Le sergent-chef Émile Bousseau

Émile Bousseau est né le 23 mai 1908 à Clermont (Oise) dans une famille de huit enfants. Son père, Élie, cirier (fabricant de cierges) dans le Maine-et-Loire est venu s’installer dans la région vers 1904 et, devenu maraîcher, y cultive et y vend des légumes avec sa femme. Le frère aîné d’Émile, Gaston, est mobilisé pendant la Grande Guerre. Il décèdera de ses blessures le 29 décembre 1916, âgé d’à peine 20 ans, à l’ambulance anglo-française Symons installée à Rimberlieu (Oise). Est-ce ce frère « poilu » décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre à titre posthume qui poussera Émile à embrasser une carrière militaire ? Ou son oncle Aimé-Émile, abbé à la Chapelle-Rousselin, qui a servi comme brancardier pendant le conflit ?


Mme Bousseau et son chien Finot en route pour le marché


l'abbé Bousseau au volant de l'ambulance

Son neveu Yves, généalogiste amateur, a pu retracer son parcours aventureux à partir de lettres retrouvées dans les archives familiales.

Engagé au 1er Régiment d’infanterie coloniale de Cherbourg en 1926, il est muté au Régiment d’infanterie coloniale du Maroc, un régiment prestigieux décoré d’une Croix de guerre à dix palmes, de la Légion d’honneur pour son action au Fort de Douaumont et de la Médaille militaire ; il stationne au Maroc depuis 1925 où il a été engagé dans la guerre du Rif. Émile Bousseau rejoint le 2ème bataillon de Rabat et sert dans les postes de Oued-Zem et de Timsiguett ; la guerre du Rif est terminée mais la région est encore instable. Atteint de paludisme, il est envoyé à l’hôpital de Casablanca en 1930 ; en 1931 il sert à Ghafsaï puis rentre en France lors du retour du régiment à Aix-en-Provence. Émile quitte l’armée au terme de engagement, s’installe à Paris, se marie et adopte les deux petites filles de son épouse ; il exerce la profession de peintre en bâtiment et la famille habite 121, rue du Faubourg du Temple dans le 10ème arrondissement.

Septembre 1939, c’est la guerre. Émile est mobilisé. Sur une lettre l’adresse suivante : Détachement de pionniers, 2ème bataillon, 5ème compagnie, 1ère section, secteur postal 46. En janvier il se trouve en Moselle, en février dans la région de Metz ; c’est la « drôle de guerre » l’armée française attend une hypothétique attaque de l’Allemagne. Le 10 mai la Wehrmacht envahit les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique ; le 12 elle pénètre en France ; le 14 une lettre d’Émile porte le cachet du dépôt d’infanterie n° 53 de Cosne-Cours-sur-Loire dans la Nièvre, le 19 il se trouve à Châteaubriant, en Loire-Atlantique. L’armée allemande bouscule tout sur son passage. Le 28 mai une division française parvient à protéger l’évacuation de 340 000 hommes, Anglais et Français, à Dunkerque. Le 10 juin le gouvernement quitte Paris. Au moins six millions de Français prennent la route de l’exode sous les attaques des Stukas de la Luftwaffe. Le 14 juin les Allemands défilent dans Paris. Le 17 Émile se trouve au dépôt d’infanterie CM 21, 23ème compagnie de passage à Vallet, toujours en Loire-Atlantique. Le 10 septembre une lettre nous apprend qu’il est hospitalisé à l’hôpital complémentaire rue Harouys à Nantes. Il s’y trouve encore au mois d’octobre, blessé au bras, mais va beaucoup mieux.

Nous retrouverons sa trace en 1944, quand, sergent-chef des FTP (Francs tireurs partisans), il milite au Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés. Le MNPGD a été créé en mars 1944 par la fusion du Comité national des prisonniers de guerre, du Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés et du Rassemblement national des prisonniers de guerre. Le futur président de la République française, François Mitterrand, en est le chef; il a recruté la plupart de ses cadres parmi ses camarades de captivité du stalag IX A.

Dès le 18 août 1944 les militants apposent sur les murs de Paris des papillons invitant les soldats allemands à déserter et à se révolter contre Hitler. Ils participent à la prise des mairies de Colombes et de Saint-Maur, de la Maison des prisonniers de Saint-Maur. Le 19 août ils attaquent des camions allemands stationnés à l'hôpital militaire Villemin, près de la gare de l'Est. Le 20 août ils combattent les Allemands boulevard de Clichy, occupent des locaux et des centres d'entraide rue Meyerbeer et Chaussée d'Antin, le Secours national rue Laffitte, le Commissariat aux travailleurs civils du boulevard Sébastopol et enfin enlèvent après 24h00 d'escarmouches l'immeuble du PPF (Parti populaire français de Jacques Doriot) rue des Pyramides.

Le colonel Patrice, responsable FFI du MNPGD, peut signer le rapport suivant : objectifs assignés atteints; destructions de centraux téléphoniques allemands, de centres de la Gestapo; 100 prisonniers; nombreuses armes récupérées; destructions de postes de combat, de véhicules, de garages; participation aux Comités de libération locaux; à Saint-Maur 500 soldats allemands ont été encerclés; Rodin et Beauchamps ont participé à la prise de la Préfecture de police; combats du Grand Palais; contacts avec la 2ème Division blindée du général Leclerc; renseignements sur l'aérodrome de Villacoublay. Le capitaine Champion et Léon Bellières se sont particulièrement distingués.

Le colonel Patrice n'est autre que Roger-Patrice Pelat, ancien camarade de captivité de François Mitterrand, futur maire de Boutigny-sur-Essonne et richissime homme d'affaires qui fera parler de lui des années plus tard.

C'est également le colonel Patrice qui signe le certificat de résistance d'Émile Bousseau. Dans ce document nous pouvons apprendre que le sergent-chef Bousseau a appartenu à son groupe des Forces françaises de l'intérieur du 10 au 19 août 1944, date à laquelle il a été tué au combat de la gare du Nord.

Le 28 juillet 1957, à la demande de Mme veuve Bousseau qui constitue un dossier auprès du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre, l'officier de police judiciaire André Lelièvre du commissariat spécial de la gare du Nord exhume quelques archives de 1944 : le corps de M. Bousseau Émile, né le 23 ou 25 août 1908 à Clermont (Oise), peintre en bâtiment demeurant 121, rue du Faubourg du Temple à Paris 10ème, a été retrouvé le 20 août 1944 dans la cour du départ de la gare du Nord et transporté le même jour par les soins de la Croix-Rouge au dépôt mortuaire provisoire 30, rue d'Albouy à Paris 10ème. D'après les témoins entendus par procès-verbal, M. Bousseau avait été exécuté le 19 août 1944 par des soldats allemands. Il avait été tué d'une balle dans la nuque.

 

La ville de Clermont a dédié une rue à la mémoire d'Émile.

Émile Bousseau a été vraisemblablement arrêté lors de l'attaque des camions allemands stationnés à l'hôpital militaire Villemin, tout proche, est amené à la gare du Nord pour y être exécuté. Ce fut le sort de nombreux FFI capturés dans le 10ème arrondissement.

Mais la plaque commémorative apposée à son domicile 121, rue du Faubourg du Temple comportait des erreurs : il ne se prénommait pas Jean, avait 36 ans et a été tué le 19 août.

Son neveu Yves a obtenu que la plaque soit corrigée à l'occasion des célébrations du 70ème anniversaire de la Libération de Paris.