De Douala à Paris

Marc Haudos de Possesse, assistant vétérinaire, se trouve à Douala (Cameroun) quand l’expédition Leclerc arrive dans la nuit du 26 août 1940. Le lendemain, ayant fait la connaissance du lieutenant Dronne, c’est tout naturellement qu’il se rallie aux Français libres. Ancien maréchal des logis-chef du 8ème Régiment de Chasseurs à cheval, il est nommé sergent-chef et affecté au 1er Régiment de Tirailleurs du Cameroun où il s’occupera du recrutement et de l’instruction des volontaires locaux en raison de sa parfaite connaissance de la langue des Foulbés. Deux mois plus tard il est envoyé à Garoua au nord du pays. Le 1er avril 1941 le voici muté à la 10ème compagnie commandée par Raymond Dronne entre temps promu capitaine.

Le colonel Leclerc s’est emparé en mars 1941 de l’oasis de Koufra au sud-est de la Libye et a fait jurer à ses hommes de ne déposer les armes que lorsque les couleurs françaises flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. Le Serment de Koufra fait entrer les Français libres dans la légende. En vue de rejoindre et de renforcer les troupes britanniques de Montgomery qui ont repoussé les Italiens vers Benghazi mais qui se heurtent aux Allemands de Rommel, Leclerc envoie ses colonnes attaquer les oasis tenues par les troupes de Mussolini : Tedjeré, Ouaou el-Kébir, Oum el-Araneb. Des milliers de kilomètres à travers les dunes, le sable poreux et les cailloux, la dangereuse passe de Kourizo, Mozrouk, Sebha…

Novembre 1942, les Américains débarquent en Afrique du Nord et les Allemands envoient des renforts en Tunisie. Leclerc convainc le général Montgomery d’engager ses troupes pour créer un nouveau front. La colonne devient « Force L » et se charge de couvrir la 8ème armée britannique le long de la ligne Mareth en Tunisie. Marc est muté début février 1943 au Groupe nomade du Borkou (G.N.B) du commandant Pierre Poletti.  Le 10 mars bataille de Ksar Rhilane, Dronne est blessé. 22 mars, une pluie de débris et la mitrailleuse d’un avion allemand abattu par la DCA anglaise tombent sur la section Possesse heureusement sans faire de blessés. 23 mars, le capitaine d’Abzac est tué lors de l’attaque  du djebel El Matleb.

Le lendemain sévère bombardement de la position. Le sergent Boladé est mortellement blessé. Marc charge sur son dos le tirailleur Tadjani grièvement touché à la jambe et le ramène dans les lignes sous les tirs ennemis. Cela lui vaudra une Croix de guerre avec citation et la Military medal décernée par des Anglais admiratifs. 26 mars percée de Gabes, les Allemands et les Italiens se replient, laissant derrière eux un matériel considérable et de nombreux prisonniers. 12 avril 1943, la campagne de Tunisie est terminée, la Force L défile à Sousse et à Tunis.

Mai 1943, la Force L devient la 2ème Division française libre (2ème DFL) mais est « exilée » en Tripolitaine à cause des dissensions qui règnent entre l’Armée d’Afrique et les Français libres. De juin à septembre les volontaires affluent, Pieds-Noirs d’Afrique du Nord ou déserteurs de l’Armée Giraud qui préfèrent rejoindre les Français libres pour continuer la lutte. Août 1943, la 2ème DFL rebaptisée 2ème Division blindée est envoyée par route et chemin de fer dans la forêt de Temara au Maroc où, équipée de pied en cap par les Américains, elle s’entraîne, s’initie au maniement du matériel et accueille les derniers volontaires. Un général américain l’inspecte et la déclare apte au combat.

Marc Haudos de Possesse quitte la 1ère compagnie du  1er bataillon du Régiment de Marche du Tchad pour rejoindre la 9ème du 3ème bataillon. Commandée par le capitaine Dronne elle est surnommée la Nueve en raison de la forte proportion de volontaires républicains espagnols qui garnissent ses rangs. Le voilà chef de groupe de la 3ème section de l’adjudant-chef Miguel Campos, un anarchiste vétéran de la Guerre d’Espagne qui s’est engagé dans les Corps francs d’Afrique fin 1942, a participé à la campagne de Tunisie, et a rejoint la 2ème DB à Temara. C’est un spécialiste des coups de main à l’intérieur des lignes ennemies.

Mai 1944,  la Division fin prête embarque sur le Franconia à destination de l’Angleterre. L’aventure va reprendre. La nouvelle du débarquement du 6 juin atteint les hommes dans leurs cantonnements de Hull (Yorkshire) au moment où ils perçoivent leurs insignes et leurs derniers véhicules blindés. Le half-track de Marc sera baptisé Guadalaraja du nom de la victoire des Républicains espagnols sur le corps expéditionnaire italien, allié de Franco, en mars 1937 au nord-ouest de Madrid.

 

23 juillet 1944, départ pour Southampton. 31 juillet, la Nueve embarque sur un L.S.T (landing ship tank) qui arbore le fanion du général Leclerc présent à bord. Les opérations de débarquement sur la plage de Saint-Martin-de-Varreville sont rendues difficiles à cause d’une mer trop agitée. 4 août, tout le monde est à terre. Direction un camp de transit avant de se diriger vers La-Haye-du-Puits. La campagne de Normandie peut commencer.

Rattachée à la IIIème armée américaine du général Patton, la 2ème DB va participer à la fermeture de la Poche de Falaise où les Alliés veulent prendre au piège deux armées allemandes. 13 août, le sous-groupement Warabiot pénètre dans Ecouché et tire à grands coups de canon et de mitrailleuse sur une colonne allemande qui traverse la ville en direction du nord. Le char Massaoua du sergent-chef Mahéo, 501ème RCC/1ère compagnie, est détruit. La section Campos se précipite sur la route de Falaise à la sortie de la ville. Le Guadalajara appuie les fantassins descendus à terre qui pourchassent les derniers fuyards. Le marsouin Eugène Bosquet est mortellement blessé par le tir d’un Panther. 

14 août, Dronne a reçu l’ordre de tenir Ecouché, mais mal renseigné sur les positions ennemies il doit envoyer des patrouilles ramasser des prisonniers qui parleront. Les sergents-chefs de Possesse et Reiter partent avec leurs groupes au château de Mésnil-Glaize où ont été signalés de nombreux soldats allemands et des SS. Le château sert également d’hôpital. Il est encerclé en fin d’après-midi. Un colonel blessé qui s’exprime très bien en français remet son arme, les hommes valides sont regroupés et escortés jusqu’à Ecouché. Dans ses mémoires le capitaine Dronne indique que le sort des quinze SS a été vite réglé. En fouillant le château les Marsouins découvrent des pilotes américains qu’ils libèrent aussitôt.

17 août, la section Campos installée au village de Sérans au nord d’Ecouché subit l’attaque d’une soixantaine de soldats allemands en tenue camouflée qui se sont infiltrés près des positions. Le marsouin Helio Roberto est grièvement blessé d’une rafale de mitraillette. Campos lance une contre-attaque appuyée par le feu des mitrailleuses des half-tracks. Les Allemands se replient en désordre laissant une vingtaine de cadavres sur le terrain. Le Guadalajara est atteint par des balles incendiaires et prend feu. Le chauffeur Martin et le tireur Hernandez ont juste le temps de sauter à terre, il explose. Les soldats allemands sont fouillés. Il s’agit de SS de la Division Das Reich. Le half-track de Marc est remplacé le soir même et reprend le même nom. La Nueve est relevée. Elle a perdu sept tués, dix blessés et deux véhicules blindés mais a capturé à elle seule plus de deux cents prisonniers et infligé des pertes sévères à l’ennemi. Des Normands, souvent très jeunes, se présentent pour s’engager. Accueillis à bras ouverts par les anciens, ils s’instruiront en combattant. 

Le 23 août mouvement vers Paris ! Le général Leclerc a « arraché » au général Bradley l’ordre tant attendu. La situation y est critique, la ville s’est soulevée, il y a eu une trêve, les Allemands font de nombreuses victimes. Boucé, Alençon, Courville, Chartres, la Nueve file à toute allure. Les hommes sont tendus. La poussière ? Le temps orageux ? Le but à atteindre ? Au soir la compagnie fait halte du côté de Limours. Impossible de se reposer. L’orage a éclaté, les Marsouins sont trempés mais s’affairent à nettoyer leurs armes, les voitures et les postes radio.

24 août au petit matin, le capitaine Dronne obtient sa feuille de route. Paris par le sud sur la nationale 20,  Arpajon, Bourg-la-Reine, porte d’Orléans, le Panthéon, l’Ile-de-la-Cité puis mouvement vers la droite gare de Lyon, Vincennes et Nogent-sur-Marne. Il étudie l’itinéraire avec ses chefs de sections et donne ses consignes : manœuvrer par les petites rues, déborder, se renseigner auprès de la population.

8h00, premier accrochage à Longjumeau. Les Allemands sont dispersés en petits points d’appui qu’il faut réduire l’un après l’autre. On se bat au milieu d’une foule de civils qui n’hésitent pas à sauter sur les voitures pour embrasser les Marsouins et qui refluent dès que les balles claquent. Vers midi la Nueve entame le nettoyage d’Antony. La section Campos se charge des lisières est ; elle capture vingt quatre Allemands mais Ernest Hernozian est tué. Le détachement du commandant Putz piétine sur la nationale 20 face au canon de 88 qui tient le carrefour de la Croix-de-Berny et le verrou installé devant la prison de Fresnes qui l’empêche de déborder. 

Le général Leclerc interpelle Dronne : « Filez droit sur Paris ! Passez où vous voudrez. Il faut y entrer. Vous leur direz que la Division toute entière sera demain dans la capitale. » Le capitaine a à sa disposition les 2ème et 3ème sections de la Nueve ; il réquisitionne une section de Shermans du 501ème RCC et une section du 13ème Bataillon de Génie et donne ses ordres. « Droit sur Paris en évitant les résistances ! Vite ! Vite ! » L’équipage du Guadalajara reçoit à cet instant la mission de toute une vie. Il est composé du sergent-chef Marc Haudos de Possesse, du caporal-chef Zubietta et des marsouins Luis Kintella-Ortiz, Daniel Hernandez, Luis Argueso-Cortes dit El-Gitano, Francisco Piazza et Patricio Ramon dit Bigote. (Vous trouverez ici en bas de page la composition complète du détachement Dronne).

 

Derrière le motocycliste qui le guide le half-track se faufile dans les rues de la banlieue parisienne. L’Hay-les-Roses, Cachan, Arcueil, Kremlin-Bicêtre. 20h45, porte d’Italie. Dronne prend la tête du détachement. Des cris fusent. « Les Boches ! » La foule s’éparpille dans les rues adjacentes. Puis « Ce sont des Américains ! ». Elle revient, submerge la place les hommes et les véhicules. Enfin « Les Français ! ». C’est alors le délire. La colonne emprunte les rues de la Vistule, Baudricourt, Nationale, le boulevard de l’Hôpital, le pont d’Austerlitz et les quais jusqu’à la place de l’Hôtel de Ville qu’elle atteint à 21h22. Les véhicules se placent en hérisson, le Guadalajara rue de Rivoli. Des centaines de civils accourent. Une Marseillaise est entonnée. Toutes les églises parisiennes font sonner leurs cloches à la volée. La consigne a été passée par la radio. Paris n’est pas libre mais c’est pour demain. Dronne le confirme aux autorités du Conseil national de la Résistance réunies dans les salons de la Mairie puis à l’état-major militaire de l’insurrection qui se tient, lui, à la Préfecture de police. Les hommes s’installent pour passer la nuit après une légère toilette à l’Hôtel de Ville ou chez l’habitant ; les sacs de couchage sont déployés à même le trottoir et un service de guet est organisé au cas où les Allemands tenteraient quelque chose. Mais la nuit ne sera troublée que par des FFI curieux qui viennent aux nouvelles. 

Le lendemain 25 août la Division pénètre dans la capitale. Derniers combats pour réduire les points d’appui dans lesquels se sont retranchés les soldats de von Choltitz. Hôtel Meurice, Ecole militaire, Palais Bourbon, hôtel Majestic, Ministère des Affaires étrangères, Hôtel de la Marine, Sénat, caserne de la République. FFI et soldats de la 2ème DB combattent côte à côte. Le soir Paris est libéré.

 

Le 26 le général de Gaulle passe en revue la Nueve rangée devant l’Arc de Triomphe puis descend les Champs-Elysées au milieu de centaines de milliers de Parisiens qui hurlent leur joie.  Une immense fierté et un souvenir indélébile pour le sergent-chef Marc Haudos de Possesse le Français libre parti de Doaula en 1940. Il combattra jusqu’à fin octobre dans les rangs de la Nueve avant d’être muté au Bataillon de renfort de Saint-Germain-en-Laye où il instruira les nouveaux volontaires qui rejoignent la Division pour les campagnes d’Alsace et d’Allemagne.

Un grand merci à ses enfants qui ont bien voulu rouvrir pour nous le carnet de souvenirs de leur père.