Le marin de Billancourt


le site en 1948

Un vaisseau fendant les flots ! Les Usines Renault se dressent depuis 1929 sur l'îlot Seguin dans un méandre de la Seine à Boulogne-Billancourt. Louis Renault l'a voulu ainsi, lui qui a commencé en 1898 sa carrière de constructeur de voitures dans un modeste atelier installé dans la résidence secondaire familiale.

Pendant l'occupation plusieurs ateliers réparent des chars pour le compte des autorités allemandes. Les usines sont la cible prioritaire des bombardements alliés et sont gravement endommagées. 

A la libération Louis Renault sera accusé de collaboration, incarcéré à la prison de Fresnes où il se plaint de subir des mauvais traitements puis transféré dans un hôpital où il décède le 24 octobre 1944. Le 1er janvier 1945 le Gouvernement provisoire de la République française nationalise la Société Renault qui prend le nom de Régie nationale des usines Renault. Dans les années 90 Renault abandonne toute production sur le site qui sera démoli en 2004 et 2005. La ville de Boulogne-Billancourt rachète en 2007 l'île Seguin.


Les combats de la libération vont s'avérer meurtriers à Boulogne-Billancourt et Issy les Moulineaux, villes situées de part et d'autre de la Seine. Les Allemands possèdent un important dépôt de matériel dans l'île Saint-Germain, face à la pointe de l'île Seguin. Ils sont particulièrement sur leurs gardes depuis qu'un groupe de FFI les a attaqués. Par mesure de représailles ils ont arrêtés plusieurs hommes dans les rues dont trois ou quatre d'entre eux (selon les versions) ont été trouvés en possession d'armes. Durement interrogés puis abattus, leurs cadavres seront retrouvés flottants dans la Seine. Il y avait là Maurice Péan, Monsieur Domont et Pierre Mazabraut. Le journal l'Humanité du 27 août 1944 cite un quatrième homme, un certain Mousset, qui pourrait bien être le Raymond Musset qui figure sur la plaque commémorative de la Mairie de Boulogne-Billancourt.

Pierre Mazabraut a été assassiné par le sous-officier Aloys Bauer sur l'ordre du major Balzer et du feldwebel Ross. Mais à son procès le jury retiendra que l'abbé Aloys Bauer a fait preuve d'humanité au cours des interrogatoires et l'acquittera. Les parents de Pierre vinrent de Nanterre à pied pour reconnaître le cadavre de leur fils à l'hôpital des Petits-Ménages d'Issy les Moulineaux (précisions communiquées par Michèle Laloyau, nièce de Pierre Mazabraut)

Le 21 août Robert Péres est tué sur le pont de Saint-Cloud. Le 22, Michel Farkas est abattu par des Allemands ou des Miliciens, on ne sait pas bien. A des dates non encore déterminées on peut relever le décès de Jacques Héros, Roger Hadoux, Emile Pelletier et Henri Riant.


Le comité local de libération présidé par Alphonse Le Gallo occupe la mairie dès le 21 août. Les FFI élèvent des barricades et occupent les usines afin que les Allemands ne se livrent pas à des destructions de dernière minute.  Un premier groupe est envoyé par le commandant Duval pour protéger les Usines Renault sur la place Nationale. Mais les hommes ne sont pas armés. Une patrouille allemande tente de forcer en vain la porte. L'alerte a été chaude. La relève sera heureusement armée, elle! Le 24 août dans la matinée Pierre Hofberger, 17 ans et membre d'un groupe de résistance des HBM (futures HLM) est tué avenue Pierre-Grenier lors de l'attaque d'une patrouille ennemie.

Vers 17h00, des soldats en uniforme kaki sont signalés au pont de Sèvres. Allemands ? Américains ? Des Français ! L'Armée Leclerc ! La joie explose.

Le sous groupement Massu de la 2ème DB a reçu l'ordre de camper au pont de Sèvres. Il est tard. La Division entrera dans Paris le lendemain. De nuit cela serait trop dangereux. Les hommes s'installent; ils sont immédiatement entourés et fêtés par la population civile. La nuit d'attente s'annonce belle. Vers 1h30 du matin une compagnie parachutiste allemande descend l'avenue de Bellevue, tous feux éteints, et vient se heurter au bouchon installé en protection par le lieutenant Postaire. La surprise est totale. Un soldat marocain voyant des hommes pousser des canons vient leur donner un coup de main. Il s'aperçoit qu'ils portent le masque à gaz en bandoulière. Des Allemands ! Alerte ! Il rebrousse chemin mais est abattu par une rafale de mitraillette. Les Français ouvrent le feu. Le sergent-chef Broukseaux se bat à la grenade près de son canon de 57mm. Des Allemands sont tués dans l'escalier qui relie l'avenue à la Rue-Basse. D'autres incendient le half-track du capitaine Rogier qui est blessé aux jambes. Le véhicule flambe et éclaire la scène. Les Allemands sont enfin repoussés. Ils laissent sur le terrain une vingtaine de morts et autant de prisonniers.

De leur côté les Français déplorent 9 morts et de nombreux blessés :

– Paul Casta (2ème RMT/5ème Cie)

– Ben Abdesselem Mohamed (2ème RMT/5ème Cie)

– Jean Salis (2ème RMT/5ème Cie)

– François Saout (2ème RMT/5ème Cie)

– Bernard Soulié (2ème RMT/5ème Cie)

– André Héthuin (RBFM) 

– Pierre Menant (12ème RCA/3ème Esc) qui est tombé près de la gare d'Issy les Moulineaux.

– Le FFI Jean Vauzelle, également tombé près de la gare.

– Un FFI non encore identifié qui est venu se joindre aux soldats de la 2ème DB.

 


cimetière d'Issy les Moulineaux


André Héthuin


Pierre Lorrain, 54 ans, directeur des ateliers et services d'entretien des Usines Renault, téléphone à son épouse à 8h00 le lendemain matin 25 août. Il a passé la nuit dans un atelier, guettant le moment propice pour hisser les couleurs tricolores. C'est promis ! Il rentrera à la maison après cette brève cérémonie. Navale en 1908, lieutenant de vaisseau pendant la Grande Guerre, il participe à la conquête du Cameroun. Les maladies tropicales l'empêchant de poursuivre une carrière militaire, il entre comme ingénieur chez Thomson-Houston qui l'envoie aux Etats-Unis étudier l'électrification des réseaux. De retour en France il dirige la fabrication des locomotives électriques de la ligne Paris-Orléans. En 1929 le voilà au secrétariat général des Usines Renault.

Au petit jour il accompagne ses camarades hisser un drapeau français à l'entrée principale de l'Usine. Il est alors décidé d'en hisser un autre à la pointe de l'île Seguin. Le capitaine de vaisseau de réserve Pierre Lorrain est abattu par une rafale de mitraillette au moment où les couleurs s'élèvent sur le navire qu'il a contribué à construire en 1929 (précisions et photo aimablement communiquées par Yves Lorrain, son arrière petit-neveu).

Le sous groupement Massu a filé vers la place de l'Etoile. Il est chargé de réduire l'hôtel Majestic.

De leur côté les FFI harcèlent encore la garnison du camp de l'île Saint-Germain où les Allemands ont détruit leurs pièces de DCA. Ils ne se rendront que le lendemain 26. Pierre Poli est tué. Louis Lazennec tombe sur le quai de Seine à Boulogne-Billancourt, André Carof, 44 ans, quelque part en ville.