La 5ème colonne

L’expression « La 5ème colonne », désignant un ennemi infiltré prêt à prendre à revers les troupes régulières ou à saper de l’intérieur un état, aurait été utilisée pour la première fois pendant la Guerre d’Espagne lors du siège de Madrid quand quatre colonnes de Nationalistes se dirigaient vers la capitale. La radio franquiste annonça qu’une cinquième colonne était déjà sur place. Cette information avait pour but de désorganiser la défense de la ville et de saper le moral de ses défenseurs mais l’attaque échoua quand même. Pour prévenir l’éventuelle formation d’une 5ème colonne à l’arrière des armées le Gouvernement français ouvrit des camps d’internement dès 1939. Y furent détenus Républicains espagnols, Allemands volontaires des Brigades internationales, sujets du 3ème Reich, opposants politiques, syndicalistes et autres suspects. La propagande allemande entretint bien sûr l’idée d’une 5ème colonne en France et la défaite de 1940 sera mise sur son compte : « la 5ème colonne nous a vendus ».

Sur la place de la Concorde trône depuis 1758 l’hôtel particulier d’Aumont racheté en 1788 par François de Crillon puis en 1907 par la Société des grands magasins et des hôtels du Louvre qui le transforme en palace. En 1919 le président américain W. Wilson et les délégués alliés y préparent le pacte de la Société des Nations, les chefs d’états, les milliardaires et les têtes couronnées s’y succèdent jusqu’en 1939. Le 14 juin 1940 le général Bogislav von Studnitz, commandant la 87ème Division d’infanterie en prend possession à 7h45. Le premier commandant du Grand-Paris y convoque à 11h00 le préfet de police Roger Langeron pour lui faire savoir qu’il veut que l’ordre règne dans les rues de la capitale. 

Le premier défilé des troupes victorieuses.

Puis quotidiennement la relève de la garde des nombreux immeubles réquisitionnés dans le quartier.

Le 8 septembre l’hôtel de Crillon est officiellement réquisitionné pour abriter des bureaux de la Feldgendarmerie, du Quartiermeister-Abteilung (département hébergement des troupes d’occupation) et y loger des officiers du tribunal militaire de la Kommandantur. Pendant l'occupation des galas de bienfaisance au bénéfice des prisonniers de guerre y sont donnés.

Le général Leclerc arrive à la gare Montparnasse.

Quatre ans plus tard, le 25 août 1944, la 2ème Division blindée du général Leclerc entre dans Paris et attaque les points d’appui dans lesquels se sont enfermées et résistent les troupes allemandes. Et elles sont particulièrement nombreuses dans le quartier. Le dernier commandant du Grand-Paris, le général von Choltitz, attend dans son bureau de l’hôtel Meurice rue de Rivoli le dénouement. Il sait qu’il est vaincu mais exige un dernier baroud d’honneur. Les membres de l’état-major du Marinegruppenkommando se sont postés aux fenêtres et sur les toits de l’Hôtel de la Marine place de la Concorde et rue Royale, au Jardin des Tuileries se sont embusqués plusieurs chars.

Fantassins et chars de la 2ème DB progressent rue de Rivoli. On remarque également des policiers et des FFI.

Le détachement du capitaine Branet est chargé de l’attaque du Meurice par la rue de Rivoli tandis que le capitaine Sanmarcelli passe derrière, rue Saint-Honoré, puis se dirige vers la Kommandantur place de l’Opéra. Le lieutenant Bricard nettoie le Jardin des Tuileries. Place de l’Etoile, une fois la garnison de l’hôtel Majestic de l’avenue Kléber réduite, les chars du capitaine de Bort s’engagent sur les Champs-Elysées et descendent vers la place de la Concorde. Bref ! Il y a beaucoup de monde ici cet après-midi du 25 août. La bataille est rude et les pertes sont sévères de part et d’autre.

Un char Panther a été détruit devant les Tuileries, la façade de l'Hôtel de la Marine a bien souffert.

Des snipers allemands tirent leurs dernières cartouches des fenêtres de l’Hôtel de la Marine et de l’hôtel de Crillon. La légende veut qu’un cri s’élève de la foule qui assiste aux combats : « C’est la 5ème colonne ! » La tourelle d’un char de la 2ème DB pivote. Le tireur compte les colonnes de la façade du Crillon : 1, 2, 3, 4, 5… le coup part. Il ne connaissait vraisemblablement pas l’expression et vient de défigurer l’alignement impeccable réalisé au 18ème siècle par l'architecte Gabriel sur la place Louis XV.

Les débris de la colonne sont tombés sur les voitures garées devant l'hôtel.

Nombreux sont les officiers et soldats de la 2ème DB qui ont écrit leurs souvenirs après la guerre et leurs témoignages diffèrent à propos de ce malencontreux quiproquo. Le capitaine de frégate Maggiar, patron du Régiment blindé de fusiliers marins, situe l’évènement le 26 août lors de la prise d’armes en l’honneur du général de Gaulle sur la place de la Concorde quand des coups de feu sont tirés sur la foule. Les tireurs des toits ! Un char Sherman aurait répliqué. Ce type de chars équipait le 501ème Régiment de chars de combat et le 12ème Régiment de chasseurs d’Afrique présents sur les lieux.

Cette photographie a été prise le 25 août en fin d'après-midi, on peut remarquer que la colonne a déjà disparu.

Pas de cinquième colonne sur ces deux photographies prises le lendemain 26 août alors que des badauds contemplent les dégâts devant l'hôtel tandis que les chars de la 2ème DB se mettent en place pour la prise d'armes; les tireurs des toits ne se sont pas encore manifestés.

C’est le 25 août au cours de la bataille de la place de la Concorde pour cet ancien du 501ème RCC qui a vu un tank-destroyer prendre position devant l’Obélisque et ouvrir le feu. Les tanks-destroyers équipaient le Régiment blindé de fusiliers marins. Et également le 25 août pour Erwan Bergot qui dans son livre « La 2ème DB » explique que c’est le tireur du char Bourgogne du 3ème peloton du 3ème escadron du 12ème RCA et écrit le dialogue suivant : « Vert à tous les verts, hurle l’aspirant Nouveau. Quel est le con qui a fait ça ? C’est moi Vert 4 ! On m’avait dit la 5ème colonne, pouvais pas savoir… je ne suis pas d’ici ».

Toujours le 26 août après les fusillades. Des secouristes interviennent.

Photographies à l'appui on peut donc affirmer que l'incident s'est déroulé le 25 août 1944 dans l'après-midi. Qui a tiré ? Un Sherman ? Un tank-destroyer ? Il est sûr qu'aucun officier de la 2ème DB n'a eu l'envie de revendiquer cette destruction à son tableau de chasse…

La façade de l’hôtel de Crillon sera restaurée en 1945 mais la pierre utilisée pour cette fameuse cinquième colonne est de moins bonne qualité et résiste mal à la pollution. Elle vieillira plus vite que ses voisines pourtant plus que centenaires.

1945, les travaux de restauration ont débuté. On peut distinguer l'échafaudage qui permettra la remise en  place de la cinquième colonne.