Le Village-Parisien

Au 19ème siècle Champigny-sur-Marne est un lieu de villégiature très recherché par la bourgeoisie parisienne qui vient passer la belle saison sur les bords de la Marne. Puis l’ancien domaine de Coeuilly est livré aux promoteurs et l’un des lotissements reçoit le nom de Village-Parisien mais garde l’ambiance et le charme d’une petite ville de province. 

Le Village-Parisien (collection Annie Blaisse-Ehrensperger)

Renouvelant ses exploits de 1870 l’Armée allemande arrive aux portes de Paris en juin 1940. La capitale est déclarée ville ouverte, elle ne sera pas défendue. Rares sont les Campinois assez âgés pour avoir vécu l’occupation prussienne du siècle précédent, pourtant c’est en nombre qu’ils prennent la route de l’exode.

l'exode sur les routes françaises (image BPK Berlin)

Madeleine

Charles-Pierre Brocca, le militaire corse à la retraite, et son épouse Philomène Lassale, l’Auvergnate du Cantal, n’entendent pas abandonner leur maison et tardent à se décider. Quand ils se résolvent enfin à partir pour le Cantal dans la famille de Philomène, c’est trop tard il n’y a plus de train. Alors comme leurs voisins les voilà sur les routes encombrées avec leur fille Madeleine, un maigre bagage préparé à la hâte et la menace des bombardements de l’aviation ennemie. Ils n’iront pas bien loin. Du côté de Fontainebleau des soldats allemands les arrêtent à un barrage et leur intiment l’ordre de rebrousser chemin. « Schön Franzosen » se permet l’un des militaires en prenant le bras de Madeleine. « Bas les pattes ! » lui répond-elle vertement avec sa gouaille naturelle. Vraisemblablement vexé il sort son arme … mais la remet aussitôt dans son étui. En ce début de guerre l’Armée allemande a pour consigne de se montrer « correcte ». Philomène ne se remettra jamais de cette frayeur. Très choquée elle perdra la raison et sera internée à Ville-Evrard où elle décèdera quelques temps plus tard.

Pierre

De leur côté Albert Ehrensperger, monteur en bronze à la gare du Nord d’origine alsacienne, et son épouse Juliette Merlette couturière à domicile, ont abandonné leur maison de Villiers-sur-Marne sans fermer la porte d’entrée et en laissant poules et lapins. Leur fils Pierre âgé de 18 ans est du voyage ainsi que Mathilde, la sœur pratiquement aveugle de Juliette qu’il faudra installer dans la poussette destinée à transporter les quelques bagages emportés. Destination Cheverny chez des amis gardiens du château. Mais l’aventure se termine devant le pont de la Loire à Beaugency. Il est impraticable, les Allemands sont dans la ville. Il n’y a plus qu’à rentrer à Villiers où, surprise ! rien n’a été pillé. Durant tout le voyage les époux Ehrensperger ont surtout craint de croiser des Allemands qui auraient pu arrêter leur jeune fils. Ils venaient de perdre l’aîné, décédé de maladie sur la Ligne Maginot pendant la Drôle de guerre. 

La Parisienne de photographie

Et c’est l’occupation et son cortège de privations et de difficultés. Les randonnées à vélo en Seine-et-Marne pour ramener du ravitaillement car au marché on ne trouve que des rutabagas ou des topinambours. Le gardien de la propriété Ker-Brao transforme la pelouse en champ de pommes de terre. Les voisins des Brocca brûlent des lattes de bois de leur chalet pour alimenter la cheminée et réchauffer leur enfant atteint de pneumonie. Et ces bombardements alliés qui font trembler le sol ! Les gares de Vaires-sur-Marne et de Noisy-le-Sec ne sont pas si loin. Charles-Pierre Brocca a construit, au cas où, un abri dans son jardin. Une collègue de Madeleine périra avec toute sa famille en avril 1944 à Noisy.  La Kommandantur a pris ses quartiers dans une maison bourgeoise de Champigny. Juliette Merlette-Ehrensperger préfère se faire appeler Madame Albert, trouvant que le nom de son mari sonne un peu trop allemand. Madeleine Brocca, employée de la banque Mallet-Frères rue d’Anjou à Paris, rencontre Pierre  Ehrensperger, dessinateur industriel au Ministère de la Guerre,  qui a échappé au S.T.O (Service du Travail Obligatoire) en se réfugiant chez des cousins rue de Coulmiers à Nogent-sur-Marne. Ils se marient en 1943 et les deux familles se réunissent dans le pavillon des Brocca au Village-Parisien par souci d’économie de chauffage et de ravitaillement.

la Kommandantur de Champigny (collection AD Val-de-Marne)

6 juin 1944. Le débarquement tant attendu. Enfin ! Les Alliés intensifient leurs bombardements sur les arrières des troupes allemandes. La gare de triage de Vaires-sur-Marne, non loin de Chelles, subit cinq attaques nocturnes jusqu’au 27 juillet. On y voit comme en plein jour au Village-Parisien pourtant situé à 15 kilomètres. Le 17 août Simon Robert et ses FFI attaquent deux miliciens et volent leurs armes. Roger Moïse du groupe 25 (FFI de Coeuilly) subtilise une voiture allemande garée rue du Bois-L'abbé. Le 18 août le groupe sabote les charges d'explosifs destinées à faire sauter le Pont de chemine de fer. 

la gare de Vaires-sur-Marne après le bombardement (collection AD Val-de-Marne)

19 août 1944. Paris s’enflamme. L’insurrection est lancée mais les Alliés sont encore loin de la capitale. Plus de trains, de métros, de gaz ou d’électricité. Les banlieusards sont dans l’impossibilité de se déplacer autrement qu’à bicyclette avec tous les dangers que cela peut comporter car les Allemands, nerveux, sont sur leurs gardes et tirent vite souvent sans sommation. Le téléphone fonctionne, il n’a pas été coupé. Les Campinois peuvent suivre, racontés par leurs amis parisiens, les progrès de la bataille qui se déroule dans la ville. Le 20 août Roger Moïse capture deux soldats allemands. Le 21 août formation des Milices patriotiques du Centre. Le 22 Roger Moïse, encore lui, ramène deux nouveaux prisonniers d'Ormesson.

Le 22 août les FTP investissent la mairie de Champigny-sur-Marne. Le groupe 45 s'empare du chargement d'un camion ennemi à l'arrêt. Butin : nombreuses caisses de cartouches, un fusil, des grenades et deux canons antiaériens.

Le 23 août les occupants dynamitent le viaduc de Nogent-sur-Marne. 

Le 24 août les premiers éléments de la 2ème Division blindée atteignent l’Hôtel de Ville. Le 25 le général Von Choltitz signe l’acte de capitulation des troupes qui se trouvent sous son commandement. La banlieue Est devient le point de passage obligé des soldats qui ont réussi à s’échapper et des garnisons locales qui plient bagages.  Le standard de la Préfecture de police crépite. Les FFI du colonel Bourgoin, responsable du secteur, appellent à l’aide : « 2 000 Allemands au parc de Bonneuil, pièces antichars et automitrailleuses… Des troupes traversent Saint-Maur et se dirigent vers Champigny-sur-Marne… Deux chars roulent vers le carrefour de la Maltournée… Une colonne fortement armée stationne devant le champ de courses du Tremblay… » 

la barricade du Pont du chemin de fer (collection AD Val-de-Marne)

Les FFI ont pour mission d’attaquer les convois, de couper les routes. Champigny-sur-Marne se couvre de barricades hélas trop fragiles mais qui ont au moins le mérite de retarder les Allemands. Ces derniers veulent faire sauter le pont de Joinville afin d’empêcher les Alliés de les poursuivre dans leur retraite. La bataille est rude. De nombreux FFI campinois venus en renfort sont tués. 

collection AD Val-de-Marne

Au Fort de Champigny les Allemands sont sur le départ. Les premiers chars américains sont signalés. Ils dégagent le PC du colonel Bourgoin installé rue de Joinville mais repartent aussitôt après.

Le 26 août les combats se déplacent dans le haut de Champigny. Le Village-Parisien est pris sous les tirs croisés des soldats du Fort de Champigny et du Fort de Villiers. Des crève-pneus sont semés sur les routes pour empêcher les convois de s’enfuir. Le jeune Jean Bos, 23 ans, est tué alors qu’il tente de rejoindre son poste FFI. Dans le quartier de La Source, à cinq cents mètres de la maison des Brocca, des camions allemands qui tentent de gagner le Fort de Villiers sont attaqués par les FFI. Madeleine, enceinte de huit mois est terrorisée par le bruit des mitrailleuses. Pierre Ehrensperger peut observer des soldats camouflés à l’arrière des camions qui tirent sur les passants. Le FFI Paul Bélanjon, 39 ans, est tué. Victor Coupé, 44 ans, et le jeune agent de liaison Jean-Claude Delubac, 16 ans, sont abattus par une patrouille alors qu’ils portent un message au PC FFI en centre ville.

stèle à la mémoire de Jean Bos  

Dans l’après-midi quelques chars américains s’installent sur la nationale 4 mais se replient ensuite. Ce n’est que le lendemain qu’ils reviennent en force. Mais les Allemands sont partis. Les drapeaux fleurissent aux fenêtres. Champigny est libérée.

Fin septembre 1944 Madeleine donne naissance à la petite Annie, à qui nous devons cette évocation de la guerre et de la libération à Champigny-sur-Marne. Le 8 mai 1945, Pierre va chercher Madeleine à son bureau et avec quelques collègues de la banque Mallet-Frères ils se font photographier, vraisemblablement dans le square Louis XVI tout proche, avant de fêter la Victoire sur les Champs-Elysées.