L’Amazone de la 2ème DB

Stationnés rue de Rivoli, six énormes chars subissent l'assaut pacifique d'une foule de curieux attirés par l'aspect redoutable, presque invulnérable, des mastodontes d'acier.

Leurs équipages, des gars de la division Leclerc, portent sur leurs visages bronzés sous le soleil d'Afrique les traces de plusieurs semaines de combats et d'insomnies. Tous les chars portent inscrits sur leurs flancs des noms glorieux, des noms de victoires : Caen, Bayeux, Lisieux, Tripoli …

– Tripoli ! murmure pensivement mon voisin, un ancien combattant de 1914-1918 qui semble difficilement réaliser la distance parcourue par l'énorme machine couleur terre cuite …

– Surtout, suggère quelqu'un, qu'avant de débarquer en France il a fait un tour en Angleterre.

Un chuchotement qui se précise fait tourner toutes les têtes :

– C'est une femme là-bas, sur le dernier char, je vous dis que c'est une femme !


Assise près du canon, habillée de kaki, le calot posé sur des cheveux bruns coupés courts, une jeune femme, une jeune fille plutôt, aux yeux clairs et rieurs, serre les mains qui se tendent, répond à mille questions et distribue du chocolat.

Voici la tragique et magnifique histoire de cette jeune française de 20 ans, engagée volontaire dans les chars et citée à l'Ordre du Tchad par le général Leclerc.

Marie-Paule Pain est originaire de Grenoble, où elle est née en février 1924. A 53 ans, son père, Jean-Paul Pain, fonde le premier groupe de résistance de Savoie et d'Isère, les deux départements qui furent à l'avant garde de la Résistance et donnèrent l'exemple à la France entière.

 Le 26 novembre 1943, il est arrêté au café Saint André et emmené en voiture. Son corps affreusement mutilé est retrouvé le lendemain à Voreppe, à 17 kilomètres de Grenoble. Il avait les jambes retournées, les bras brisés, les ongles arrachés, un poumon éclaté, un oeil crevé et dix-neuf balles dans le corps. Une fiche était épinglée à ses vêtements :

"Cet homme paie de sa vie la vie d'un national. A bas Giraud, à bas de Gaulle !"

 Organisation antiterroriste régionale

Telle est l'image que Marie-Paule conserve de son courageux papa assassiné par des Français à la solde de la Gestapo.


Mais un deuxième meurtre, plus affreux que le premier, la prive de sa mère, Jacqueline Pain, qui est enlevée et que l'on retrouve transpercée de trois rafales de mitraillette. La jeune fille est elle-même emprisonnée à Grenoble où elle endure la faim et la soif pendant dix-sept jours sans jamais se laisser aller à parler au cours des interrogatoires qu'on lui fait subir.

– Je n'avais qu'un désir, qu'une pensée, me dit-elle, vivre pour les venger.

Deux mois plus tard, Marie-Paule s'évade, se réfugie à Paris chez des amis où elle reprend des forces pour poursuivre la lutte qu'elle s'est imposée. Ses camarades d'Isère et de Savoie l'ont initiée au maniement des armes. Elle sait se servir d'un revolver, d'un fusil, d'une mitraillette, d'une mitrailleuse. Autant d'atouts qui vont la servir. Le débarquement du 6 juin est une journée d'espérance pour la jeune fille qui part au-devant des troupes alliées et participe avec la Croix Rouge, à l'évacuation des blessés et des réfugiés. Elle se dévoue simplement, entièrement, en attendant l'heure d'agir, de combattre. Elle dort une heure et quart en sept jours d'un écrasant mais réconfortant labeur, car beaucoup de vies humaines ont pu être secourues à temps et arrachées à la mort.

De retour à Paris, Marie-Paule apprend que la division Leclerc marche sur la capitale. Son choix est fait. Elle va au-devant des Français et se présente au général Leclerc qui l'enrôle comme mitrailleur à bord du char "Le 7 mai 43 L.90".  Le 24 août, la division fait son entrée triomphale à Paris où gronde l'insurrection et achève la bataille d'extermination des nids allemands. Marie-Paule abat trois boches et attaque les blockhaus à la grenade. Boulevard de Courcelles elle réussit avec ses compagnons à détruire un "Tigre" dont l'équipage de SS est fait prisonnier. Elle déplore la mort de trois de ses camarades.

Quelques jours plus tard, Marie-Paule Pain, seule femme volontaire combattant dans l'Armée française, est citée à l'Ordre du Tchad par le général Leclerc. Sur l'énorme char qui l'emporte vers son destin, Marie-Paule a écrit un mot à la craie  "VENGEANCE"

article non signé


Cet article est paru dans le journal Résistance du 12 septembre 1944. Le journaliste s'est manifestement laissé emporter par la joie de la libération et a quelque peu "enjolivé" la réalité. Mais il s'est appuyé sur des faits réels. Le premier problème est qu'il n'y a pas eu de femmes combattantes au sein de la 2ème Division blindée. Les seules y avoir servi, et de l'avis unanime des anciens très bien servi, sont les Rochambelles et les Marinettes, infirmières et ambulancières volontaires qui se dévouèrent au plus près des lignes sous les bombardements pour secourir "leurs" blessés comme elles les nommaient affectueusement.

En revanche Jean-Paul Pain a bien été exécuté par des Miliciens français dans les environs de Grenoble en novembre 1943. Journaliste né le 11 octobre 1891 à Paris, il a été arrêté vers 18h00 le 26 novembre au café du Tribunal, rendez-vous habituel des reporters grenoblois. Il sera abattu vers 3h00 du matin au hameau du Chevalon près de Voreppe. Ce jour-là l'Organisation antiterroriste régionale" procédera à quatre autres arrestations et executions sommaires de résistants.

Le journaliste a bien relevé des noms de chars de la 2ème Division blindée :

– Le Caen appartient au 12ème Cuir/2ème escadron/1er peloton; chef de char : maréchal des logis Bidault

– Le Bayeux est affecté au 3ème peloton de ce même escadron. Le chef de char, le maréchal des logis Ollero, sera tué le 21 novembre 1944 à Lixheim.

– Le Lisieux, du 1er peloton, commandé par le maréchal des logis Larrecq, sera détruit le 14 avril 1945 lors des combats de la Poche de Royan.

– Le Tripoli est un GMC de ravitaillement en essence et en munitions commandé par le maréchal des logis Tessedre de la 1ère batterie du 22ème FTA.

Pour toutes précisions supplémentaires voir l'organigramme de la 2ème DB… et vous pourrez découvrir le Lisieux photographié dans l'enceinte de l'Ecole Militaire … (lire l'épisode)

Marie-Paule déplore la mort de trois camarades …

Le journaliste fait-il allusion à l'équipage du char Quimper du 3ème peloton, détruit le 25 août aux abords du Ministère des Affaires Etrangères ?

Sous les ordres du sous-lieutenant Bureau, chef du 2ème peloton descendu pour la circonstance de son char Saint-Cyr, le maréchal des logis Martinez engage son Quimper devant l'entrée Ouest du Ministère, face à la gare des Invalides. Une rafale de mitrailleuse tue Jean-Marie Bureau, un coup au but détruit le Quimper. Le chef de char Martinez est blessé, mais contrairement à ce qu'indique l'inscription, les autres membres de l'équipage sont saufs. Les deux autres tués appartenaient à l'infanterie de la 2ème DB.

Enfin le char de Marie-Paule Pain, le "7 mai 1943 L 90" sur lequel elle servirait comme mitrailleur, pourrait être un half-track de la 3ème section de la 11ème compagnie du 3ème RMT. C'est le seul véhicule à porter ce nom de baptême. Il était commandé par le caporal-chef Chita, chef de groupe, mais a été engagé rue Saint-Honoré pour dégager les arrières de l'hôtel Meurice et pour poursuivre sur la Kommandantur place de l'Opéra.

La citation de Marie-Paule à l'Ordre du Tchad doit être considérée comme une envolée lyrique du journaliste, les citations étant attribuées selon un protocole très strict (à l'ordre du Régiment, de la Brigade, de la Division, du Corps d'armée ou de l'Armée) suivant les mérites du récipiendaire et l'importance de son fait d'armes.

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Au cours de mes lectures j'ai également trouvé l'histoire d'une autre amazone dans les rangs de la 2ème DB (Ceux de Paris août 1944 – René Dunan). L'auteur raconte les aventures de Gisèle Hasseler, 30 ans, dont le mari industriel belge a rejoint l'Angleterre par l'Espagne pour continuer la lutte. Gisèle vit à Paris depuis 1942, elle abrite des évadés et de juifs. Par l'intermédiaire d'un homme traqué par la Gestapo elle peut entrer dans la résistance active après un stage de radio à Lyon. A Paris elle assurera le secrétariat du DMR Chaban. Août 1944, c'est l'insurrection. Chaban la charge des liaisons avec la Préfecture de police. Le 25 août elle guide le commandant de la Horie de la 2ème DB vers le consulat de Norvège et indique les emplacements des défenses allemandes rue de Rivoli autour du PC du général Von Choltitz. L'attaque se prépare. Elle demande l'honneur de faire partie de l'expédition. Privilège accordé ! La voici dans la jeep du commandant, derrière les chars qui remontent la rue vers l'hôtel Meurice. Le combat s'engage, les balles pleuvent; Gisèle assiste les premiers blessés. Elle suivra de la Horie jusqu'au bureau du commandant du Grand Paris. La lieutenante Gisèle Haseleer sera citée à l'Ordre de la brigade par le colonel Billotte. S'il existe bien une Gisèle Haseleer, née le 21 décembre 1914 à Tournai (Belgique), médaillée de la Résistance (JO du 10 octobre 1945), la commune de Tournai, contactée par mes soins depuis plus d'un an, n'a toujours pas répondu à ma demande de renseignements supplémentaires.