Extrême confusion rue des Morillons

La plus grande confusion règne dans les rues de Paris durant ces journées folles. Les informations les plus contradictoires circulent. Comment trier le vrai du faux ? La Préfecture de police reçoit énormément d'appels, certains anonymes. Le standardiste fait de son mieux pour transmettre les demandes de secours, pour vérifier les dires de son interlocuteur, pour aviser les postes de police à même d'intervenir. Un exemple : la fusillade de la rue des Morillons.

Enregistrement des communications téléphoniques reçues à la Préfecture de police du 20 au 26 août 1944 :

Journée du 20 août :

-21h35 : Un groupe franc parti en voiture rue des Morillons a été arrêté par des Allemands. Après les avoir fouillés, ils les ont collés au mur pour les fusiller. Un de ceux-ci a pu se dégager pour prévenir. (Cabinet informé, 15ème avisé).

-22h55 : Suite à affaire 21h35 rue des Morillons. Quelques jeunes gens qui avaient été pris comme otages par les Allemands ont été relâchés par ceux-ci. (Cabinet avisé).

Journée du 21 août 1944 :

-8h55 : de l’hôpital de Vaugirard : Un ancien inspecteur de police se trouve à cet hôpital grièvement blessé. Il déclare que quatre de ses amis ont été fusillés hier rue des Morillons, angle Olivier de Serres et ont été laissés sur place. (Cabinet avisé, 15ème avisé).

-10h55 : le 15ème confirme qu’il n’y a eu aucun tué hier soir rue des Morillons, angle Olivier de Serres.

Si nous nous rendons 9, rue des Morillons dans le 15ème, devant ce qui était à l'époque le garage Ruhlmann (tél : Vaugirard 02 35) réquisitionné par l'armée d'occupation, nous pouvons découvrir ces trois plaques commémoratives, dont deux, d'ailleurs, reprennent les mêmes noms. Que s'est-il passé exactement ?

Le 20 août 1944 dans la matinée le gardien de la paix Philippe Chevrier prend provisoirement le commandement du groupe FFI de la compagnie hors-rang de la Musique des gardiens de la paix en l’absence du gardien Chasset. Il connait un garage gardé par quatre soldats allemands seulement. Il y a certainement du matériel à récupérer, ce sera facile. L’opération est décidée, les hommes sont désignés. Le gardien Germain Bedeau prendra le volant de la voiture réquisitionnée dans la cour de la Préfecture, le gardien Albert Daumet, les FFI Louis Collomb, Charles Descours et Vincent Finidori seront de l’équipe avec comme armement deux fusils, deux revolvers et quelques grenades.

Chevrier, Bedeau et Finidori

Le départ est fixé en début de soirée. Mais devant le garage la voiture est accueillie par une vingtaine de soldats allemands qui la stoppent et font descendre les hommes sous la menace de leurs mitraillettes. Ils sont trainés à l’intérieur du garage et alignés contre un mur. Louis Collomb comprend immédiatement la situation et tente le tout pour le tout. Il fonce tête baissée vers la sortie et parvient à s’enfuir. Quand les coups de fusil claquent il est déjà loin. Les Allemands se retournent vers leurs prisonniers et ouvrent le feu. Daumet, blessé à l’épaule, tombe et fait le mort ; Chevrier, Finidori, Descours  et Bedeau sont mortellement atteints. Un employé du garage, Jean Gauthier, indiquera lors de son interrogatoire que parmi les Allemands il y avait un certain caporal Eric Scherwitz et un ex-milicien passé à la Waffen SS du nom de Dupuis ; il précisera que Raymonde Dupuis, maîtresse de Scherwitz, a assisté à l’exécution. Avec les autres soldats ils passeront la nuit à fumer, à manger et à boire près des cadavres.

Vers cinq heures du matin Daumet décide de tenter sa chance : « Je jette un regard entre les cadavres. C'était l'aube. Je vois les silhouettes des Boches devant la porte, ils fument. Lentement j'essaie de remuer les jambes, les bras qui ne veulent plus m'obéir. Enfin je me glisse et, d'un seul bon, je saute à travers la porte en bousculant les hommes. Ils ont été saisis d'abord mais j'étais à cinquante mètres quand les coups de feu ont commencé à pleuvoir; une balle m'atteint au côté, c'est ma plus mauvaise blessure; je surmonte ma douleur, je tourne à la première rue. Là, un Français qui guettait les Allemands me prend pour l'un d'eux, tire et me blesse à la jambe. Je tourne la première rue à droite, les forces me lâchent, je tombe sur le trottoir. J'entends les Allemands qui courent après moi, des coups de feu échangés. En rampant je les dépiste et je tombe, sans le savoir, derrière l'hôpital Vaugirard où on m'a opéré tout de suite »

Journal Ce Soir du 29 août 1944

Collomb qui a pu s’échapper le premier a couru à la Préfecture pour rendre compte du drame. Dans la confusion qui règne dans la caserne de la Cité aucune mesure n’est prise, aucune patrouille n’est envoyée. Le lendemain matin à 10h55 le poste de police du 15ème répond qu’il n’y a eu aucun tué la veille au soir rue des Morillons. Les Allemands se sont employés à faire disparaître toute trace de la fusillade. Ils ont mis les quatre cadavres dans des caisses de bois et les ont amenés au stand de tir d’Issy-les-Moulineaux pour les y enterrer. C'est là qu'ils seront découverts début septembre.