Le marsouin Roger Lamotte

Monsieur, mon capitaine m'a remis aujourd'hui la lettre que vous lui avez adressée. J’étais à côté de Roger au  moment où un obus ennemi nous l’enleva. Il était minuit, nous dormions au coin d’un petit cimetière qui borde à droite la route Longjumeau – Paris à proximité de la prison de Fresnes, prison que nous avions conquise l’après-midi du 24 août après une lutte acharnée au cours de laquelle votre regretté fils prouva encore une fois son beau courage. Une courte salve des 88 mm ennemis s’abattit au milieu de nous. L’un de ces obus tomba exactement entre notre regretté Roger et moi. Il ne cria pas. Comme je m’approchais de lui pour savoir s’il était touché, il se redressa et c’est d’une voix très assurée qu’il prononça les dernières paroles que je devais entendre de lui : « J’ai mon compte ! » Evacué immédiatement, il ne survécut que quelques heures aux blessures profondes qu’il portait à la poitrine et au ventre…

Le sergent Guy Venayre écrit cette lettre le 26 février 1945 du front d’Alsace. Faute de troisième feuillet, nous ne saurons pas ce qu’il dit ensuite.

 

 

Grâce à son livret militaire et aux documents aimablement communiqués par son petit-cousin Jean-Claude Stortz nous pouvons reconstituer l’itinéraire du soldat Roger Lamotte depuis son engagement au titre du 27ème Bataillon de chasseurs alpins le 7 juin 1941 à Annecy jusqu’à sa blessure mortelle, à la veille de la Libération de Paris,  le 24 août 1944 à Fresnes. Né le 2 novembre 1920 à Chenières (Meurthe-et-Moselle), il fait ses études à Verdun où sa famille s’est installée vers 1930. Son père est mobilisé en 1939. Mai 1940, c’est la guerre et l’invasion. Le 22 août 1914 les Allemands ont rasé et incendié Chenières, faisant 23 morts parmi la population civile… Bien tristes souvenirs ! La famille préfère se réfugier à Langeac (Haute-Loire) en zone libre. 

En juin 1941 Roger s’engage au 27ème BCA de l’Armée d’armistice mais très rapidement obtient l’autorisation d’être muté au 6ème Régiment de Tirailleurs sénégalais qu’il rejoint en octobre à Casablanca et où il sert comme soldat de 2ème classe à la compagnie de reconnaissance. Le 28 mai 1942 il débarque à Dakar (Sénégal) et est affecté au Régiment porté de tirailleurs sénégalais stationné à Bobo-Dioulasso (aujourd’hui Burkina-Faso) où il prend son poste à la compagnie d’accompagnement n°1. On le retrouve en mars 1943 à Mostaganem (Algérie) où sa compagnie d’accompagnement est rattachée au 3ème bataillon du 12ème Régiment de tirailleurs sénégalais. En juillet 1943 il s’engage dans les Corps francs d’Afrique. En septembre 1943 le voici dans les rangs du Régiment de marche du Tchad, infanterie de la 2ème Division blindée du général Leclerc. Après un dur entrainement au Maroc, les « Leclerc » partent pour l’Angleterre en avril 1944. Le 1er août 1944 c’est le débarquement sur les côtes françaises à Saint-Martin-de-Varreville puis la campagne de Normandie.

Affecté à la 11ème compagnie du 3ème bataillon du RMT, commandée par le capitaine Emmanuel Dupont, le marsouin Roger Lamotte est chauffeur de jeep. Le 23 août l’ordre tant attendu tombe : « Foncez sur Paris ! ». Le Groupement tactique Warabiot (GTV) commandé par le colonel Billotte prendra l’axe Arpajon, Sceaux, Paris par la route nationale 20. Il s’agit d’entrer dans la capitale le plus vite possible, les insurgés ont réclamé des secours de toute urgence. De nombreux accrochages ont lieu à Longjumeau, Wissous. A Antony les éléments de tête du GTV sont stoppés par des tirs de 88 mm en provenance du carrefour de la Croix-de-Berny et de la prison de Fresnes. Impossible d’éviter ou de passer en force. Il va falloir réduire l’ennemi. La compagnie Dupont, épaulée par une section du 501ème Régiment de chars de combat, attaque la prison par l’Est et rencontre une très forte résistance (lire l’article).

Le verrou tombé, il est malheureusement trop tard pour poursuivre vers Paris. Le capitaine Dronne de la 9ème compagnie est parti à la tête d’une colonne mais le reste des troupes bivouaque sur place. Près du cimetière de Fresnes, le long de la RN 20, un petit groupe de marsouins de la 11ème compagnie, durement éprouvée par les combats (6 morts dont le capitaine Dupont), tente de trouver un peu de sommeil. Une salve de mortiers… Le périple de Roger Lamotte s’arrêtera ici. Il décédera à l’hôpital de campagne de Longjumeau.

« Très bon chauffeur calme et courageux au feu. A conduit astucieusement sa voiture lors d’une action de son groupe le 24 août 1944, permettant la prise de positions ennemies et la capture de nombreux prisonniers. Blessé le même jour au cours d’un bombardement d’artillerie. » Signé : Leclerc général de division commandant la 2ème DB.

Emile Gircour, maire de Chenières, déclamera lors de l'inhumation de Roger dans le petit cimetière communal : "Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie…"

 
le jeune Roger Lamotte photographié avec sa mère  
   

la tombe provisoire au cimetière de Longjumeau et le monument aux morts dans le cimetière de Chenières

   

 

   

août 1944, haie d'honneur des FFI de Longjumeau