Fusillades à Vincennes

Voici seize des vingt rescapés du Fort de Vincennes dont les témoignages permettront de localiser les fosses communes et d’identifier les auteurs des fusillades. Leur récit démarre le samedi 19 août 1944, dans l’après-midi, à la 4ème division de police judiciaire rue de Lyon dans le 12ème. Les nombreuses allées et venues des policiers qui avaient reçu l’ordre de regagner leurs services en civil ont fini par attirer l’attention des soldats allemands qui occupent la Gare de Lyon (lire l’épisode). Vers 17h00 ceux-ci forcent la porte des bureaux et arrêtent tout le monde. Au cours de la perquisition un brassard F.F.I est découvert. Les policiers sont conduits rue Traversière où ils retrouvent deux collègues arrêtés quelques instants plus tôt dans la rue. Quatre autres policiers et un garde voie viendront les rejoindre. En fin d’après midi ils montent dans un autobus qui les conduit au Fort de Vincennes. Là ils trouvent un docteur, un employé des finances, et un charbonnier arrêtés comme eux quelques heures auparavant. Après un premier simulacre de fusillade, l’officier allemand qui commande le peloton d’exécution les fait enfermer dans une petite pièce au dessus du poste de garde. Ils seront épargnés car on a besoin de bras pour creuser des fosses et y enfouir les futurs suppliciés.


Un fossé du Château de Vincennes : la croix indique le lieu des fusillades.


Le Fort Neuf : autre lieu de fusillades.

La sinistre besogne commence dès le lendemain matin à 9h00. Onze cadavres gisent sur le sol. Un policier reconnaît l’un de ses collègues. Il faut utiliser les volets arrachés aux fenêtres en guise de brancard et se dépêcher sous les coups des gardes. La garnison allemande habituellement en poste au Fort a ordre de ne pas intervenir et de ne pas se montrer aux fenêtres. Il s’agit ensuite de laver toutes les traces de sang sur le chemin de la fosse. Le chef du peloton de S.S se vante d’avoir cloué un enfant sur la porte de l’église d’Oradour-sur-Glane. Jusqu’à 17h00, heure de la prochaine fusillade, ce ne sont que brimades, menaces et coups. Le commissaire divisionnaire Silvestri chef de l’unité de police est sorti du groupe, interrogé puis fusillé. Il a endossé la responsabilité du brassard F.F.I trouvé la veille, alors qu’il n’a jamais tenu aucun rôle dans la Résistance. Le lendemain matin nouvel arrivage de prisonniers … nouvelles  exécutions … nouvelle fosse.


Dans l’enceinte du Château


Exhumation des corps trouvés dans la fosse commune

Un sergent, Hermann Petzcholl, les rassure : ils ne seront pas fusillés; considérés comme travailleurs ils seront employés aux corvées du Fort. Il les installe dans une pièce plus grande et leur donne des cigarettes et du tabac. Le 24 août  la garnison allemande quitte le Fort, suivie quelques heures plus tard par les troupes S.S. Les rescapés sortent libres et sont récupérés et réconfortés par les habitants de Vincennes.

Paris est libéré. Les survivants font leur rapport. Et tandis que la population fête la victoire, des membres des Equipes d’urgence et des secouristes de la Croix-Rouge sont requis pour l’exhumation des corps (voir la vidéo INA) enfouis sous une mince couche de terre dans les fossés du château. Des familles de disparus sont invitées à reconnaître les leurs.


Les familles viennent identifier les corps


Le monument au cimetière de Vincennes

Cinquante-six sont retrouvées dans les fossés, à la Cartoucherie et au Fort Neuf. Quelques hommes ont été arrêtés et fusillés dans le Bois de Vincennes. Les autres ont été capturés dans les rues de Paris et de la banlieue et amenés en autocar au Fort pour y être exécutés. Le 19 août, premier jour de l’insurrection, toute personne trouvée en possession d’une arme était considérée comme terroriste par les Allemands qui ne reconnaissaient pas la qualité de combattants aux F.F.I. Il faudra la menace de représailles sur des soldats prisonniers pour ramener les troupes d’occupation à la raison.

ANCELIN André, 41 ans, employé de la RATP (1)

ANDREZOWSKI Robert, 22 ans AZNAREZ Arnaud
BALAGNA Charles, 55 ans, fusillé dans le Bois BARDON Charles, 43 ans, policier (4) BARON Serge, 20 ans
BARRE Henri, 54 ans, fusillé dans le Bois BELVEZET Arthur, 42 ans, policier (2) BENNE Ulysse, 34 ans, employé de la RATP (1)
BOST Georges, 30 ans BOUCHET Louis, 43 ans, employé de la RATP (1) BOUDIN Louis, 24 ans, fusillé dans le Bois
BOUGOUFA Salah, 35 ans, fusillé dans le Bois BROUSSOLE André, 20 ans, fusillé dans le Bois BUGE Marcel, 22 ans, fusillé dans le Bois
CASSEL François, 21 ans, employé du Ministère du Travail CHARTIER Henri, 44 ans (4) CHUET Gaston, 37 ans, policier (4)
CONDE Antoine, 31 ans COURDANT Maxime, employé du Ministère du Travail de FREITAS André, 17 ans, étudiant
de GORTER Emile, 22 ans, étudiant (2) DEMOULIN Marie-Charles, 40 ans, policier, capturé place de la Nation de YOYA YOYA N’Danke, 20 ans, boxeur
DUVILLERS Raymond, 25 ans, policier FERRER Robert, 39 ans, employé de la RATP (1) FOURNIER Gaston, cordonnier
GANDRIAUX Marcel, 37 ans, policier (3) GENUIT Georges, 35 ans, employé des Usines Kodak, capturé à Fontenay sous Bois GERBAUD Camille, 35 ans, policier, (3)
GOEURY Emile, 37 ans, employé de la RATP (1) HERBET Maurice, 28 ans, policier, fusillé dans le Bois JAMET Georges, 41 ans
LADRUZE Gilbert, 28 ans, fusillé dans le Bois LAVIGNE-BURON Marcel, 39 ans, employé de la RATP (1) LECOMTE Jacques, 24 ans, policier (3)
LESAQUE Alphonse, électricien LEVERT Lucien, 23 ans MANSUY André, capturé à Choisy le Roi (2)
MARTINIE Jean-pierre, 21 ans
MOHAMED Amar MOREAU Fernand, 36 ans, policier, fusillé dans le Bois MOREAU Lucien, 22 ans, ouvrier mécanicien
NADAIRE Lucien, 45 ans, chauffeur ORSINI Michel, employé de l’école Jeanne d’Arc (Paris) PARIS Paul, 44 ans, policier, capturé entre Bastille et gare de Lyon (4)
RICARD Marcel, 33 ans, policier, capturé dans le Bois SILVESTRI Charles, 48 ans, policier, capturé rue de Lyon
SOLADIER André, 39 ans, policier, capturé rue de Bercy (3) SPEEKAERT Arthur, 45 ans, employé de la RATP, capturé rue Traversière (1) SPERI André, 38 ans
THIEBAUT Alfred, 24 ans, policier, capturé rue de Bercy (3) TISSOT Pierre, 43 ans, infirmier

Note 1 : Le commandant Louis Bouchet a été chargé de s’emparer de l’imprimerie du journal le Petit Parisien, rue d’Enghien; le 21 août à 10h00 du matin une traction-avant conduite par André Ancelin et ayant à son bord Louis Bouchet, Ulysse Benne, Robert Ferrer, Emile Goeury et Arthur Speekaert démarre de la station de métro Bel Air. Les six hommes ne rentreront pas et seront retrouvés fusillés dans les fosses du château de Vincennes. Le fils d’Emile Goeury, 14 ans à l’époque, se livrera à partir du 22 août au matin à une enquête détaillée et parviendra à reconstituer l’itinéraire du véhicule : un premier barrage allemand l’a contrôlé devant le 195 avenue Daumesnil, à hauteur de la rue de Charenton;  nouvel arrêt un peu plus loin, nouvelles vérifications de papiers; la voiture n’est pas peinte aux couleurs des F.F.I, ce qui explique que les Allemands aient pu la laisser passer. Interviewant les habitants du quartier il arrive ainsi jusqu’à la rue Traversière où plusieurs témoins lui expliquent que des soldats allemands, dont deux en uniforme de l’Afrika Korps, ont stoppé une Citroën à l’angle de la rue Traversière et de la rue Michel-Chasles, et en ont fait descendre les six occupants. Après une rapide fouille, sous la direction d’un homme en civil qui paraissait commander l’action, les hommes sont conduits les mains sur la tête jusqu’au 15 de la rue Traversière dans une cour de la SNCF. Il y eut un ou deux simulacres d’exécution puis en fin d’après midi on les fit monter dans deux camions bâchés en compagnie d’une impressionnante escorte. Le convoi emprunte le quai de la Rapée puis le quai de Bercy … c’est la fin de la piste. Le 26 août les familles furent invitées à venir reconnaître, à Vincennes, les corps de plusieurs hommes supposés appartenir au F.F.I du métro. La présence du civil qui commandait manifestement les soldats du dernier barrage, l’impressionnante escorte, tout cela  fait dire à Walter Goeury que le groupe est tombé dans un piège. Il était attendu. Il y a eu trahison. D’autant que le commandant Louis Bouchet a  reçu l’ordre formel de prendre personnellement la tête de cette expédition somme toute assez banale et qui ne nécessitait pas la présence d’un commandant et de plus la consigne impérative était de ne pas prendre d’armes avec soi. Enfin, l’un des camions transportant onze hommes entre directement dans le Château où la fusillade ne tarde pas à éclater, tandis que le deuxième, encadré d’une escorte fortement armée, se dirige vers le Fort Neuf. Les six hommes qui en descendent seront interrogés toute la nuit et fusillés le lendemain matin. Dans la fosse on découvrira cinq autres corps dont celui de Marcel Lavigne-Buron, employé de la RATP lui aussi, mais qui n’avait rien à voir avec le groupe.

Note 2 : Le policier Arthur Belvezet et les étudiants Emile de Gorter et André Mansuy ont été capturés le 19 août à 20h30 lors de l’attaque du garage Chambais à Choisy le Roi et fusillés le lendemain au Fort de Vincennes.

Note 3 : Les policiers Marcel Gandriaux, Camille Gerbaud, Jacques Lecomte et André Soladier sont arrêtés le 20 août alors qu’ils se présentent en civil au 217 rue de Bercy pour procéder à l’interpellation d’un membre de la Gestapo.

Note 4 : Les policiers Charles Bardon, Henri Chartier, Gaston Chuet et Paul Paris ont été arrêtés dans les environs de la gare de Lyon par les soldats allemands et les employés de la Reichbahnof qui ont fait régner la terreur dans le quartier du 19 au 23 août (lire l’article)


Un certain G. C…, âgé de 25 ans, milicien en Seine-et-Marne, sera également découvert dans une des fosses communes. Sentant le vent tourner, il a rejoint la capitale quelques jours avant l’insurrection et s’est engagé dans les rangs des F.F.I. Il est arrêté par les Allemands alors qu’il patrouille à bord d’une traction-avant, conduit au Fort de Vincennes et fusillé avec d’autres prisonniers. Quelques temps après la libération la municipalité de Vincennes s’aperçoit de la méprise, le fait exhumer et le rend à sa famille (R.C Planke La Seine-et-Marne dans la guerre).


Les lieux d’exécution :


dans la cour du Château


dans le fossé Est


dans le fossé Est


cérémonie du 18 août 2009

On pourrait ajouter à ces victimes le gardien de la paix Germain Vésine, 36 ans, qui ne se remettra pas des mauvais traitements endurés pendant sa captivité et décèdera prématurément en 1948. Sur les registres du cimetière de Vincennes on trouve bien un Gaston Fournier, cordonnier domicilié 12, rue de l’Espérance à Paris 11ème. En revanche, contrairement à ce que l’on peut lire sur la plaque de droite, pas de Fournier à la Préfecture de police parmi les victimes de la Libération de Paris.