Emile Plaisant, souvenirs de sa fille.

Le 24 août 1944 en fin de soirée, profitant du départ des forces de police pour l’Hôtel de Ville que viennent d’atteindre les premiers soldats de la 2ème DB, les Allemands attaquent l’Escadron de Vaugirard cantonné aux Abattoirs rue des Morillons. Il leur a donné du fil à retordre toute l’après-midi boulevard Garibaldi et place Cambronne en empêchant la garnison de l’Ecole militaire de se retirer en bon ordre : les combats ont coûté la vie à sept FFI et à vingt soldats allemands, mais le convoi a dû rebrousser chemin. Les hommes sont épuisés, les munitions manquent. Des appels au secours sont lancés vers Clamart et Meudon, l’Etat-major des Sapeurs-pompiers promet de faire parvenir des armes par les égouts… Enfin les assaillants se retirent au prix de nombreux morts et de véhicules incendiés à coups de bouteille d’essence ; des soldats réfugiés dans un garage seront capturés à 5h00 du matin. Du côté des FFI on déplore des blessés et deux morts : Roger Corrouge, 32 ans, tué en défendant la porte de la rue de Dantzig et Emile Plaisant, 34 ans, mortellement blessé en défendant celle de la rue des Morillons.

les Abattoirs de Vaugirard ont disparu, remplacés par le square Georges Brassens

Emile Plaisant, marié et père de trois enfants, est transporté à l’hôpital de Vaugirard où il décède quelques heures plus tard. Il sera cité à titre posthume à l’Ordre de la Division par le général Koenig, commandant en chef des FFI : « Combattant volontaire, animé du sens le plus élevé du devoir et de l’esprit de sacrifice, Emile Plaisant a trouvé la mort glorieuse en participant dans la nuit du 24 au 25 août 1944 à la défense du cantonnement de l’abattoir de Vaugirard violemment attaqué par l’ennemi. Mort pour la France » Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre 1939-1945 avec étoile d’argent

Des années plus tard, sa fille Monique accepte de fouiller dans ses souvenirs. Elle n’avait que 5 ans en août 1944, ce sont donc plutôt des flashes qui lui reviennent en mémoire. 

Emile, son épouse Suzanne et leurs trois enfants Jean-Claude, Monique et Lucien habitent 37, rue des Morillons, en face des Abattoirs au dessus de l’usine C. Tixier & Cie qui fabrique des pièces détachées pour les distillateurs agricoles et dont Emile est le concierge. Plusieurs fois les Feldgendarmes sont venus avec leurs chiens. La mère de Monique en a très peur. Son père est souvent absent. Il conduit des « camions contenant de grandes bouteilles de gaz ». Et puis il y a cette sirène d’alerte juste au dessus de la maison, si effrayante… Monique se souvient d’un avion qui tombe au loin et de sa mère qui prépare des malles. Dans la cour des Abattoirs les Allemands entreposent des tanks en panne ; les enfants aiment grimper sur ces mastodontes et jouer. Depuis toujours Monique pense que son père était communiste. (Son placement après la guerre à l’orphelinat de la Villette-aux-Aulnes, près de Mitry-Mory, semble lui donner raison). Du drame elle garde très précisément le souvenir d’une salle de l’hôpital de Vaugirard, une grande pièce dans laquelle sont alignées des baignoires en émail blanc recouvertes d’une planche de bois. Elle a été frappée par leurs pieds en forme de patte de lion. Un monsieur en blouse grise demande à sa mère si elle veut voir le corps de son mari. Celle-ci refuse. Des gens circulent dans les rangées… Emile aurait participé à l’attaque d’un camion allemand ; le groupe possédait une mitrailleuse, lui était muni d’un simple couteau. Un soldat allemand lui a tiré dans le dos. 

Un Comité d’entraide prend en charge la famille. Colis de beurre dans des boites couleur kaki, berlingots collants, conserves de bœuf… et ces goûters organisés par des dames très chics avec de grands chapeaux qui offrent des petits pains et du chocolat au lait ! Monique se souvient surtout de leur condescendance. Suzanne Plaisant ne pouvant assumer seule les charges de famille, les enfants sont confiés à la Maison de la Villette-aux-Aulnes qui prendra dès la libération le nom de « La Maison de l’enfant du fusillé ». Monique se rappelle avoir ranimé la flamme du Soldat inconnu au cours d’une cérémonie et même d’avoir embrassé l’Ambassadeur d’Union soviétique. (Cet orphelinat ouvrier créé par Madeleine Vernier en 1906 sous le nom du « Nid de l’avenir social » a été pris en main, avant guerre, par la CGT et le Parti communiste qui comptaient en faire un outil idéologique et de propagande. Emile Plaisant était-il un militant du Parti pour que ses enfants y soient placés ?) Des noms ressurgissent : Jean-Claude Marty, Claude Sourdeau, Loulou Bodeur ou encore Michel Couillard. Les moniteurs lisent des lettres de prisonniers. Monique comprend ce jour-là que des résistants sont morts en prison. 

Monsieur Tixier, le propriétaire de l’usine, vient la voir souvent et lui apporte de beaux cadeaux. Elle garde le souvenir d’une poupée qui bouge… Se sentait-il responsable de la mort d’Emile ? L’avait-il mis en relation avec la résistance ? Monique est baptisée après la guerre, Monsieur Tixier sera son parrain. Elle est ensuite placée chez les Sœurs de Saint-Vincent de Paul rue Bobillot dans le 13ème arrondissement et enfin au Bon Pasteur au Puy-en-Velay. Quand sa mère décède en 1949, sa grand-mère découvre sous le lit un uniforme de Zouave et dans une malle une Croix de Lorraine.

Emile et Suzanne, la tombe au cimetière de Pantin, Emile jouant de l'accordéon

 

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