Arthur, le Chevalier de la Croix de Lorraine

La famille Pommier habite à Vincennes, un grand appartement situé 12, rue du Commandant Mowat. Le père, ancien mineur, est tourneur sur verre. Il y a cinq enfants, Aurélie, Louise, Gustave, Roger et Roland. La vie n’est pas facile. Gustave, né le 1er octobre 1918, est réputé pour son « caractère », il ne se laisse pas marcher sur les pieds. En 1939 le voilà mobilisé au 150ème Régiment d’infanterie à Verdun. La 12ème Division d’infanterie motorisée à laquelle il est rattaché est chargée de contenir les Allemands à Koenigsmacker sur la ligne Maginot, en mai 1940 elle pénètre en Belgique et se bat près de Namur avant de se replier sur Dunkerque où elle reçoit la mission de protéger l’embarquement des troupes alliées (Opération Dynamo). 

L’évacuation est une réussite, 340 000 soldats français et britanniques réussissent à échapper à l’encerclement allemand. Le 4 juin 1940 les survivants sont capturés sur la plage de Malo-les-Bains. Le commandant Delaveau ordonne de brûler l’étendard du régiment pour qu’il ne tombe pas aux mains de l’ennemi. Gustave a participé à quelles opérations ? A-t-il embarqué vers l’Angleterre ? A-t-il été fait prisonnier ? Sa nièce Sylviane, à qui nous devons tous ces documents, ne le sait pas.

Le 2 août 1940 huit camarades se réunissent dans un café du Quartier Latin à Paris et décident de s’organiser pour tenter de résister à l’occupant. Le groupe prend le nom de « Huitième division de Francs tireurs », se donne pour chef Henry Golaudin âgé de 20 ans, et s’articule de la manière suivante : un état-major, trois compagnies de quatre sections, trois groupes par section, deux équipes par groupe. Le secteur visé couvrira les quartiers Sud de Paris, Vanves, Boulogne, Montrouge, Meudon et Chaville. La première tâche est de recruter bien entendu. Les volontaires ne se pressent pas. Les débuts sont difficiles. Les opérations sont mineures : quelques sabotages, la coupure des lignes téléphoniques sur l’aérodrome de Villacoublay, un peu de renseignement. Mais le groupe est assez vite remarqué par l’Occupant et Henry Golaudin doit passer en zone libre début 1941. Il s’active à Lyon, à Grenoble et en Savoie, prend contact avec les M.U.R (Mouvements unis de la résistance) et s’affilie au groupement Vengeance puis au C.D.L.R (Ceux de la résistance) tout en conservant les liaisons avec les équipes parisiennes. Il revient en août 1943 et la 8ème D.F.T se lance dans les coups de main contre les forces d’occupation, la récupération de parachutages, le transport d’armes et les sabotages, les faux papiers et la propagande. Une attestation signée du colonel David Bruce fait état également d’actions au profit de l’O.S.S (Office of Strategic Services) agence de renseignements remplacée en 1947 par la C.I.A. Le poste de commandement est installé à Clamart, dans la maison de Mme Golaudin qui devient par la même occasion l’agent de liaison de son fils sous le pseudonyme de « Madame Mère ». 

Ce poste est baptisé « La Commandancia » histoire de se moquer un peu de la Kommandantur allemande locale. La base arrière se tient au maquis d’Arnay-le-Duc en Côte-d’Or. Au 30 juillet 1944 la 8ème D.F.T compte 2 802 hommes dans ses rangs.

Gustave Pommier fait partie du Groupe 43 sous le commandement de Roger Bajard spécialisé dans le renseignement. Son pseudonyme est « Arthur ». Les documents transmis par Sylviane ne permettent pas, hélas, de connaître les actions précises auxquelles il a participé.

En juin 1944 un souterrain de Montrouge est aménagé en vue d’y installer le futur P.C ; il permettra des communications en toute sécurité avec Paris et la banlieue au-delà de Bagneux. Dix hommes y travaillent toutes les nuits de 22h30 à 6h00. Le bois nécessaire à l’étayage a été récupéré dans la forêt de Meudon. En juillet 1944 « Achille » et quelques hommes sont arrêtés ; ils seront libérés le 17 août et pourront reprendre le combat. L’insurrection générale approche. Il faut absolument trouver des armes. Comme beaucoup de groupes de résistants de la région parisienne la 8ème D.F.T est à l’affût de la moindre opportunité. Un rendez-vous est fixé le 16 août à Malakoff auprès du lieutenant FFI Camille Barrelet. Hélas un certain Jean Mamy, dit « Paul Riche », qui s’est infiltré dans le groupe de Patrice, donne le renseignement à la Gestapo. Henry Golaudin, son cousin Henry-Jean, Pierre Jarrige et Jacques Lauduique sont arrêtés à la Porte de Vanves. Ils sont conduits rue des Saussaies pour y être interrogés. On retrouvera leurs cadavres quelques jours plus tard au lieu-dit Les Friches à Châtenay-Malabry. 

Privée de son chef la 8ème D.F.T se lance néanmoins dans la bataille. Les Etablissements Krieg et Zivy de Montrouge puis l’Ecole Alsacienne sont occupés. L’unité est utilisée comme groupe mobile dans le secteur Sud et se livre à de nombreux combats de rues forçant les Allemands à se replier dans quelques points d’appui qui seront enlevés le 25 août par la 2ème Division blindée du général Leclerc.

Le 18 août à 20 heures les vingt-deux hommes du Groupe 43, dont Gustave Pommier, se rassemblent rue Quinault dans le 15ème et prêtent main forte aux FFI de l’arrondissement. Le 21 août Gustave est envoyé à Vincennes pour y récupérer une Traction avant prise à l’ennemi. Il est arrêté rue de la Voie-Verte (aujourd’hui rue du Père-Corentin). Les soldats allemands ont-ils découvert une arme sur lui ? Un papier compromettant ? Il est sévèrement battu puis fusillé. Son cadavre mutilé sera retrouvé après la libération sous un tas de sable rue de la Tombe-Issoire.

Ses compagnons de combat poursuivent la lutte au sein du Bataillon FFI 6/22. Après une rapide instruction militaire à l’Ecole départementale de Vitry-sur-Seine, ils intègrent le 1er Bataillon du 24ème Régiment d’infanterie, où ils forment la 3ème compagnie de fusiliers voltigeurs, et participent vaillamment aux opérations d’Alsace en 1945 avec la 10ème Division d’infanterie du général Billotte.

 

Gustave Pommier sera décoré de la Médaille de la Résistance et de la Médaille militaire à titre posthume. Et plus curieusement fait Chevalier dans l’Ordre de la Croix de Lorraine et de la Résistance. Cet Ordre associatif est présidé par Albert Bougerolle inspecteur général du Corps des volontaires Lazaristes pour la zone Sud, lui-même médaillé de la Résistance et chevalier de la Légion d’honneur. Ce Corps de volontaires se réclame de l’Ordre des hospitaliers de Saint-Lazare de Jérusalem fondé au XIème Siècle pour accueillir les pèlerins atteints de la lèpre et se distingue pendant la guerre pour l’assistance qu’il porte aux blessés.

 

Ironie de cette guerre, son frère cadet Roger a été envoyé à Berlin le 16 mars 1943 au titre du S.T.O (Service du travail obligatoire) puis à Thalheim près de la frontière tchèque. Il y travaille comme magasinier et s’est lié d’amitié avec un jeune Allemand, Werner Schütt, non mobilisable pour cause de maladie. Dans la même enveloppe on trouve donc le tragique destin de Gustave et la photographie dédicacée de Werner.