Le postier du 18ème arrondissement

Juin 1940, Darmannes (Haute-Marne) : "Vous êtes encerclés sur une circonférence de 60 kilomètres. Vous ne recevrez aucun renfort. Vous devez résister jusqu'à la mort pour sauver l'honneur de la France"

Colonel Beaupuis

Le colonel Beaupuis,  à la tête du 149ème régiment d'infanterie de forteresse et du 57ème bataillon de mitrailleurs motorisés, a reçu l'ordre de tenir la région de Chaumont, Bologne, Andelot et Rimaucourt sur le flanc gauche d'une partie de la IIème armée du général Condé. En face de lui, les hommes du général Guderian. Le 14 juin Chaumont tombe avant que les troupes s'installent. L'ennemi dépasse Bologne qu'il faut évacuer. Le 16 juin Riaucourt est occupé, Rimaucourt attaqué mais Andelot résiste. Les Allemands proposent au colonel une reddition avec les honneurs de la guerre. Il refuse. Le 18 juin, après une forte préparation d'artillerie, ils attaquent de nouveau Andelot et le débordent par l'Est. Vers 17h00 c'est fini, les troupes du colonel Beaupuis sont disloquées et submergées.

Les pertes sont sévères. Plus de soixante morts rien qu'au 149ème régiment d'infanterie. François Christin, 34 ans, caporal radiotélégraphiste du 57ème bataillon de mitrailleurs motorisés s'est rendu… mais "les armes à la main".

Il est conduit au Frontstalag 122 de Chaumont d'où il peut enfin donner de ses nouvelles à sa femme et à son fils âgé de trois ans, restés à Paris 121 bis, rue de Clignancourt dans le 18ème.


Une chance pour François, dans le civil il est employé des PTT.

La captivité sera relativement brève. La convention d'armistice impose à la France de remettre en état, seule, ses moyens de communication. Pour l'administration des PTT cela concerne les relations télégraphiques, téléphoniques et la distribution du courrier. Les forces d'occupation concèdent au gouvernement de Vichy le retour de certains prisonniers indispensables à cette remise en état. Le 12 septembre 1940 le voilà libéré pour rejoindre son bureau de poste 19, rue Duc dans le 18ème. Bien sûr pour obtenir ce précieux certificat il s'est engagé à "s'abstenir de toute action hostile contre l'Allemagne et les forces armées allemandes"… et devra pointer deux fois par semaine à la Kommandantur locale.

François y découvre une atmosphère différente. En effet les "communications" représentent un intérêt majeur pour les Allemands (poursuite de la guerre contre l'Angleterre, coordination des troupes dans les territoires occupés, propagande …). Les PTT sont étroitement contrôlées par les services du Militärbefehlshaber et leurs personnels instamment "priés" d'appliquer la politique de collaboration qu'entame le gouvernement de Vichy.

La résistance va s'organiser petit à petit. A leurs postes les personnels peuvent perturber les communications allemandes, détourner le courrier, prévenir les arrestations, faire traîner en longueur les travaux de réparations, renseigner… Ils vont en profiter.

Deux mouvements naissent : Action-PTT (qui deviendra Résistance PTT) dans les centraux téléphoniques et au service des lignes de grande distance; Libération nationale-PTT dans les bureaux de postes, surtout dans la région parisienne.

Libération nationale-PTT, d'inspiration syndicale et lié au Front national du parti communiste, est structuré en régions regroupant plusieurs départements, Paris est divisé en secteurs, le bureau de poste du 18ème dépend du 2ème secteur ou secteur Nord. François Christin est désigné pour en prendre la direction après l'arrestation de son responsable, Albert Bonnet, en mai 1941. A ce poste il va pouvoir, ainsi qu'en atteste son chef de réseau Camille Trebosc, "saboter" la distribution du courrier destiné à la police française ou aux services allemands du 18ème arrondissement et notamment les dénonciations de juifs; diffuser les tracts et la presse clandestine, collecter de l'argent pour aider les clandestins et les familles des camarades emprisonnés, et aussi éviter à de nombreux jeunes gens le départ au STO.

En mars 1944 François s'engage dans le service de renseignements du Comité militaire Ile de France des FTP; il a pris la précaution d'envoyer sa femme et son fils dans un petit village de Savoie, le Betton-Bettonet. Nommé sergent-chef, il est chargé de la surveillance des forces allemandes dans l'arrondissement avec son groupe de quarante-cinq hommes. Le 6 juin les Alliés débarquent en Normandie. La libération approche.

François est mandaté pour conduire la grève insurrectionnelle qui se prépare au nom de la CGT.

L'état-major de Résistance PTT le nomme responsable du bureau Paris 18 à compter du 11 août.

Il participe également à la constitution des milices patriotiques des PTT. Le 17 août 1944 il réunit dans la salle des facteurs tout le personnel présent : la grève insurrectionnelle est déclenchée ! Seul un chef de service s'y oppose. Il passera devant la commission d'épuration plus tard. Les postiers devront signer une feuille de présence quotidiennement. Une prime de 1 000 francs longuement revendiquée est payée à chacun d'entre eux. Les locaux sont protégés. André Tollet, président du Comité parisien de libération, viendra s'en assurer. Les milices se lancent dans les combats avec les FFI.


Les combats de la libération dans l'arrondissement :

 

– Le 18 août un garage de la rue Marcadet est investi, il servira de poste de commandement FFI pour l'arrondissement.

– Le 19 août six hommes sont envoyés au garage de Saint-Ouen pour crever les pneus de tous les camions. Devant l'insécurité qui règne dans le quartier les Allemands abandonnent leurs dépôts pour se regrouper. Des soldats géorgiens s'apprêtent à détruire les entrepôts Dufayel (*). François Christin intervient avec ses hommes pour les en empêcher. Cécile Munck, 18 ans, est tuée devant le 7, avenue de Clignancourt. Boulevard Barbès violente mitraillade : parmi les victimes, Mohamed Ammour, 36 ans, Raymond Defrez, 43 ans, et Henriette Robert née Druesnes, 37 ans, tombée devant le n° 23; Jean Caudrellier, 41 ans, équipier d'urgence de la Croix Rouge du 18ème, est, quant à lui, mortellement atteint alors qu'il se précipite au secours d'un blessé devant le n° 31. Maurice Robion, 19 ans, est grièvement blessé 60, boulevard d'Ornano; il décèdera à l'hôpital Bichat.

(*) Les entrepôts Dufayel, anciennement magasins Crespin-Dufayel ou Palais de la nouveauté, 26, rue de Clignancourt, avaient été réquisitionnés en mai 1941 par les troupes d'occupation.

– Le 20 août quatre hommes capturent quatre officiers allemands et les conduisent au PC de la rue Marcadet. Trente-trois soldats sont faits prisonniers rue Philippe de Girard après un violent combat. Cinq FFI et deux Allemands sont tués porte de Clignancourt.

– Le 21 août une camionnette allemande est interceptée  au carrefour Damrémont-Marcadet; le butin est important : une mitraillette, deux revolvers, plusieurs caisses de grenades, un stock de conserves, de viande et cent kilos de beurre. Une autre voiture est arrêtée rue Damrémont; un adjudant-chef et un sergent du 207ème bataillon de DCA sont capturés; ils venaient de l'hôtel Wilson à Asnières pour chercher des munitions. Vers 18h00 deux soldats, à bord d'un véhicule immatriculé dans l'Eure, ouvrent le feu sur la façade de la mairie; l'un est tué, l'autre parvient à s'enfuir en s'engouffrant dans la bouche de métro.

Claude Ribovsky, de la section Ruenot, tombe lors de l'attaque d'un char rue Letort.

– Le 22 août à 9h00 un groupe attaque une voiture rue Duhesme : deux soldats allemands tués, leurs armes récupérées. Vers 17h00 même opération mais devant la mairie : un soldat tué, un prisonnier.

– Le 23 août le dépôt de la SCTRP est investi par les FFI qui montent une embuscade; trois soldats se présentent pour récupérer du matériel et tombent dans le piège. Rue Hermel vers 19h00, une voiture allemande est mitraillée; deux tués, un SS capturé. (on relève dans les archives le décès du soldat Heinrich Bodefeld, 43 ans, au 35, rue Hermel).

– Le 24 août une mitrailleuse est mise en batterie sur la barricade de la rue Marcadet; vers 18h30 un camion orné de la Croix-Rouge approche, il est chargé de soldats en armes; les FFI ouvrent le feu; il y aurait eu une quinzaine de morts du côté de l'ennemi; on relève également le décès de Marie Marmeau, 68 ans, victime civile. Porte des Poissonniers un groupe attaque un convoi : le caporal des FFI Pierre Gallot, 18 ans, est mortellement atteint; il décèdera le 30 à l'hôpital Bretonneau.

Michel Davy, équipier de la Défense passive, est tué Porte Pouchet.

Raymond Beaudin, 36 ans, ouvrier des usines Lavalette et agent de liaison de "Ceux de la Résistance" est abattu Porte de Clignancourt.

– Le 25 août un camion est immobilisé à la mitrailleuse rue Marcadet; un convoi perd deux chars, trois camions et onze soldats. A 11h15 un officier FFI se présente devant la caserne de Clignancourt et demande à la garnison de se rendre. Celle-ci a été harcelée depuis le début de l'insurrection, toute sortie a été rendue impossible, les soldats sont totalement isolés. Des observateurs postés dans les immeubles voisins remarquent les préparatifs de départ de la troupe. Hélas l'officier ne dispose que de peu d'hommes. Les FFI du 18ème sont engagés ailleurs dans Paris, la 2ème Division blindée est occupée à réduire les points d'appui de la Concorde, de l'Ecole militaire et du Sénat. Il ne va pas pouvoir s'opposer. Cent quatre-vingt soldats sortent, précédés de deux canons antichars. Des coups de feu éclatent, les Allemands réagissent à la mitrailleuse et le convoi passe. Les FFI se précipitent à l'intérieur de la caserne, en ferment toutes les issues, et capturent les retardataires.

Jules Tremel, 20 ans, ouvrier ajusteur célibataire demeurant à Stains, est mortellement blessé 170, boulevard Ney; il décèdera à l'hôpital Bichat.

La caserne Clignancourt avait servi de garnison et de terrain d'exercice pour les troupes d'occupation.

Elle accueillit aussi les recrues de la Légion des volontaires français (LVF).

Au cours de cet épisode sont tombés : Robert Bandin, porte de Clignancourt;

Emile Bricout, 27 ans, brancardier de la Défense passive et membre du Mouvement de libération nationale, devant le 100, boulevard Ney; il sera enterré au cimetière de Pantin.

Dans les registres du 18ème arrondissement on relève également les décès de Edouard Basset, 33 ans, caporal-chef du MLN, Georges Champion, 44 ans, Robert Delattre et Lucien Bertrand domicilié 6, passage Goy. Aucune précision sur les circonstances et le lieu.


Outre la sauvegarde des entrepôts Dufayel évoquée plus haut, il faut mettre au crédit de François Christin et de ses hommes la prise de la Mairie du 18ème et du central téléphonique Montmartre, la défense des locaux des PTT de l'arrondissement et l'attaque de la caserne de Clignancourt attestées par le lieutenant-colonel Rino Scolari, commandant les FFI du secteur Nord.


La résistance PTT sera citée à l'ordre de l'Armée le 16 octobre 1945 (Croix de guerre avec palme).


François Christin reprend son poste au bureau de poste Paris 18, rue Duc, et y terminera sa carrière dans les années 1970, fidèle à ses engagements puisqu'il sera longtemps responsable syndical CGT des PTT.


Il aura largement mérité ses médailles, lui qui ne courait pas après les honneurs et qui se montrait particulièrement peu bavard sur ses actions pendant la guerre. Jean-Philippe les conserve précieusement depuis sa disparition, en 1997 à Antony, et aime rappeler la devise de son grand-père :

"Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent" (Victor Hugo).