résultats étaient impossibles dans les conditions où l'on se trouvait. On a essayé de faire chauffer quelque chose mais les mortiers ont interrompu le travail. Heureusement qu'on entend les coups arriver grâce à un sifflement précurseur; ce n'est pas comme pour le 88 dont nous recevons quelques échantillons pour le moment. On n'aurait pas pu tenir le coup très longtemps dans les conditions où l'on était. Heureusement ce secteur est relevé très souvent et nous sommes redescendus le soir. Il y a eu des morts et des blessés pendant la relève à cause du barrage de mortiers qui s'est déchaîné. Les Américains qui nous relevaient ont eu plus de morts que nous. La nuit du Nouvel An s'est passée dans une grange alsacienne (3), chez des gens charmants qui nous préparaient eau chaude et grogs… Le 1er janvier dans la soirée nous avons bu le champagne que nous avions touché, au cours d'une petite fête. Nous avons encore reçu un colis du combattant : chaussettes de laine, écharpe, tabac. Tout cela fait d'ailleurs double emploi; enfin, ça permet de jeter les chaussettes abîmées. Il y a quelque chose de changé dans l'Armée de l'air. J'ai ramené de là-haut un super imperméable américain. Quand j'en toucherai un, celui-là sera pour moi. Le lendemain nous remontions où nous sommes maintenant (4). Je pense que nous n'y resterons pas très longtemps bien que ce soit très calme comme secteur. Après, repos et parachutage en attendant la mission parachutée au printemps ? Les anciens vont commencer à partir en permission. Notre tour viendra dans un mois ou deux.

J'enverrai cette lettre probablement une fois redescendu. J'espère que toute la famille a passé de bonnes vacances de Noël.

Bons baisers

Xavier

(1) C'est l'offensive allemande dans les Ardennes qui a tout remis en question

(2) Hachimette, près de Kasersberg

(3) Lapoutroie en bas du col du Bonhomme

(4) En face du Noirmont

Jebsheim 29 janvier 1945 : un des "sherman" du 6ème Chasseurs d'Afrique de la 5ème DB qui soutint l'assaut de la 9ème Cie du 1er RCP et des Américains du "Blood and fire" contre les dernières maisons du village.


Vendredi 5 janvier

Je suis toujours à la même place, dans le même trou, j'ai mal au derrière. On commence à bien avoir les informations car les journaux parviennent, bien qu'en retard. Il y a deux journaux pour les combattants : "Bulletin des Armées de la République" et surtout "Patrie" (épatant ! je tâcherai d'en rapporter). Il y a de plus le "Bulletin d'information de la 1ère Armée française". J'ai eu de la chance aujourd'hui : quatre lettres de Solange me sont arrivées, du 21 au 29 décembre. Je la remercie beaucoup pour ses articles et ses informations, c'est épatant. Je vais peut-être te décevoir, mais ici nous ne sommes plus avec Leclerc. D'ailleurs tout le monde est sous de Lattre, puisque Leclerc dépend de lui. Tout cela c'est la 1ère Armée française (1).

Dimanche 7 janvier

Nous avons été relevés hier soir par les Américains. Descente pour dormir dans une grange : enfin une bonne nuit ! Le lendemain départ pour le village où nous avions passé le Nouvel An. Évidemment il y avait toujours les mulets pour porter les mitrailleuses etc… Là on retrouve les sacs "A", on arrange ses affaires et on attend de repartir. Chance inespérée, je reçois encore des lettres de toi, Janine et Solange (2). Ce sont celles de début janvier, ça a été vite ! Elles m'ont fait grand plaisir; remercie bien Solange et Janine. Les nouvelles m'intéressent énormément. L'après-midi, départ en camions de l'autre côté des Vosges. Encore une bonne nuit passée.

Mardi 9 janvier

Hier, nouveau départ; traversée de deux cols pour revenir dans la plaine d'Alsace (à l'arrière). Là il fait délicieux; le peu de neige qu'il y a est en train de fondre. On est logé dans une grande salle des fêtes où il y a le chauffage central ! C'est d'ici que je continue à écrire. J'espère pouvoir envoyer cette lettre aujourd'hui. Je continuerai mon journal dans une autre. J'ai pu me laver aujourd'hui ! Il y a aussi un piano dans la salle. Il y a deux mois que je n'y ai pas touché. Pourrais-tu offrir quelque chose à Solange et à Janine de ma part : je vais toucher double solde pour le temps passé en ligne. Souhaite aussi la bonne année aux tantes, oncles, cousins, spécialement tante Marie, tante Jeanne, tante Thérèse, Jacqueline. Je pense bien aussi à Anna (3).

Je t'embrasse bien fort

Xavier

(1) On ignorait la bisbille de Lattre/Leclerc et le refus de ce dernier

(2)  Mes soeurs

(3) Employée de maison qui nous a suivis depuis toujours


Dimanche 14 janvier

Ma chère Solange (1)

J'ai reçu une avalanche de lettres ces derniers temps, comme je le disais dans ma lettre du 9. Il y a deux jours encore, j'ai reçu une lettre de Jacqueline (2). Je vous remercie tous énormément. Je te demanderai de garder cette lettre, ainsi que la précédente adressée à maman, car elles me serviront à reconstituer mon journal. N'ayant pas d'agenda 1945, je n'ai pris aucune note. Je continue donc mon histoire :

Mardi 9, j'écris à maman. On passe la journée assez agréablement. Préparatifs de départ, déjà. Départ de nuit, arrivée dans un petit village; quelques kilomètres à pied et l'on revient au point de départ ! Quelques heures de sommeil.

Mercredi 10 à 3h00 du matin, re-départ. On arrive dans un patelin (3) pour passer le reste de la nuit dans un café sur, ou sous, les tables. Le matin on nous prévient qu'il y aura une attaque. On attend toute la journée et on ne part que vers 15h00. Il s'agissait de nettoyer un bois où les Allemands s'étaient infiltrés. Nous sommes partis, une compagnie seulement, avec quelques chars et cinq ou six types assis sur chaque char… Ça a pété le feu ! On a fait soixante quatorze prisonniers et tué au moins le double. Un commandant boche a été pris et a révélé qu'il y avait un bataillon dans le bois. Il voulait se suicider quand il a appris qu'il avait été enfoncé par une seule compagnie (il a dit que c'étaient des troupes "spéciales"). Les chars qui nous appuyaient appartenaient à la 1ère DFL, les premières troupes de de Gaulle. Il y a eu quelques chars démolis. Mon groupe, dix types, n'a pas eu de chance : une partie était sur un char qui a explosé et l'on s'est retrouvé à six (trois tués et un blessé grave). C'est de la malchance car on risquait moins que ceux qui étaient en plein bois et qui n'ont pas eu plus de morts. Enfin, pour une compagnie, c'était très beau. On a passé le reste de la nuit en position pour attendre une relève; là on a gelé. On est rentré le lendemain dans la nuit, en accompagnant les prisonniers.

Jeudi 11, rien à signaler; on se repose. On se partage les prises de guerre.

Vendredi 12, bombardements. Toujours en état d'alerte. Le soir on part pour un village situé à quelques kilomètres en arrière.

Samedi 13, on s'installe dans les nouveaux campements. Enterrement des victimes du 10.

Dimanche 14, je t'écris. Il paraît qu'on va être de garde à l'entrée du village et qu'on va construire un barrage anti-char. Il paraît aussi que Colmar a été pris il y a quelques jours (4) par la Légion et que le drapeau noir y flotte (ils ont mangé des rats), que les Russes ont attaqué, que les Allemands sont encerclés en Belgique ?

Je ne peux répondre tout de suite à Jacqueline; si vous écrivez, dites-lui bien que j'ai bien reçu sa lettre, que je l'en remercie, mais que mon SP (5) est 71209 et non 202. Voilà ce que je voulais vous dire… Je t'embrasse bien fort et te remercie encore pour ton hebdomadaire "Réqui-Paris".

Chasseur Xavier Réquillart SP 71209

(1) Ma soeur aînée

(2) Ma belle-soeur

(3) Benfeld

(4) Un bobard… en fait ce sera seulement le 2 février

(5) Secteur postal


Colmar, le dimanche 11 février

Chère maman,

Voici enfin un extrait des notes que j'ai prises sur mon agenda; je les ai rédigées de mémoire en arrivant ici. Aujourd'hui je n'ai rien à faire, il ne fait pas beau et il n'y a rien d'intéressant dans la ville; même en semaine il n'y a presque rien d'ouvert faute d'électricité; à la caserne on fabrique son électricité, l'essence ne manquant pas. Hier le régiment montait la garde d'honneur pour le général de Gaulle. Après avoir défilé dans la ville au son de la musique de la Légion nous nous étions rangés à l'entrée de la Préfecture. J'ai pu prendre quelques photos avec mon nouvel appareil; j'ai hâte de finir mon rouleau pour voir s'il répond à mes espérances. En principe ça doit aller mieux; je l'ai eu d'un type qui l'avait pris sur un Boche à Jebsheim…

La maison où les survivants du 1er peloton et le 3ème peloton de la 9ème compagnie résistèrent toute la nuit du 28 au 29 janvier 1945 à Jebsheim

Mardi 23, départ de W. (1), le patelin où nous sommes restés si longtemps, en GMC l'après-midi. Arrivée à B. (2) à la nuit. Nuit convenable. On nous annonce que la grande offensive d'Alsace est lancée et que nous sommes là pour faire de "l'exploitation".

Jeudi 25, on a attendu toute la journée d'hier; il neige toujours et on passe le temps en grandes bagarres de boules de neige ! Encore une nuit potable. On s'équipe tôt le matin et on arrive au petit jour à G. (3). On commence à s'installer, à se promener. Mais départ le soir, en camion d'abord; puis au moins six kilomètres à pied (avec sac, deux caissettes de mitrailleuse = 16 kg, fusil M1 et cartouches) à travers des plaines inondées. Heureusement gelées et enneigées. Quelques arrêts dans des trous d'obus. Le plus beau paysage de guerre que j'aie vu ! On arrive près d'un bois qu'il faut nettoyer. Cela fait, on se met en position mais l'ennui est qu'on ne sait pas trop où sont les Fritz.

Vendredi 26, on est resté à veiller toute la nuit, la neige tombant toujours. Dans la journée on change de place, toujours dans le bois. On creuse des trous car le bombardement ne s'arrête pas. Gardes difficiles et alerte presque toute la nuit. Nos mitrailleuses usent des munitions, on aura moins à porter. Les mortiers et l'artillerie s'y mettent aussi. Il y a des débris de patrouille allemande qui se sont égarés chez nous… on est presque aussi embêtés qu'eux !

Samedi 27, toujours la neige. Heureusement on a pu se faire un toit avec les toiles de tente. On se met toujours deux par trou; c'est plus vite creusé et on a moins froid. Bombardements. Le 1er peloton est foutu en l'air; on est tellement emmêlés que les Américains ont tapé dessus autant que les Allemands. C'est là que le sergent Lemasson a été grièvement blessé (mort depuis). Au 2ème peloton un seul blessé et un malade évacués. Encore une sale nuit qui se prépare. Mais relève par la Légion. Quatre kilomètres à pied vers J. (4) qui a été pris dans l'après-midi. On y entre par nuit claire. Quelle accumulation de matériel déjà. Heureusement que les Allemands n'ont pas d'aviation ! On se cache dans une écurie où l'on a entassé du foin. Il faut tout de même monter une garde car il reste des Boches dans le village. On se repose bien tout de même.

Dimanche 28, repos dans la journée; on fait la chasse aux poules, canards, au pinard, etc… Le soir mouvement vers le bout de J. où il reste pas mal d'Allemands. Diverses haltes, approche difficile à cause des flammes; postes difficiles

Lundi 29, le jour dont je me souviendrai toute ma vie. Nous sommes dans des maisons isolées au bout de J., séparés des Allemands par l'épaisseur d'un gros mur environ. Il faut veiller attentivement autant au son qu'à la vue. Les Allemands se croient chez eux et certains ne semblent pas se douter de notre présence. En effet vers 3h00 du matin, l'un d'eux se profile à six mètres (ou moins) de moi, au bout du couloir que je surveillais. Il était l'arme à la bretelle. Devant tant de culot, ou d'inconscience, j'ai eu des doutes sur sa nationalité. C'était peut-être un Ricain. Je lui ai gueulé trois fois "Halte-là !" et l'ai laissé baragouiner environ trente secondes. Quand j'ai été sûr de son identité, j'ai tiré. L'alarme a été donnée, on commençait à se faire encercler. Peu de temps après on décrochait car il fallait aller sur d'autres positions pour attaquer le jour. Au milieu d'un joli bombardement on gagne les bases de départ. Je passe le reste de la nuit et toute la matinée à un poste de guet. Juste sur un macchabée. Je croyais qu'il était allemand, mais au jour on s'est aperçu que c'était un sergent américain. Mais tout autour il y avait pas mal de Frisés… On a vu les Américains de la 3ème DI attaquer et faire des quantités de prisonniers. Ils remontent dans l'estime des Français.

L'après-midi ce fut notre tour, le 2ème peloton de la 9ème compagnie uniquement. Le peloton déjà réduit depuis l'affaire du 10 janvier (4) est revenu bien amoché. Attaque très dure. Pour nettoyer les maisons, les coups de feu partent de tous les côtés; il faut mitrailler les fenêtres, toutes les ouvertures, lancer des grenades, mettre le feu etc… Appui des chars et ensuite des Américains, lesquels nous relaient et poursuivent le nettoyage du village. Le soir J. était entièrement à nous. Le peloton avait six tués, six blessés mais on avait environ quatre-vingt prisonniers. Nous revenions à sept (là c'est vraiment une question de chance). C'est joli comme résultat. On a trouvé des fusils, des mitraillettes, des mitrailleuses en masse… J'avais un joli petit revolver mais l'ai perdu en transportant un blessé.


"Vous avez combattu avec le sourire et le mordant d'un vieux régiment d'infanterie de ligne" (général de Montsabert)

…/…

Enfin, dure journée mais fertile en résultats à tous les points de vue. En tous cas je suis le seul qui reste du groupe (dix) tel qu'il était constitué au départ de Lons. Après cela on en avait assez et le repos était réclamé avec impatience. Nuit à peu près tranquille (une heure de garde seulement).

Mardi 30, on essaye de se reposer; lettre de maman.

Mercredi 31, départ le soir, dans la nuit, pour faire dix kilomètres à pied vers le Sud. Le régiment va attaquer un village, W. (5); quand il sera pris, Colmar sera coupé et tombera. Heureusement la 9ème compagnie, qui est réduite et en a assez, est en réserve. D'ailleurs le village tombe facilement car les Allemands se rendent. La prise de J. avait été décisive.

Jeudi 1er février, W. a été pris. On s'installe pour passer le reste de la nuit sous un bombardement assez violent. On occupe les maisons et on fait la chasse à la volaille. Le dégel est arrivé, il fait beaucoup moins froid; heureusement la terre est encore assez gelée pour les chars.

Vendredi 2, on arrange un peu la carrée. Quand ira-t-on au repos ? J'écris à la maison (la lettre ne partira que plus tard). Le bombardement se ralentit. Maintenant ce sont les Allemands qui prennent l'artillerie et les Thunderbolt (chasseurs bombardiers en piqué) sur la figure. Comme prévu Colmar a été évacué par les Allemands et on se prépare à y entrer.

Samedi 3, mise sur pied à 5h00; départ à pied pour J. De là, des Dodges nous emmènent. Entrée à Colmar vers 10h00. Là les casernes ne manquent pas et on y va. On croit avoir la paix mais à 14h00 on part nettoyer le Sud-Ouest de la ville (7). On passe la nuit dans une gare. Bombardement. Et on se retrouve sans portes et fenêtres. A part ça pas de casse pour nous.

Dimanche 4, départ le matin en half-track (demi-chenille = autochenille) pour retourner à la caserne en ville. Prise d'armes du régiment devant le colonel (8). Promenade l'après-midi; j'entre chez un photographe avec un copain et je peux avoir deux rouleaux de photos. On est invité par la famille et la soirée est agréable (vin du Rhin champagnisé et petits gâteaux meilleurs que les américains…). Installation dans la caserne. Achat du Kodak-Retina.

Lundi 5, longue lettre de Solange (9). Colis avec film, agenda, pruneaux. Colis d'HEC avec deux bouquins et petits beurres. Acheté un filtre jaune pour mon appareil. Avec les marks ce n'est pas cher et les marks ne nous manquent pas !

Mardi 6, coiffeur, douches, nettoyage

Mercredi 7, messe à la cathédrale pour les morts du régiment. Puis ballade en ville. Photos d'Alsaciennes en costume. Un foyer est ouvert.

Jeudi 8, défilé devant le général de Lattre de Tassigny. Ecrit à Janine, Jacqueline (10) et HEC. Touché la paye de décembre.

Vendredi 9, paye de janvier. Linge donné à laver contre chocolat et conserves.

Samedi 10, réception de de Gaulle (voir plus haut).

…/…

Au point de vue guerre tout va pour le mieux. Notre offensive d'Alsace a été des plus brillantes. Maintenant la 1ère Armée française va être relevée et les nouveaux appelés monteront la garde au Rhin en attendant la future offensive.

J'espère que tout va bien à Paris et que le froid est disparu.

Je t'embrasse bien fort

Xavier

(1) Je crois me souvenir que c'était Witternheim

(2) Bergheim, je pense

(3) Grussenheim

(4) Jebsheim

(5) Benfeld

(6) Windensohlen

(7) Le long du canal de l'Ill vers Sundhoffen

(8) Jacques Faure promu lieutenant-colonel, futur général et "putchiste" d'Alger

(9) Ma soeur aînée

(10) Ma belle-soeur 


La bataille de Jebsheim racontée par le général Faure dans les années 1970

Le 28 novembre 1944 je prends le commandement du 1er RCP, renforcé par les jeunes des Forces Françaises de l'Intérieur. Le 7 décembre nous partons pour l'Alsace. Nos premiers engagements au sein de la 2eme DB sont sévères. Nous prenons Witternheim, Neunkirch, Bindernheim, solidement défendues et nos pertes sont importantes. Le général de Lattre écrira « les parachutistes de Faure se trouvent bientôt engagés dans des combats d'une violence inouïe et d'autant plus meurtriers qu'ils ne peuvent disposer du soutien des chars. Ils finiront pourtant par rester maîtres de ce village de Witternheim, mais il leur en coûte des pertes terribles, 33 tués et 147 blessés sur un effectif combattant de 511 officiers et chasseurs ». Pour la seconde fois, le Régiment est arrivé à la limite de l'usure. Un court séjour entre le col du Bonhomme et le col de la Schlucht nous replonge dans les Vosges maintenant enneigées. L'entraînement d'autrefois dans le Jura permet aux patrouilles et au ravitaillement de s'effectuer à ski. Puis aux ordres de la D.F.L nous redescendons dans la plaine de Strasbourg qui n'est plus qu'à 15kms. Engagé à Benfeld, le Régiment conduit les 8 et 9 janvier 1945 de vigoureuses attaques pour dégager ou renforcer des unités encerclées dans les villages d'Herbseheim et de Rosfeld. Puis il est mis à la disposition de la 5eme DB du Général de Vernejoul en vue de la conquête de Jebsheim. 

Placé sur la bissectrice de l'angle droit formé par le canal de Colmar et le canal du Rhône au Rhin, Jebsheim est une place forte prête à s'opposer à qui voudra franchir l'une de ces deux voies d'eau. C'est dire le prix que lui attache la Wehrmacht. Le 25 janvier le 2eme Bataillon, le 2/1 RCP, reçoit pour mission de s'emparer du bois du moulin de Jebsheim, base de départ indispensable pour la conquête ultérieure du village. La neige tombe à gros flocons, les chasseurs du 1er RCP ont revêtu les grands anoraks blancs de leurs tenues d’hiver qui leur descendent jusqu'aux mollets. Le bataillon s'infiltre entre les bois de Jebsheim. La température est descendue à moins 20 degrés et les seuls abris sont les trous individuels dans la neige épaisse. Tout le monde est en tenue blanche : Américains, Allemands, et nous ! Les méprises dues à cette uniformité sont nombreuses, notamment celles de l'artillerie et de l'appui aérien.

L’artillerie allemande se déchaîne sur le bois et le moulin  de Jebsheim. Nous avons plus de 80 tués ou blessés. Dans la matinée du 26, la 10eme Compagnie perd à elle seule plus de 20 hommes en quelques minutes. Toute la journée du 26 est nécessaire au magnifique 254ème Régiment d'infanterie américain pour atteindre le village de Jebsheim et y prendre pied, appuyé par le 1er RCP et les chars de la 5eme DB. Le 27 au matin il tient la partie Nord-Ouest du village, mais il est écrasé par l'artillerie allemande. Successivement, le 1/1 RCP, le " Combat Command " numéro 6 avec les légionnaires du 3eme RMLE, et le 2/1 RCP viennent alimenter la bataille. Mais Jebsheim est la clé de défense de Colmar et l'Allemand apporte la même âpreté à le défendre que l'Allié à le prendre. La lutte est impitoyable, chaque maison est une redoute, chaque soupirail cache un panzerfaust. A peine avons-nous pris un îlot qu'un reflux de la vague nous le fait perdre. Pourtant, à la grenade, au poignard, au pistolet mitrailleur, l'avance se poursuit, lente et meurtrière. Mais cette journée du 27 n'amène rien de plus que le nettoyage de quelques pâtés de maison. L'Allemand s'accroche, la bataille se poursuit pendant la nuit du 27 au 28. Au lever du jour, les rues sont jonchées de cadavres écrasés par les chars. Les artilleries allemandes et alliées pilonnent sans arrêt les parties du village tenues par l'ennemi. On se fusille d'une maison à l'autre, tandis que les mitrailleuses interdisent les rues et les carrefours par de longues rafales qui balaient les chaussées. Les chars nous apportent une aide efficace en pratiquant dans les maisons des brèches par où s'engouffrent nos groupes d'assaut. Les panzerfaust abandonnés par les Allemands sont immédiatement utilisés par les parachutistes. Des attaques en crochet sont menées par des sections sur les lisières Est du village. Elles permettent de prendre pied dans les maisons dont les défenseurs sont fixés par les attaques frontales des chars. Petit à petit l'ennemi lâche pied. Nous le refoulons dans la partie Sud du village et nous faisons de nombreux prisonniers.

A 18 heures, le Commandement du C.C.6 peut enfin passer par radio " Nous tenons Jebsheim!". Il semble en effet que le moral de l'adversaire soit en train de flancher et qu'il mettra à profit l'obscurité pour décrocher. Hélas ! Après une nuit relativement calme les combats reprennent de plus belle le 29. Jebsheim est à ce point capital pour l'adversaire qu'il va mettre tout en oeuvre pour le récupérer. Deux régiments, le 136ème Gebirge Régiment et le 525ème Schw. Panzer Jäger Abteilung vont tenter l'aventure. Par deux fois, la première à neuf heures, la seconde à quinze heures, appuyés par une intense préparation d'artillerie, les Allemands, depuis la partie Sud du village qu'ils tiennent encore, se lancent à l'assaut. Chaque fois ils seront repoussés. Ils ne parviennent, la seconde fois, qu'à s'emparer de quelques maisons, mais au prix de pertes hors de proportion, et pas pour longtemps. Car, portés par leur succès défensif, les rangers américains et les parachutistes français, dans un dernier effort, puissamment épaulés par les chars et l'aviation, s'élancent vers les derniers retranchements allemands et conquièrent définitivement la partie Sud du village (sans oublier le 31ème Groupe de FTA). Au soir du 29 janvier 1945, Jebsheim est à nouveau français, du moins ce qu'il en reste, des ruines. Racontant cette bataille, le général de Lattre écrira " Rien ne donne une idée de ce qu'est alors ce malheureux village de Jebsheim. 500 cadavres allemands en transforment les rues en un véritable charnier. Nous mêmes y avons 300 hommes hors de combat et les Américains au moins autant. Mais nous avons fait 750 prisonniers, et le 254ème R.I.U.S plus de 300. Jebsheim est bien le symbole de la fraternité franco-américaine. Il est aussi le symbole de l'héroïsme dépensé pour enfoncer le front allemand et atteindre la ligne d'où va , maintenant partir l'exploitation décisive." 

Maintenant en effet c'est l'exploitation. Le 2 février direction Colmar. La traversée de Jebsheim est impressionnante, le soleil a fait fondre la neige et dégeler le sol. De nombreux cadavres traînent encore dans les ruines, tandis que des centaines de mines anti-chars sont alignées en bordures des rues. Grâce au sol gelé elles n'avaient pas explosé pendant la bataille et pour la première fois les parachutistes du 1er rendent grâce au ciel de l'extrême rigueur de cet hiver. Le 3 février à 11 heures, le 1er RCP entre dans Colmar. Le 3/1 RCP créé en janvier participe à la fin du nettoyage de la ville. Pour le régiment la bataille de Colmar est terminée. Un dernier coup de boutoir le 18 février 1945 lui permet d'enlever Windensolen, et de terminer en beauté sa campagne d'Alsace. Cité une nouvelle fois à l'ordre de l'Armée aérienne, le Premier Régiment de chasseurs parachutistes entrera dans l'histoire comme " une unité d’élite au moral élevé, qui sait imposer sa volonté à l'ennemi, en toutes circonstances"        

source : A.A.M.C.I. / 1er R.C.P.